Cancers de la thyroïde : interview de Hisako Sakiyama

La dernière livraison du Asia-Pacific Journal publie une interview passionnante de Hisako Sakiyama, qui a été chercheuse et membre de la commission d’enquête parlementaire sur la catastrophe nucléaire de Fukushima (NAIIC). Elle a aussi fondé, avec Ruiko Muto, le Fonds 3.11 pour les enfants atteints d’un cancer de la thyroïde en 2016. Cette interview, menée en juin 2018 par Katsuya Hirano et Hirotaka Kasai, a été mise à jour en août 2020. Nous reprenons ici, en français, des extraits relatifs aux cancers de la thyroïde.

Hirano : Au début, certains chercheurs ont […] affirmé que le nombre de cas [de cancers de la thyroïde] augmente simplement en raison d’un dépistage plus systématique avec des échographies, de sorte que le nombre élevé de cas est dû à la nouvelle technologie de dépistage et n’est pas lié à l’exposition aux radiations de la catastrophe nucléaire. Dites-moi ce que vous en pensez.

Sakiyama : Lors de la première campagne de dépistages, 116 enfants au total, sur les quelque 300 000 enfants testés, ont été suspectés d’avoir un cancer de la thyroïde. C’est un taux de cancer de la thyroïde des dizaines de fois supérieur à la normale sur une période de deux ans. Pourtant, ces chercheurs continuent de rejeter le lien entre cette incidence exceptionnellement élevée de cancer de la thyroïde chez les enfants et l’exposition aux radiations, et insistent sur le fait qu’elle est le résultat d’un “dépistage massif”.

En fait, alors que seulement 10 % de la première série de dépistages avait été effectuée, le Dr Yamashita Shunichi avait déjà remarqué que les taux de cancer avaient augmenté, avec 3 cas confirmés et 10 cas suspects. Il a donc dû trouver une explication à ces résultats. Il a annoncé que cela était dû à “l’effet du dépistage massif” et non à une épidémie. Je crois que l’annonce a été faite le 11 mars 2013, lors d’une réunion annuelle de la NRC (Commission américaine de régulation nucléaire) aux États-Unis.

Hirano : Ce qui signifie que le Dr Yamashita et ses collègues ont œuvré dès le début pour établir un discours, même dans les instances internationales, selon lequel la catastrophe de Fukushima n’avait pas d’impact sanitaire.

Sakiyama : Exactement. C’était une discussion dont l’issue était prévisible. La décision avait déjà été prise avant même que les projections n’aient commencé. Même après qu’il soit devenu évident que les taux d’incidence du cancer de la thyroïde dans les zones touchées étaient plusieurs dizaines de fois supérieurs à la moyenne nationale, ils ont insisté sur le fait que cela était dû aux effets du dépistage systématique.

Cependant, au cours de la deuxième campagne de dépistages, ils ont commencé à voir certains résultats qui n’étaient pas normaux et qui ne pouvaient pas être expliqués par l’effet du dépistage systématique. À ce moment, certains de ces experts médicaux ont commencé à exprimer des inquiétudes quant à la possibilité d’un “sur-diagnostic”. Par “sur-diagnostic”, ils entendent l’examen de cas qui, autrement, ne provoqueraient pas de symptômes ou de décès au cours de la vie normale d’un patient. Mais ces inquiétudes ne venaient pas des cliniciens, mais d’épidémiologistes tels que le Dr Tsugane Shoichiro, directeur du Centre de recherche pour la prévention et le dépistage du cancer, Centre national du cancer du Japon, et le Dr Shibuya Kenji, professeur invité du département de politique de santé mondiale de l’École supérieure de médecine de l’Université de Tokyo.

Le Dr Tsugane a déclaré qu’en général, le cancer de la thyroïde a un pronostic approprié, mais qu’en sur-diagnostiquant les enfants, ils pourraient être soumis à des opérations chirurgicales inutiles. Cela finirait par leur laisser non seulement des cicatrices au cou, mais aussi entraîner une stigmatisation suite au fait qu’ils ont développé un cancer dû à une exposition aux radiations. Il a averti que cela affecterait probablement leur éligibilité à l’assurance cancer, et qu’ils pourraient être victimes de discrimination lors de leur mariage ou dans d’autres contextes pour avoir été exposés à des radiations. Il a fait valoir que l’examen des enfants n’avait que peu d’intérêt et a suggéré de réduire les dépistages du cancer de la thyroïde à Fukushima. En fait, c’est la politique officielle qui va maintenant dans cette direction avec la réduction de l’ensemble des dépistages de la thyroïde.

D’autre part, le Dr Suzuki Shinichi, professeur de chirurgie de la thyroïde à l’université médicale de Fukushima, qui a opéré la plupart des patients atteints d’un cancer de la thyroïde à l’université, a réfuté l’accusation de sur-diagnostic. Il a présenté à la Société japonaise de chirurgie thyroïdienne des preuves que parmi les 145 patients opérés, environ 78% avaient des métastases ganglionnaires et environ 45% présentaient une croissance invasive. Sur la base de ces faits, il a déclaré qu’un sur-diagnostic est peu probable.

Hirano : Il semble qu’ils s’approprient un discours sur la discrimination et les préjugés afin de confondre la question des radiations et du cancer, et de tout balayer sous le tapis.

Sakiyama : Exactement. Comme vous le savez, le Dr Yamashita est malheureusement une figure influente au sein de l’Association de la thyroïde. Au début, il disait qu’il était nécessaire de procéder à des dépistages du cancer de la thyroïde, mais aujourd’hui, il est devenu l’une des voix les plus fortes qui plaident pour une réduction du programme.

Une réunion internationale d’experts a eu lieu l’année dernière à Fukushima, et après cette réunion, le Dr Yamashita et le Dr Niwa, président de la Fondation pour la recherche sur les effets des rayonnements, ont fait une recommandation au gouverneur de la préfecture de Fukushima. Dans leur rapport intérimaire, les docteurs Yamashita et Niwa ont déclaré qu’il était difficile de trouver un lien entre les cancers découverts lors des dépistages et l’exposition aux radiations. Ils ont suggéré de réduire les dépistages, de ne pas les arrêter complètement mais de rendre la participation “volontaire”.

Une des justifications de ce choix est la théorie dite de la cancérogenèse des cellules thyroïdiennes du fœtus qui a été présentée par le Dr Takano Tōru de l’Université d’Osaka. Selon lui, les jeunes enfants développent un risque plus élevé de cancer de la thyroïde parce que les cellules tumorales de la thyroïde sont dérivées directement des cellules fœtales de la thyroïde, qui n’existent que chez les fœtus et les jeunes enfants, et que les cellules fœtales possèdent des caractéristiques cancéreuses ; cependant, les tumeurs de ces cellules fœtales immatures chez les jeunes diminuent pendant la petite enfance et cessent complètement de croître après l’âge moyen. Le pronostic est donc excellent et le processus ne progresse pas pour provoquer des décès par cancer.

Au contraire, a-t-il poursuivi, si vous développez un cancer de la thyroïde à un âge moyen ou avancé, les cellules tumorales subissent une prolifération soudaine, qui peut entraîner la mort par cancer. Il conclut donc que le cancer de la thyroïde chez les jeunes enfants ne doit pas être diagnostiqué.

Je ne savais pas grand-chose sur le cancer de la thyroïde, mais comme le Dr Takano parlait de sa nouvelle théorie avec tant d’assurance, je l’ai beaucoup étudiée. Ce que j’ai découvert, c’est que le Dr Takano est la seule personne qui défende réellement cette théorie de la cancérogenèse des cellules thyroïdiennes du fœtus. Pourtant, il n’a publié aucun article sur l’isolement et la caractérisation des cellules thyroïdiennes fœtales.

Kasai : Vous voulez dire qu’il est le seul au monde ?

Sakiyama : Oui, mais il est tellement sûr de lui dans sa théorie qu’il prétend que le problème est que tout le monde a pris du retard sur ses nouvelles découvertes scientifiques. Mais si vous proposez cette théorie, vous devez d’abord trouver une cellule fœtale, puis la caractériser. C’est la voie qu’un chercheur devrait suivre, mais il ne semble pas le faire. J’ai vérifié ses articles, et ils semblent tous hypothétiques. Si on imagine une première chose, on peut alors imaginer qu’il y autre chose, et donc que la cancérogenèse des cellules thyroïdiennes du fœtus existe. Il n’existe aucune preuve expérimentale.

Hirano : Voulez-vous dire qu’en l’absence de toute preuve expérimentale, il soutient que les examens de la thyroïde, qui jouent un rôle crucial dans la surveillance de la santé des enfants, devraient être réduits ?

Sakiyama : Exactement. Et une personne comme lui a été nommée membre du comité de suivi régional pour l’étude sanitaire à Fukushima.

Je suis sûre que vous avez entendu le Dr Yamashita dire aux habitants de Fukushima de sourire et de se détendre lors d’une réunion publique juste après l’accident nucléaire. Il a dit à son auditoire : “Les radiations n’affectent pas les gens qui sont heureux et souriants. Les effets des radiations vous parviennent si vous vous en inquiétez. Cette théorie a été prouvée par des expériences sur des animaux “

Hirano : Oui, je sais qu’il a été critiqué dans les médias pour sa désinvolture. Une telle remarque dédaigneuse était inacceptable, ont-ils dit.

Sakiyama : C’est exact. Malheureusement, cela ne s’est pas arrêté là. Tout récemment, M. Takano a donné une conférence à Osaka, et elle a été mise en ligne sur YouTube, alors je l’ai regardée. Vous ne croiriez pas ce que j’ai entendu dans la vidéo. Au début de la conférence, le Dr Takano a mentionné la remarque du Dr Yamashita et l’a félicité pour cela. “Le professeur Yamashita sait vraiment quoi dire.” Quand j’ai entendu cela, je n’avais plus de mots. […]

Hirano : Ce qui m’a toujours semblé étrange, c’est que le Dr Yamashita s’est rendu à Tchernobyl plus d’une centaine de fois et qu’il a été très impliqué dans les projets d’aide médicale là-bas, bien avant la catastrophe nucléaire de Fukushima. Comme vous l’avez mentionné, il est considéré comme l’autorité numéro un au Japon en matière de santé radiologique. Il est difficile de comprendre qu’une personne comme lui, qui a vu de ses propres yeux les effets de l’accident de Tchernobyl sur la santé, ait été aussi active pour tenter de dissimuler les risques sanitaires liés à l’exposition aux radiations.

Même à Tchernobyl, les effets sur la santé humaine ont été dissimulés dès le début, et certains ont utilisé l’idée d’un sur-diagnostic pour minimiser les risques. Il aurait été témoin de tout cela.

Sakiyama : Exactement.

Hirano : Il a dû constater qu’il y avait une forte augmentation des cas de cancer de la thyroïde après la catastrophe, et que les gouvernements de l’Ukraine et des pays voisins étaient obligés d’admettre que les différents problèmes de santé découlaient de l’accident. Cependant, en ce qui concerne Fukushima, le Dr Yamashita utilise les mêmes méthodes que celles utilisées par l’Union soviétique pour continuer à cacher ces problèmes. Que pensez-vous de cela du point de vue d’un scientifique ?

Sakiyama : Je ne pense pas qu’il adopte une position de scientifique. J’ai le sentiment qu’il a abandonné la science. Beaucoup de gens me demandent pourquoi le Dr Yamashita agit comme il le fait et quelles sont ses intentions, mais je leur dis que les gens qui prennent la science au sérieux et qui valorisent l’éthique n’ont pas de réponse à cette question.

Je me souviens cependant qu’il a dit un jour qu’il avait du mal à dire “non” à tout ce que le gouvernement central voulait.

Hirano : Oh, je me souviens aussi de ça. Il a dit quelque chose comme : “En tant que Japonais, je ne peux pas dire non (au gouvernement)”.

Sakiyama : C’est probablement une des raisons pour lesquelles il reste fidèle au gouvernement central. Il a dit à son public que la vérité absolue est du ressort du gouvernement. Il est actuellement vice-président de l’université de médecine de la province de Fukushima, il semble donc probable qu’il continuera à dissimuler une chose après l’autre et qu’il se contentera de suivre ce que dit le gouvernement.

Kasai : Je crois donc que vous dites qu’une sorte d’hypothèse, ou une pseudo-hypothèse, sur l’évolution du cancer de la thyroïde est apparue, qui s’écarte des méthodes fondamentales de la science et de la médecine, et qui est diffusée à la société d’une manière qui s’écarte des règles normales ? En outre, vous dites également que cette discussion semble avoir pris une dimension politique.

Sakiyama : C’est vrai. Elle a été exploitée à des fins politiques.

Kasai : Pourtant, lorsqu’ils donnent des explications au grand public, ils se servent de leurs statuts d’expert en sciences médicales.

Sakiyama : C’est vrai.

Kasai : Ainsi, les citoyens ordinaires comme nous, sont informés par les médias que les experts dans ce domaine disent ceci ou cela et en viennent à penser “oh, il a été scientifiquement prouvé que les radiations sont sans danger, ou ne sont pas dangereuses” et “20 mSv/an est sans crainte”. C’est ainsi que nous sommes parvenus à un consensus social sur les risques liés aux radiations.

Sakiyama : Absolument. Je ne comprends pas pourquoi ils le font et quelles sont leurs motivations. Le Dr Yamashita avait déjà un statut social très élevé en tant que vice-président de l’université de Nagasaki. Mais il était évident qu’il a menti au sujet d’un garçon de 4 ans qui avait développé un cancer de la thyroïde. Il a d’abord décidé de ne pas rendre l’affaire publique, mais lorsque nous l’avons annoncé, il a finalement avoué.

En fait, un journaliste l’a interviewé et lui a demandé pourquoi il voulait cacher l’affaire. Le Dr Yamashita a répondu : “Je ne peux rien dire à moins que cela ne soit annoncé officiellement”. Mais même en disant cela, il avait officiellement annoncé qu’il n’y avait pas de cas de cancer chez les enfants de 5 ans et moins.

Hirano : Il s’est manifestement contredit.

Sakiyama : C’est ridicule, n’est-ce pas ? Au moment de la rédaction du rapport intérimaire, il était devenu évident qu’un enfant de 5 ans avait été atteint d’un cancer de la thyroïde immédiatement après l’accident. Il a cependant ignoré ce cas et a décidé d’annoncer qu’il n’y avait aucun cas de cancer chez les enfants de 5 ans ou moins. Il a utilisé cette affirmation comme base pour rejeter le lien entre le cancer de la thyroïde et les radiations à d’autres experts […].

Hirano : Les gens de Fukushima ne connaissent pas [ces résultats du dépistage du cancer de la thyroïde] ?

Sakiyama : Non, ils ne les connaissent pas. J’ai visité un centre de repos l’année dernière, et j’y ai rencontré une dizaine de mères. Vous pouvez supposer que ces familles, qui ont envoyé leurs enfants dans un endroit comme celui-ci, sont susceptibles d’être particulièrement préoccupées par les radiations, mais étonnamment, aucune des mères ne connaissait la forte prévalence du cancer de la thyroïde chez les enfants. J’étais juste choquée.

J’ai essayé de comprendre pourquoi, et je me suis rendu compte que les habitants de Fukushima s’informent principalement auprès de sources d’information locales, comme les journaux Fukushima Minpō (福島民報) et Fukushima Minyū (福島民友), et Fukushima TV ou d’autres chaînes de télévision locales, qui ne prennent pas ces informations comme des sujets majeurs.

Hirano : Les médias locaux ne rapportent pas de tels faits ?

Sakiyama : C’est exact. Ces mères m’ont également dit qu’elles avaient caché à leurs voisins et même à leurs proches qu’elles envoyaient leurs enfants dans un centre de réhabilitation. Elles avaient peur d’être critiquées ou étiquetées comme étant trop sensibles à l’exposition aux radiations, alors elles ont simplement dit aux gens qu’elles partaient en vacances, sans mentionner la récupération du tout.

J’ai également été surpris lorsque nous sommes allés à la mairie de Kôriyama pour voir si notre organisation, le 3.11 Fund for Children with Thyroid Cancer, pouvait laisser des formulaires de demande à la réception. En fait, la ville de Kôriyama compte le plus grand nombre de cas de cancer de la thyroïde chez les enfants, avec d’autres comme Iwaki. Mais les responsables de la ville de Kôriyama n’en avaient aucune idée. Lorsque nous leur avons parlé du nombre croissant de cas de cancer, ils ont été choqués, voire paniqués.

[…]

Hirano : Il existe également des points chauds radioactifs en dehors de la province de Fukushima, notamment à Chiba, Ibaraki, Tochigi, Gunma, Iwaté et Miyagi. Pensez-vous que les gens, en particulier les parents de jeunes enfants, devraient s’inquiéter du risque d’exposition aux radiations ? Le gouvernement n’a pris aucune mesure pour les protéger, n’est-ce pas ?

Sakiyama : Non, il n’en a pas pris. Ils se sont concentrés exclusivement sur Fukushima et ont laissé toutes les autres provinces livrées à elles-mêmes.

Dans l’année qui a suivi l’accident, des préfectures comme Gunma, Ibaraki, Iwaté et Tochigi ont convoqué un conseil consultatif. Chaque province a convoqué des experts et les a laissés discuter de la question de savoir s’ils devaient également procéder à des dépistages du cancer de la thyroïde. Mais ces experts sont arrivés à la conclusion que le dépistage n’était pas nécessaire, et leur décision a été communiquée au ministère de l’environnement. La décision finale a été prise lors de la “conférence d’experts” organisée sous l’égide du ministère de l’environnement, présidée par le Dr Nagataki Shigenobu, professeur émérite de l’université de Nagasaki.

Toutefois, comme les mères des petites communautés de ces provinces étaient nombreuses à s’inquiéter, certaines municipalités ont apporté leur soutien à des opérations de dépistage. Il n’existe qu’un faible nombre d’exemple. La plupart des dépistages sont effectués par des bénévoles d’associations à but non lucratif et d’ONG avec l’aide de médecins inquiets, mais ce qu’ils font n’est qu’un programme d’examen de la thyroïde à petite échelle.

Ils ont trouvé une personne atteinte d’un cancer de la thyroïde dans la préfecture d’Ibaraki.

[…]

Hirano : Vous avez donc été témoin des dissimulations répétées et avez réalisé l’incompétence du gouvernement en matière d’aide aux victimes. Avez-vous lancé le “Fonds 3.11 pour les enfants atteints du cancer de la thyroïde”, en raison de l’urgence de la crise ?

Sakiyama : Oui.

Hirano : Une autre chose que vous avez mentionnée plus tôt et qui me revient à l’esprit est la façon dont l’exposition aux radiations est devenue une cible de stigmatisation dans l’esprit du public, ce qui oblige les habitants de Fukushima à garder le silence sur leurs problèmes de santé. Ce genre de pression sociale crée une situation où ils doivent continuer à se rendre en secret dans les centres de réhabilitation, et ils hésitent même à se faire dépister pour le cancer.

Je crois savoir que vous vouliez soulager un peu cette pression pour les personnes qui s’inquiètent pour leur santé et leur traitement du cancer, en apportant un soutien financier par le biais du “3.11 Fund for Children”, qui est une organisation indépendante à but non lucratif, pour que les gens aient réellement accès au dépistage. Est-ce bien le cas ?

Sakiyama : C’est exact. Nous avons organisé de nombreuses réunions et conférences, mais nous avons remarqué que nous avions tendance à toujours avoir le même public lors de ce genre d’événements. Puis nous avons commencé à chercher un moyen d’atteindre ceux qui ont besoin d’aide, et nous avons réalisé que les enfants atteints d’un cancer de la thyroïde et leurs familles ont souvent été isolés parce qu’ils ne savaient pas où aller et comment obtenir de l’aide. Ils sont également accablés par les frais médicaux liés aux examens répétés et aux visites à l’hôpital, et certains patients auront besoin de soins médicaux tout au long de leur vie. Nous avons tous convenu que ce sont les personnes que nous voulons vraiment aider et nous avons cherché un moyen de les atteindre.

Nous avions le sentiment que les réunions et les conférences ne nous menaient nulle part, alors nous avons parlé avec plusieurs personnes et avons eu l’idée de donner de l’argent. Au début, nous étions mal à l’aise à l’idée de donner de l’aide sous forme d’argent, mais c’est la seule option pour aider ceux qui ont tendance à être isolés.

Hirano : Vous avez dit qu’il y a en fait huit cas supplémentaires de cancer de la thyroïde chez les enfants, en dehors des 199 enfants et jeunes adultes chez qui on a officiellement diagnostiqué un cancer de la thyroïde ou une suspicion de malignité. Ces personnes ont-elles contacté l’organisation par elles-mêmes pour demander de l’aide après avoir entendu parler du “Fonds 3.11 pour les enfants” ?

Sakiyama : Je crois que oui. Nous avons publié une annonce d’une page entière sur le “3.11 Fund for Children with Thyroid Cancer” dans le journal Fukushima Minpō (福島民報), qui a coûté près d’un million de yens. Les gens nous ont alors contactés, et depuis lors, la NHK suit nos activités. Chaque fois que nous organisons une conférence de presse, elle est diffusée à l’échelle nationale, de sorte que nous avons reçu de nombreuses demandes de renseignements et de candidatures à la suite de la couverture médiatique. Par exemple, une grand-mère qui regardait les nouvelles de la NHK a demandé à bénéficier du fond pour son petit-fils qui avait développé un cancer de la thyroïde.

Au fait, les personnes qui en sont venues à se méfier de l’université de médecine de Fukushima ne veulent pas y subir leur dépistage, donc bien sûr, elles ne seront pas comptabilisées dans les statistiques officielles. Ainsi, même si l’université de médecine de Fukushima publie le nombre de cas de cancer qu’ils voient, nous n’avons toujours pas le vrai décompte.

[…]

Sakiyama : Dans l’ensemble, les personnes chez qui on a diagnostiqué un cancer de la thyroïde ne semblent pas être en colère contre le gouvernement central ou TEPCO, qui sont responsables de la catastrophe nucléaire. Au contraire, ils ont essayé de se cacher du public.

L’autre jour, des membres de Friends of the Earth sont venus d’Allemagne nous rendre visite, alors je leur ai demandé ce qu’ils en pensaient. Ils m’ont dit que si c’était en Allemagne, les patients atteints du cancer de la thyroïde seraient très en colère, c’est certain, et qu’ils engageraient des poursuites pour obtenir une indemnisation.

J’aimerais vraiment leur dire qu’ils sont les victimes et qu’ils ne devraient pas avoir honte d’avoir eu un cancer de la thyroïde. C’est le gouvernement central et TEPCO qui devraient avoir honte et être tenus responsables. Malheureusement, c’est le contraire, car la plupart des victimes vivent encore dans l’ombre de la catastrophe nucléaire.

Traduit avec l’aide de www.DeepL.com

Deux études mettent en évidence une corrélation positive entre le taux de cancers de la thyroïde et la contamination radioactive

Après Tchernobyl, il a fallu des années pour que soit admis le lien entre les retombées radioactives et l’augmentation du nombre de cancers de la thyroïde chez les jeunes. Après Fukushima, les autorités japonaises et certaines organisations internationales ont toujours déclaré qu’elles ne s’attendaient pas à une augmentation significative de ce taux de cancer car l’exposition y a été beaucoup plus faible et parce que le régime alimentaire japonais est beaucoup plus riche en iode, ce qui protège la thyroïde.

La première campagne de dépistage par échographie a été lancée pour rassurer les parents inquiets et devait fournir le taux de cancer avant l’impact des retombées radioactives, en prenant en compte le fait que les cancers de la thyroïde sont apparus au bout de quelques années dans les territoires contaminés par la catastrophe de Tchernobyl.

Le nombre de cancers de la thyroïde à l’issue de la première campagne de dépistage est beaucoup plus élevé que ce qui était attendu. Les autorités japonaises ont mis en avant l’effet du dépistage. Sans lui, les signes cliniques seraient arrivés beaucoup plus tard. Le dépistage, par un “effet râteau”, aurait concentré les cas découverts. Mais rien ne permet d’affirmer que tous ces cas seraient apparu sans la contamination radioactive.

Les derniers résultats publiés montrent que le nombre total de cas de cancers de la thyroïde chez les jeunes découverts lors des campagnes suivantes est désormais plus élevé que le nombre de cas de la première campagne. Ces nouveaux cas sont donc récents et il est naturel de soupçonner un lien avec la catastrophe nucléaire.

Deux articles, publiés dans des revues scientifiques avec comité de lecture, font un lien entre le taux de cancers de la thyroïde et la contamination radioactive. Le premier date de septembre 2019 et le deuxième, de mars 2020. Ils sont tous deux en libre accès.

Comme les seules indications géographiques disponibles sur les cas de cancer de la thyroïde sont à l’échelle de la commune, ces deux études ont moyenné la contamination de chacune des 59 communes de la province de Fukushima.

La première étude s’est basée sur le débit de dose ambiant fourni par les cartes de la contamination publiées par les autorités japonaises. Que ce soit en considérant les résultats de chaque campagne de dépistage séparément ou en les combinant, une corrélation positive a été trouvée entre l’exposition externe et le taux de cancers de la thyroïde.

La deuxième étude, effectuée par des physiciens, utilise une méthode semblable, sauf que les données sur la contamination proviennent de la cartographie effectuée par les universités japonaises. Les traitements statistiques diffèrent aussi. Cette deuxième étude ne trouve pas de corrélation significative entre le taux de cancers et la contamination radioactive pour la première campagne de dépistage, et trouve une corrélation positive pour la deuxième.

La deuxième étude a aussi recherché s’il y avait une corrélation avec les quelques données sur la contamination en iode-131. Pour la première campagne de dépistage, aucune corrélation significative n’a été trouvée. Pour la deuxième, il y a une faible corrélation, qui pourrait ne pas être significative. Cette deuxième étude suggère donc que l’exposition externe aurait eu un plus grand impact que la contamination interne par l’iode.

Dernières données sur les cancers de la thyroïde : 9 nouveaux cas suspectés et 8 nouvelles interventions chirurgicales

Les autorités régionales de Fukushima ont mis en ligne les derniers résultats à la date du 31 mars 2020 de leur campagne de dépistage du cancer de la thyroïde chez les jeunes de la province. Il s’agit du 39ème rapport. Les résultats détaillés sont ici en japonais. Une traduction officielle en anglais des principales données devrait être bientôt disponible et le blog Fukushima voices devrait proposer son propre résumé en anglais.

Les données publiées lors du 38ème rapport sont ici, à titre de comparaison.

Avec un dépistage tous les deux ans par échographie, les jeunes de moins de 18 ans qui participent en sont déjà à leur 4ème examen médical. Après 18 ans, le dépistage suivant se fait à l’âge de 25 ans. Les autorités japonaises préparent la cinquième campagne de dépistage qui a pris du retard à cause de la covid-19. Les résultats présentés lors de cette 39ème session sont résumés dans ce document en japonais.

Les principales données sont rassemblées dans le tableau ci-dessous. Il n’y a pas de changement dans les données relatives à la première campagne de dépistage. Concernant la deuxième campagne, deux enfants supplémentaires ont subi une intervention chirurgicale qui a confirmé la suspicion de cancer de la thyroïde. Il y a désormais 54 cas de cancer confirmé. Les résultats détaillés sont ici en japonais.

La troisième campagne de dépistage, dont les résultats sont détaillés ici en japonais, fait apparaître un cas de cancer de la thyroïde suspecté supplémentaire. Le nombre total est de 31 maintenant. Il y a aussi un enfant de plus qui a subi une intervention chirurgicale qui a confirmé la suspicion de cancer, ce qui porte à 27 le nombre de cas confirmés.

Lors de la quatrième campagne de dépistage, dont les résultats sont détaillés ici en japonais, 5 nouveaux cas de cancer suspecté sont apparus, pour atteindre un total de 21 cas. Parmi eux, 13 ont été confirmés par une intervention chirurgicale, soit 2 de plus que la dernière fois.

Pour les jeunes qui avaient moins de 18 ans lors de la catastrophe nucléaire, le dépistage continue après qu’ils aient passé l’âge de 18 ans. Le premier contrôle se fait à l’âge de 25 ans. Ainsi, parmi les jeunes concernés qui ont eu 25 ans depuis 2017, il y a 3 cas suspectés supplémentaires, ce qui porte le total à 7. Parmi eux, 4 ont été confirmés par une intervention chirurgicale, soit 3 de plus que la dernière fois.

On arrive donc à un total de 246 cas de cancers de la thyroïde suspectés chez les jeunes de Fukushima, dont 199 ont été confirmés lors d’une intervention chirurgicale. Il n’y a toujours qu’un seul cas qui s’est révélé être bénin après l’intervention (première campagne).

Le nombre de cas nouveaux, qui n’ont été détectés qu’à partir de la seconde campagne de dépistage (130), est plus élevé que le nombre de cas détectés lors de la première campagne (116), qui peut inclure des cancers qui existaient déjà avant la catastrophe nucléaire.

Le tableau ci-dessous montre que le nombre d’enfants dépistés diminue avec le temps, au fur et à mesure des campagnes. Le nombre de cas réels est donc plus élevé.

Dépistages avec résultatExamens complémentaires terminésCytoponctionsNombre de cancers suspectésNombre de cancers confirmés
Première campagne300 4722 091547116101
Deuxième campagne270 5291 8262077154
Troisième campagne217 9201 060783127
Quatrième campagne177 424647492113
Plus de 25 ans5 2341601374
Bilan des campagnes de dépistage du cancer de la thyroïde chez les jeunes de Fukushima au 31 mars 2020

Rappelons qu’il y a un an, le fond de soutien des enfants ayant un cancer de la thyroïde, créé en 2016, avait recensé au moins 17 cas supplémentaires, non pris en compte dans les données officielles, dont un qui avait moins de 5 ans au moment de la catastrophe.

Le dépistage gouvernemental n’a lieu que dans la province de Fukushima alors que les provinces voisines ont aussi été touchées par les retombées radioactives. Les cas de cancer de la thyroïde qui pourraient y apparaître échappent aux données officielles.

Les faibles doses de radiation provoquent des cancers selon une revue de 26 études scientifiques

L’Institut national du cancer des Etats-Unis vient de dédier un volume entier de son journal scientifique, Journal of the National Cancer Institute Monographs, à l’impact des faibles doses de radiation sur les cancers. Les articles sont en libre accès.

Dans son communiqué, l’Institut souligne : Après avoir passé au peigne fin les données de 26 études épidémiologiques, les auteurs ont trouvé des preuves évidentes d’un risque excessif de cancer dû à de faibles doses de rayonnements ionisants : 17 des 22 études ont montré un risque de cancers solides et 17 des 20 études ont montré un risque de leucémie. Les estimations sommaires des risques étaient statistiquement significatives et l’ampleur du risque (par unité de dose) correspondait aux résultats des études des populations exposées à des doses plus élevées.

Une caractéristique nouvelle de l’effort de recherche a été l’utilisation par les chercheurs de techniques épidémiologiques et statistiques pour identifier et évaluer les sources possibles de biais dans les données d’observation, par exemple les facteurs de confusion, les erreurs dans les doses et la classification erronée des résultats. Après un examen approfondi et systématique, ils ont conclu que la plupart d’entre eux ne souffraient pas de biais majeurs.

Les auteurs ont conclu que même si, pour la plupart, le risque absolu de cancer sera faible, les données renforcent le principe de la radioprotection pour garantir que les doses sont “aussi faibles que raisonnablement possible” (ALARA).

Des recherches supplémentaires sont nécessaires pour explorer les risques de maladies cardiovasculaires à faibles doses. Les maladies cardiovasculaires étant une maladie très courante, même de faibles risques à faibles doses pourraient avoir des implications importantes pour la radioprotection et la santé publique.

Les 26 études épidémiologiques ont été publiées entre 2006 et 2017 et ont porté sur un total de 91 000 cancers solides et 13 000 leucémies. Les études étaient admissibles si la dose moyenne était inférieure à 100 mGy. Les populations étudiées ont été exposées aux rayonnements environnementaux lors d’accidents, comme Tchernobyl, et aux rayonnements naturels, aux rayonnements médicaux comme les scanners CT et à l’exposition professionnelle, y compris celle des travailleurs du nucléaire et des travailleurs sous rayonnements médicaux. (Traduit avec l’aide de www.DeepL.com/Translator)

Ces résultats viennent contredire les affirmations des autorités japonaises qui ne cessent de répéter qu’il n’y a pas d’impact observé en dessous d’une dose de 100 mSv.

Du plutonium a été découvert dans des microparticules rejetées lors de l’accident nucléaire

Une partie des rejets radioactifs lors de l’accident nucléaire à la centrale de Fukushima daï-ichi était sous forme de microparticules vitreuses, très riches en césium. De telles particules ont été retrouvées jusqu’à 230 km de la centrale accidentée. Sous cette forme, les éléments radioactifs peuvent rester plus longtemps dans les poumons en cas d’inhalation.

Une étude scientifique confirme que du plutonium, particulièrement radiotoxique, a aussi été rejeté sous cette forme. L’accès à l’article est malheureusement payant, mais il est disponible à l’ACRO. Il y a aussi un communiqué de presse en japonais.

Il y a différents types de microparticules. Du plutonium avait déjà été identifié dans certaines d’entre elles, trouvées dans l’environnement proche de la centrale accidentée. Le ratio isotopique du plutonium y est similaire à celui du combustible nucléaire. Ainsi, ces microparticules ont pu incorporer des micro-fragments de combustible avant d’être transportés. Cette nouvelle étude porte sur trois microparticules trouvées à environ 4 km de la centrale, qui contiennent du plutonium et de l’uranium et confirment les conclusions précédentes.

Il est alors fort probable que des particules plus petites aient pu transporter du plutonium sur de plus grandes distances.

Le plutonium est connu pour être très radiotoxique. Une étude récente montre son impact sur les travailleurs du complexe militaro-industriel nucléaire de Mayak, en Oural. Il s’agit du premier site qui a fabriqué du plutonium pour les bombes soviétiques. Il n’y avait aucune protection au début et il y a eu de forts rejets, certains accidentels. La situation radiologique ne peut en aucun cas être comparée à celle de Fukushima. Cependant, cette étude, qui se base sur des autopsies, confirme la forte radiotoxicité du plutonium.

Tribune d’un rapporteur spécial de l’ONU : la gestion des déchets radioactifs est aussi une décision relative aux droits humains

L’agence de presse Kyodo a publié une tribune, reprise par le Maïnichi, de Baskut Tuncak, rapporteur spécial de l’ONU depuis 2014 sur les implications pour les droits humains de la gestion et de l’élimination écologiquement correcte des substances et déchets dangereux. La voici en français :

Dans quelques semaines, le gouvernement japonais aura l’occasion de montrer au monde entier à quel point il attache de l’importance à la protection des droits humains et de l’environnement et au respect de ses obligations internationales.

Au lendemain de la catastrophe nucléaire de Fukushima daï-ichi, moi-même et d’autres rapporteurs spéciaux de l’ONU avons constamment exprimé nos préoccupations quant aux approches adoptées par le gouvernement japonais. Nous avons craint que le relèvement des “limites acceptables” d’exposition aux radiations pour inciter à la réinstallation ne viole les obligations du gouvernement en matière de droits humains envers les enfants.

Nous nous sommes inquiétés de l’exploitation possible des migrants et des pauvres pour les travaux de décontamination radioactive. Notre préoccupation la plus récente est la façon dont le gouvernement a utilisé la crise COVID-19 pour accélérer considérablement son calendrier de décision concernant le déversement dans l’océan des eaux radioactives qui s’accumulent à Fukushima daï-ichi.

En mettant de côté les devoirs de consultation et de protection qui incombent au Japon en vertu du droit international, je suis attristé de penser qu’un pays qui a subi les horreurs d’être le seul sur lequel non pas une mais deux bombes nucléaires ont été larguées pendant la guerre, continuerait sur cette voie pour faire face aux conséquences radioactives de la catastrophe de Fukushima daï-ichi.

Le rejet des eaux usées toxiques collectées à la centrale nucléaire de Fukushima serait, sans aucun doute, un coup terrible porté aux moyens de subsistance des pêcheurs locaux. Indépendamment des risques sanitaires et environnementaux, l’atteinte à la réputation serait irréparable, une cicatrice invisible et permanente sur les produits de mer locaux. Aucune somme d’argent ne peut remplacer la perte de culture et de dignité qui accompagne ce mode de vie traditionnel pour ces communautés.

Les communautés de Fukushima, si dévastées par les événements tragiques du 11 mars 2011, ont exprimé ces dernières semaines leurs préoccupations et leur opposition au rejet de l’eau contaminée dans leur environnement. C’est leur droit à un environnement qui leur permette de vivre dans la dignité, de profiter de leur culture et de ne pas être délibérément exposées à une contamination radioactive supplémentaire. Ces droits doivent être pleinement respectés et ne doivent pas être ignorés par le gouvernement de Tôkyô.

Le déversement de déchets nucléaires dans l’océan pourrait nuire aux relations internationales du Japon. Les pays voisins sont déjà préoccupés par le rejet d’importants volumes de tritium radioactif et d’autres contaminants dans les eaux usées.

Le Japon a le devoir, en vertu du droit international, de prévenir les dommages environnementaux transfrontaliers. Plus précisément, en vertu de la Convention de Londres, le Japon a l’obligation de prendre des précautions en ce qui concerne le déversement de déchets dans l’océan. Compte tenu de l’incertitude scientifique quant aux effets sur la santé et l’environnement de l’exposition à des rayonnements de faible intensité, le rejet de ces eaux usées serait totalement incompatible avec l’esprit, sinon la lettre, de cette loi.

Les peuples autochtones ont un droit internationalement reconnu au consentement libre, préalable et éclairé. Cela inclut l’élimination des déchets dans leurs eaux et les actions susceptibles de contaminer leur alimentation. Quelle que soit l’importance de la contamination de leur eau et de leur nourriture, le gouvernement japonais a l’obligation incontestable de consulter les peuples indigènes potentiellement affectés, obligation qu’il n’a pas remplie.

Le gouvernement japonais n’a pas, et ne peut pas, s’assurer de consultations significatives comme l’exige le droit international des droits de l’homme pendant la pandémie actuelle. Rien ne justifie un calendrier aussi dramatiquement accéléré pour la prise de décision pendant la crise de la covid-19. Le Japon dispose de l’espace physique nécessaire pour stocker les eaux usées pendant de nombreuses années.

Depuis six ans, je présente un rapport annuel au Conseil des droits de l’homme des Nations unies. Qu’il s’agisse des droits de l’enfant ou des droits des travailleurs, dans presque toutes les discussions aux Nations unies, la situation de Fukushima daï-ichi est soulevée par des observateurs inquiets, afin que le monde entier puisse l’entendre. Les organisations intervenantes ont demandé année après année au gouvernement japonais de leur adresser une invitation à se rendre sur place afin que je puisse faire des recommandations pour améliorer la situation. Je regrette que mon mandat arrive à son terme sans cette possibilité, malgré mes demandes répétées de visite et d’évaluation de la situation.

La catastrophe de 2011 ne peut être annulée. Toutefois, le Japon a encore la possibilité de minimiser les dégâts. À mon avis, il existe de graves risques pour les moyens de subsistance des pêcheurs au Japon et pour sa réputation internationale. Une fois de plus, j’invite le gouvernement japonais à réfléchir à deux fois à son héritage : en tant que véritable champion des droits de l’homme et de l’environnement, ou pas.

Traduit avec l’aide de www.DeepL.com/Translator

CODIRPA : vers une reconnaissance du risque de contamination de l’eau potable en cas d’accident nucléaire grave

En juillet 2019, l’ACRO alertait sur la contamination en tritium de l’eau du robinet de plus de 6 millions de d’habitants de la métropole, dont environ 4 millions rien qu’en Ile de France. En cas d’accident grave sur une des centrales nucléaires sur la Seine, la Vienne ou la Loire, il n’y aura pas que le tritium rejeté et ce sont des millions de personnes qui risquent d’être privées d’eau potable. L’ACRO demandait que la pollution radioactive soit prise en compte dans les plans « ORSEC eau potable » qui doivent être établis pour le 31 décembre 2020 au plus tard et qu’ils fassent l’objet d’une consultation du public.

En début d’année 2020, l’ACRO a publié une étude montrant qu’en Ukraine, l’eau potable de 8 millions d’habitants est toujours polluée par les retombées radioactives de la catastrophe en Tchernobyl, qui a eu lieu en 1986. En cas d’accident en France, les conséquences risquent d’être tout aussi durables. Il est donc important de s’y préparer.

Dans un courrier daté du 18 juin 2020 adressé au président de l’Autorité de sûreté nucléaire, le Premier ministre donne un nouveau cadre au comité directeur pour la gestion de la phase post-accidentelle d’un accident nucléaire ou d’une situation d’urgence radiologique (Codirpa) mis en place en juin 2005. Durant la période 2020-2024, le Codirpa devra notamment prendre en compte « un rejet de substances radioactives dans les milieux aquatiques, qu’ils soient marins, lacustres ou fluviaux ». C’est une belle victoire pour l’ACRO !

En revanche, rien ne semble avoir avancé du côté des plans « Orsec eau potable » alors que l’échéance approche !

Le courrier du premier ministre demande aussi une révision du plan national de réponse à une accident radiologique ou nucléaire majeur. Espérons que la société civile sera associée et consultée cette fois-ci, conformément aux recommandations internationales qui sont ignorées par les autorités qui ne retiennent que ce qui les arrange.

La Suède étend les zones de préparation à l’urgence nucléaire

Suite à la catastrophe nucléaire de Fukushima, l’Autorité de sûreté nucléaire et de radioprotection suédoise a fini par revoir ses plans d’urgence. En 2017, elle a publié des recommandations qui viennent d’être adoptée par le gouvernement et seront appliquées au 1er juillet 2020. Il était temps, alors que l’on s’approche du 10ème anniversaire de la catastrophe nucléaire japonaise.

Il y a d’abord une zone réflexe d’un rayon de 5 km environ dans laquelle il y aura évacuation prioritaire. Dans la zone d’urgence d’un rayon de 25 km, il faut aussi se préparer à évacuer. De l’iode sera distribué à toute la population dans ce rayon. La population sera aussi informée des risques et des mesures de protection. La Suède a aussi introduit une zone élargie d’un rayon de 100 km où des mesures de protection pourraient être appliquée en cas d’accident grave. Une mise à l’abri et la distribution d’iode après l’accident doivent y être possibles. Le déplacement des populations dépendra des retombées radioactives.

Le communiqué dit que la Suède va respecter les exigences internationales qui prennent en compte le retour d’expérience de la catastrophe de Fukushima. Mais il lui faut encore mettre en place ces mesures (stock d’iode, instruments de mesure, plans d’urgence…).

Il est à noter que le rapport définissant les zones de préparation à l’urgence nucléaire est accompagné d’annexes présentant les installations nucléaires, les scénarios d’accident et des calculs de dispersion de la pollution radioactive. En France, les plans d’urgence et les distances retenues ne sont pas justifiés et expliqués.

Dernières données sur les cancers de la thyroïde : 5 cas confirmés supplémentaires

En mai dernier, les autorités régionales de Fukushima ont mis en ligne les derniers résultats à la date du 31 décembre 2019 de leur campagne de dépistage du cancer de la thyroïde chez les jeunes de la province. Il s’agit du 38ième rapport. Les résultats détaillés sont ici en japonais. Une traduction officielle en anglais des principales données devrait être bientôt disponible et le blog Fukushima voices devrait proposer son propre résumé en anglais.

Les données publiées lors du 37ième rapport sont ici, à titre de comparaison.

Avec un dépistage tous les deux ans par échographie, les jeunes de moins de 18 ans qui participent en sont déjà à leur 4ième examen médical. Après 18 ans, le dépistage suivant se fait à l’âge de 25 ans. Les autorités japonaises préparent la cinquième campagne de dépistage qui a pris du retard à cause de la covid-19. Les résultats présentés lors de cette 38ième session sont à la date du 31 décembre 2019. Ils sont résumés dans ce document en japonais. Il n’y a pas de changement relatif aux deux premières campagnes de dépistage. Pour les plus de 25 ans, ce sont toujours les données au 30 septembre qui sont affichées. Pas de changement donc, par rapport à la dernière fois.

Pour la troisième campagne de dépistage, qui a débuté le 1er mai 2016, les derniers résultats détaillés font apparaître 2 cas supplémentaires de cancers de la thyroïde confirmés après une intervention chirurgicale, par rapport à la dernière fois. Voir le tableau ci-dessous pour plus de détail.

La quatrième campagne de dépistage, dont les résultats détaillés sont ici, fait apparaître 3 cas supplémentaires confirmés par chirurgie. Voir tableau.

On arrive donc à un total de 237 cas de cancers de la thyroïde suspectés chez les jeunes de Fukushima, dont 191 ont été confirmés lors d’une intervention chirurgicale. Il n’y a toujours qu’un seul cas qui s’est révélé être bénin après l’intervention (première campagne).

Dépistages avec résultat Examens complémentaires terminés Cytoponctions Nombre de cancers suspectés Nombre de cancers confirmés
Première campagne 300 472 2 091 547 116 101
Deuxième campagne 270 529 1 826 207 71 52
Troisième campagne 217 908 1 058 77 30 26
Quatrième campagne 148 993 503 34 16 11
Plus de 25 ans 4 239 127 10 4 1

Rappelons que, selon le fond de soutien des enfants ayant un cancer de la thyroïde, créé en 2016, il y aurait au moins 17 cas supplémentaires, non pris en compte dans les données officielles : 16 d’entre eux auraient été diagnostiqués lors de contrôles effectués par les parents en dehors de la province de Fukushima, et un cas avait déjà oublié par le passé. L’un d’entre eux avait moins de 5 ans au moment de la catastrophe nucléaire. Evidemment, il y a probablement d’autres cas non recensés.

A ces chiffres, on peut ajouter les 4 cas découverts à Marumori, au Sud de la province voisine de Miyagi.

Fukushima en forme olympique : bilan chiffré pour le 9ième anniversaire

A l’approche du neuvième anniversaire de la catastrophe nucléaire à la centrale de Fukushima, voici un bilan chiffré effectué à partir des médias, des sites officiels et des 2 600 articles de ce site. Des mises à jour seront faites régulièrement.

Les chiffres clé publiés à l’occasion du huitième anniversaire sont ici.

Avant de commencer, un haïku cité par Le Monde :

Fukushima

la lune d’hiver

sur une ville morte

Bonne lecture…

Situation des réacteurs

En janvier 2020, TEPCo a mis en ligne une vidéo en anglais pour vanter les progrès à la centrale accidentée de Fukushima daï-ichi qui n’a pas grand intérêt. Mais elle permet d’avoir des images du site. Le dernier bilan du ministère de l’industrie (METI) est ici en anglais.

En 2017, TEPCo avait publié une carte de sa centrale avec le débit de dose ambient. Il y a aussi cette carte au plus près des réacteurs. Il n’y en a pas de nouvelle sur le site Internet de la compagnie.

Réacteur n°4

La cuve était vide le 11 mars 2011 et il n’y a pas eu de fusion du cœur, mais une explosion hydrogène a détruit le bâtiment réacteur. Depuis décembre 2014, la piscine de combustible du réacteur a été vidée et les travaux sont arrêtés car il n’est plus menaçant.

La carte avec quelques valeurs de débit de dose ambiant date de 2016.

Réacteur n°3

Il y a eu une fusion du cœur et une explosion hydrogène a détruit le bâtiment réacteur. Tous les débris de la partie haute ont été retirés à l’aide d’engins télécommandés. Un nouveau bâtiment avec un toit, de forme cylindrique, a été construit. Le retrait des combustibles a débuté en avril 2019, avec 4 ans de retard par rapport au planning initial, avant d’être suspendues jusqu’en juillet. Puis, les opérations se sont révélées être plus compliquées que prévu, car, selon TEPCo, douze assemblages neufs étaient endommagés. Ils sont dans la zone où la grue était tombée lors de l’accident. Ce n’est que le 25 janvier dernier, que TEPCo a fini de retirer tous les combustibles neufs. Elle a ensuite débuté le retrait des combustibles usés. A la date du 6 février, TEPCo en avait retiré 18.

Il y avait 566 assemblages dans cette piscine (52 neufs, tous retirés et 514 usés). La page dédiée de TEPCo est ici en anglais. Une vidéo de présentation des opérations, ici en anglais.

Il y aurait entre 188 et 394 tonnes de corium dans ce réacteur, avec une valeur nominale à 364 tonnes pour le réacteur n°3. Ce dernier contient du combustible MOx, à base de plutonium. Pour en savoir plus.

En décembre 2019, l’autorité de régulation nucléaire a mis en ligne une vidéo qu’elle a prise lors d’une inspection à l’intérieur du bâtiment réacteur n°3. Les images datent du 12 décembre 2019. Pour des explications, voir l’article dédié.

La carte avec quelques rares valeurs de débit de dose ambiant date de 2016.

Réacteur n°2

Il y a eu fusion du cœur, mais le bâtiment réacteur est entier. TEPCo n’a pas commencé à retirer les combustibles usés de la piscine. La compagnie a envoyé plusieurs robots dans l’enceinte de confinement afin de localiser le corium, ce mélange de combustible fondu et de débris. Il y aurait entre 189 et 390 tonnes de corium dans ce réacteur, avec une valeur nominale à 237 tonnes. Pour en savoir plus.

TEPCo avait envoyé un robot au contact du corium en février 2019. Les images étaient impressionantes :

Les autorités et TEPCo maintiennent un début des opérations de retrait du corium en 2021, avec des tests en 2020. Pour ce faire, TEPCo envisage d’insérer un bras articulé dans l’enceinte de confinement et de retirer petit morceau par petit morceau de l’ordre d’un gramme à la fois. La compagnie espère pourvoir ensuite retirer plusieurs kilogrammes par jour, comme l’explique le Maïnichi.

TEPCo a aussi débuté le démantèlement de la cheminée de rejet commune aux réacteurs 1 et 2. D’une hauteur de 120 m, elle est très contaminée suite aux rejets radioactifs qui ont eu lieu lors de l’accident. Son démantèlement est donc complexe.

Enfin, le retrait des combustibles usés de la piscine du réacteur n°2 a pris du retard : ce sera désormais aux alentours de 2024 et 2026. Ce serait dû aux niveaux de dose ambiant dans le bâtiment réacteur. Juste au dessus du cœur, un robot envoyé par l’autorité de régulation nucléaire a mesuré jusqu’à 683 mSv/h.

La carte avec quelques valeurs de débit de dose ambiant date de 2016.

Réacteur n°1

Il y a eu une fusion du cœur et une explosion hydrogène a détruit le bâtiment réacteur. Ce bâtiment avait été recouvert d’une nouvelle structure en 2011, qui a été entièrement démantelée en novembre 2016. TEPCo a commencé à retirer les débris de la partie haute du réacteur, pour, ensuite, reconstruire une nouvelle structure afin de vider la piscine de combustibles. Depuis, la compagnie est peu prolixe sur l’avancement des travaux.

TEPCo a aussi débuté le démantèlement de la cheminée de rejet commune aux réacteurs 1 et 2. D’une hauteur de 120 m, elle est très contaminée suite aux rejets radioactifs qui ont eu lieu lors de l’accident. Son démantèlement est donc complexe.

En revanche, le retrait des combustibles usés de la piscine du réacteur n°1 a pris du retard : ce sera au mieux, 2027, voire 2028. La première date envisagée pour commencer ce retrait était 2018… Le gouvernement espère que le retrait des combustibles des 6 réacteurs sera terminé en mars 2032 (4 741 assemblages).

Il y aurait entre 232 et 357 tonnes de corium dans ce réacteur, avec une valeur nominale à 279 tonnes. Pour en savoir plus.

L’envoi d’un robot dans l’enceinte de confinement a aussi pris du retard.

La carte avec quelques valeurs de débit de dose ambiant date de 2016. Cela monte jusqu’à 24 mSv/h alors que la limite pour les travailleurs est de 20 mSv par an !

Réacteurs 5 et 6

Les réacteurs 5 et 6 étaient partiellement déchargés le 11 mars 2011 et un générateur diesel de secours était encore fonctionnel, ce qui a permis d’éviter la fusion du cœur. Ces réacteurs sont maintenant entièrement déchargés et vont être démantelés.

Eau contaminée

L’eau contaminée qui continue à s’accumuler est l’autre grand défi auquel doit faire face TEPCo, même si, en 2013, le premier ministre avait déclaré devant le comité international olympique que la situation est sous contrôle.

Résumé de la situation

Le combustible qui a fondu et percé les cuves doit toujours être refroidi. A cette fin, TEPCo injecte environ 70 m3 d’eau par jour dans chacun des réacteurs 1, 2 et 3 (source). Cette eau se contamine fortement au contact du combustible fondu et s’infiltre dans les sous-sols des bâtiments réacteur et turbine où elle se mélange à l’eau des nappes phréatiques qui s’y infiltre.

Au début de la catastrophe, les infiltrations s’élevaient à environ 400 m3 par jour, qui se contaminaient et qu’il fallait entreposer dans des cuves. Inversement, l’eau des sous-sols, fortement contaminée, fuyait vers la nappe puis l’océan.

Pour réduire les infiltrations d’eau souterraine, TEPCo pompe dans la nappe phréatique en amont des réacteurs, avant que cette eau soit contaminée et la rejette directement dans l’océan. Elle a aussi construit une barrière tout le long du littoral et pompe aussi les nappes phréatiques au pied des réacteurs. Une partie de cette eau est partiellement décontaminée et rejetée dans l’océan. Une autre partie, trop contaminée, est mélangée à l’eau pompée dans les sous-sols des réacteurs pour être mise dans des cuves après traitement, en attendant une meilleure solution.

La dernière barrière mise en place est le gel du sol tout autour des 4 réacteurs accidentés, sur 1,4 km dans le but de stopper les infiltrations. Après de nombreux déboires, le gel est terminé depuis novembre 2017. Elle a permis de réduire les infiltrations, mais pas de les stopper. La mise en place du mur gelé a coûté 34,5 milliards de yens (265 millions d’euros) aux contribuables auxquels il faut ajouter plus d’un milliard de yens (8 millions d’euros) par an pour l’électricité.

Depuis, les infiltrations ne sont plus que de l’ordre de 100 m3/j (source). C’est beaucoup plus en cas de fortes pluies.

Flux et stocks

TEPCo pompe l’eau contenue dans les sous-sols des bâtiments réacteur et turbine des 4 réacteurs accidentés pour éviter les débordements. Comme cette eau est très contaminée, elle est traitée puis entreposée dans des cuves sur le site de la centrale. Une partie est réinjectée pour le refroidissement. Le dernier bilan fait état d’un surplus à stocker de 90 m3/j. C’est monté à plus de 600 m3/j lors du passage des typhons en octobre 2019. Le stock s’accroît de 50 000 à 60 000 m3 par an (source).

TEPCo retire 62 radioéléments, mais il reste notamment le tritium, de l’hydrogène radioactif, qu’il est difficile de séparer. La compagnie a portail internet dédié au problème de l’eau contaminée, oups, traitée, sur lesquel il n’y a pas énormément d’information.

TEPCo publie régulièrement un point sur ses stocks et flux. Dans le dernier en date, il est dit que la compagnie a déjà traité complètement ou partiellement plus de 2,2 millions de mètres cube d’eau. Le stock d’eau traité, quant à lui, s’élève à la moitié environ : 1 111 921 m3, auxquels il faut ajouter 66 153 m3 pour lesquels, seul le strontium a été retiré. Il y a aussi environ 11 470 m3 dans les sous-sols et 13 660 m3 dans d’autres bâtiments. La somme dépasse les 1,2 millions de mètres cube.

Selon le portail, il y a un millier de cuves sur le site : 863 sont utilisées pour de l’eau complètement traités (avec ALPS), 111 sont avec de l’eau partiellement traitée dans laquelle seuls le strontium et le césium ont été filtrés. TEPCo estime ne plus avoir de place sur le site de sa centrale pour mettre de nouvelles cuves à partir de 2022. Cela permettra au Japon de laisser passer les JO de l’été 2020…

Que faire de cette eau ?

Que faire de cette eau traitée ? Après avoir envisagé plusieurs pistes peu réalistes, les autorités restreignent petit à petit les pistes au rejet dans l’océan, ce qui n’est pas une surprise. Lors de la dernière annonce, en décembre 2019, la piste du rejet dans l’atmosphère via l’évaporation était gardée, pour la forme. Voir le rapport en anglais du groupe de travail dédié au devenir de cette eau, daté du 10 février 2020, pour plus de détails. Le gouvernement japonais a déjà informé une vingtaine d’ambassades de ses projets.

Officiellement il resterait plus que du tritium (hydrogène radioactif) dans l’eau traitée, qu’il est difficile de séparer et stocker. Toutes les installations en fonctionnement normal le rejette. En France, on en retrouve dans l’eau potable de plus de 10% de la population, comme l’ACRO l’a révélé.

Le ministère de l’industrie, dans son dernier bilan, mentionne une concentration moyenne de 730 000 Bq/L, ce qui est plus que la limite autorisée, fixée à 60 000 Bq/L. Sur la dernière courbe de ce document de TEPCo, la concentration en tritium a pu atteindre plusieurs millions de becquerels par litre. Tout le stock dépasse la limite de rejet, sans exception, mais, il suffit de diluer, comme cela est fait en fonctionnement normal.

Le problème est plutôt du côté du stock total. Selon le dernier bilan du ministère de l’industrie, il y aurait 860 TBq de tritium dans les cuves (1 TBq = 1012 Bq). Comme la centrale de Fukushima daï-ichi n’est pas autorisée à rejeter plus de 22 TBq de tritium par an, il faudra 20 ans, en tenant en compte la décroissance radioactive, pour tout rejeter en respectant cette limite, qui n’est jamais évoquée dans la communication officielle… Mais, la plus grande partie du tritium se trouve encore dans le combustible. En 2014, TEPCo estimait qu’il en restait encore 2 500 TBq, qui vont continuer à contaminer l’eau de refroidissement tant qu’il faudra refroidir les coriums…

A titre de comparaison, l’autorisation de rejet en mer de l’usine Areva de La Hague est, pour le seul tritium, de 18 500 TBq et les rejets effectifs de ces dernières années variaient entre 11 600 et 13 400 TBq par an. Le stock de tritium dans les cuves de Fukushima représente donc deux semaines et demi de rejets à La Hague. Le stock total, avec ce qui reste dans les combustibles, 2 mois… De quoi rendre jalouses les autorités japonaises, qui se font un malin plaisir de rappeler les rejets en tritium de nombreuses autres installations nucléaires de par le monde (page 13 du dernier bilan du ministère de l’industrie) :

Cette carte ne mentionne aucun rejet au Japon ! En particulier, elle ne parle pas des rejets attendus de l’usine de retraitement japonaise de Rokkashô-mura. La valeur cible y est de 9 700 TBq par an pour le tritium (source). Mais, l’usine n’a jamais démarré…

Le problème principal est qu’il ne reste pas que le tritium dans l’eau traitée. En 2018, TEPCo a fini par admettre que 80% du stock d’eau traitée avait une contamination résiduelle qui dépasse, en concentration, les autorisations de rejet en mer pour plusieurs autres radioéléments. La concentration en strontium, particulièrement radio-toxique, peut atteindre 600 000 Bq/L, ce qui est environ 20 000 fois plus que la limite autorisée. Environ 161 000 m3 auraient une concentration de l’ordre de 10 à 100 fois la limite, auxquels il faut ajouter 65 000 autres mètres cube, avec jusqu’à 20 000 fois la limite, selon TEPCo. Un nouveau traitement est donc nécessaire.

Le dernier bilan du ministère de l’industrie, fait état que la part du stock à traiter une deuxième fois est de 72%. Cette baisse s’explique par l’augmentation du volume total. Le rapport du groupe de travail dédié au devenir de cette eau dit clairement qu’il ne peut pas être affirmé que l’eau traitée est purifiée. Il recommande un nouveau traitement de cette eau et un contrôle par un tiers. Mais, comme nous l’avons rapporté, selon le journal britannique The Telegraph, le gouvernement japonais refuse toute mesure indépendante de l’eau qu’il souhaite rejeter dans l’océan. TEPCo se justifie en disant que le niveau de contamination résiduel fait qu’il n’est pas possible de la transporter en dehors du site sans des procédures de protection strictes.

Selon un sondage, 57% des habitants de la province de Fukushima sont opposés au rejet dans l’océan.

Contamination des nappes phréatiques et de l’océan

L’eau des nappes phréatiques sous le site de la centrale est contaminée. Au niveau du “bypass”, en amont des réacteurs, sous les cuves, là où TEPCo pompe pour rejeter l’eau en mer, il y a du tritium, à des niveaux pouvant atteindre 1 300 Bq/L dans le puits n°10 (source). Pour les autres puits, c’est ici. Le mélange des eaux des différents puits conduit à un niveau de tritium de 120 Bq/L avant rejet (source). C’est bien en dessous e la concentration maximale autorisée.

Au pied des réacteurs, la pollution radioactive est beaucoup plus forte. Dans ce tableau, la contamination bêta totale (hors tritium) atteint 160 000 Bq/L. Ce doit être essentiellement du strontium.

Dans les sous-sols des réacteurs, ce tableau donne une concentration en césium-137 de 41 millions de becquerels par litre (attention, le tableau est en Bq/cm3). Après traitement, il reste encore de l’ordre de 300 Bq/L. Pour le strontium, la valeur d’entrée n’est pas indiquée, mais après traitement, il reste encore 22 000 Bq/L ! Le tritium, qui n’est pas filtré est à 880 000 Bq/L.

Pour l’océan, ce tableau de l’Autorité de régulation nucléaire japonaise, met en évidence un impact de la centrale de Fukushima signé par la présence de césium-134 qui a une demi-vie de 2 ans. En revanche, les niveaux sont très faibles. On retrouve une faible contamination en césium-137 plus au large, à des niveaux toujours très faibles (source). Il y a des données encore plus éloignées. Le lessivage des sols contaminés contribue aussi. Ce document contient d’autres données datées de janvier 2020.

Travailleurs à la centrale accidentée

Données

Les données officielles sont ici en anglais sur le site internet du ministère du travail. Le nettoyage du site ainsi que le bétonnage et l’asphaltage ont permis de réduire l’exposition des travailleurs. Les mesures de protection nécessaires en fonction du zonage sont ici.

Du 11 mars 2011 au 31 mars 2016, 46 956 travailleurs ont été exposés aux rayonnements ionisants sur le site de la centrale accidentée de Fukushima daï-ichi, dont 42 244 sous-traitants. Ce sont les sous-traitants qui prennent les doses les plus élevées, avec une moyenne qui varie de 0,51 à 0,56 mSv par mois entre Janvier et Février 2016. C’est entre 0,18 et 0,22 pour les salariés de TEPCo.

• Le 1er avril 2016, TEPCo a remis tous les compteurs à zéro. Ainsi, 174 travailleurs qui avaient dépassé la limite de dose de 100 mSv sur 5 ans peuvent revenir. Depuis cette date, et jusqu’au 31 décembre 2019, 22 356 personnes ont été exposées aux rayonnements ionisants à la centrale de Fukushima daï-ichi, dont, 90% de sous-traitants qui ont pris 95% de la dose collective de 130 hommes.sieverts. La dose moyenne annuelle sur cette période est de 1,55 mSv. La dose la plus forte reçue est de 79,9 mSv et c’est un sous-traitant qui l’a prise (source).

Il y a eu entre 6 667 et 6 910 personnes exposées aux rayonnements ionisants par mois entre octobre et décembre 2019, dont environ 85% de sous-traitants. La dose moyenne mensuelle est d’environ 0,35 mSv. La dose mensuelle la plus forte du trimestre est de 12,12 mSv en décembre 2019. Sur ce même trimestre, les sous-traitants ont pris 95% de la dose collective de 6,9 hommes.sieverts.

TEPCo donne des résultats pour les doses à la peau et au cristallin, ainsi que la répartition des doses par classe d’âge et par mois.

Le dernier bilan du ministère du travail sur les violations du droit du travail à la centrale de Fukushima daï-ichi et sur les chantiers de décontamination est ici en anglais. Il concerne l’année 2018.

Travailleurs étrangers

Le Japon est en pénurie de main d’œuvre dans plusieurs secteurs et a introduit un nouveau visa pour faire venir des personnes qualifiées dans un nombre limités de domaines. En avril 2019, TEPCo avait incité ses sous-traitants à bénéficier de cette opportunité. Mais, le ministère du travail, de la santé et des affaires sociales a appelé TEPCo à la prudence en lui rappelant que les travailleurs étrangers bénéficient du même niveau de protection que les travailleurs japonais face aux rayonnements ionisants et à ce qu’ils doivent connaître suffisamment bien la langue pour pouvoir comprendre les instructions. La compagnie a finalement renoncé (source).

Maladies professionnelles

Pour les maladies professionnelles, pas de changement depuis l’an dernier : deux cas de cancer de la thyroïde ont été reconnus comme étant d’origine professionnelle parmi les travailleurs à la centrale accidentée (premier cas et deuxième cas). Il y a aussi trois leucémies (premier, deuxième et troisième cas) et un décès. 16 travailleurs en tout auraient fait une demande de reconnaissance de maladie professionnelle et 5 dossiers auraient déjà été rejetés.

Cartographie de la pollution radioactive

• La dernière cartographie aérienne de la pollution radioactive autour de la centrale accidentée de Fukushima daï-ichi effectuée par les autorités date de novembre 2019 et est disponible en ligne sur le site dédié.

• L’Autorité de régulation nucléaire publie aussi des données sur les débits de dose ambiants, mais elles ne sont plus mises à jours, pour la plupart. Voici quelques données sélectionnées :

Carte officielle de la province de Fukushima avec des débits de dose ambiants.

Cette carte donne les débits de dose mesurés dans tout le pays. Elle est mise à jour toutes les heures.

• Le “soil project” propose une carte basée sur des prélèvements de sols effectués par le réseau de stations de mesure et de laboratoires indépendants. Chikurin, le laboratoire monté au Japon avec le soutien financier et technique de l’ACRO est membre de ce réseau.

Lien vers la carte.

• Safecast : cette organisation utilise un radiamètre “maison” branché sur un smartphone pour mesurer le débit de dose ambiant. La carte regroupant les données est ici.

Décontamination et déchets radioactifs

Décontamination

Les travaux de décontamination sont terminés depuis mars 2018, sauf dans les zones dites de retour difficile. Pas grand chose de neuf, donc. Une carte en japonais du ministère de l’environnement permet d’accéder à quelques données sur les travaux effectués.

Pour les zones de retour difficile, ce sont de petits îlots qui sont décontaminés, essentiellement pour des raisons idéologiques. C’est aussi le cas à proximité des gares le long de la ligne Jôban. La ligne devrait être entièrement rouverte en mars 2020 après la réhabilitation de la portion de 20,8 km située entre Tomioka et Namié. Le gouvernement va lever l’ordre d’évacuer à proximité des gares d’Ôno, à Ôkuma et de Futaba. Les dates sont le 4 mars 2020 pour Futaba, le 5 mars 2020 pour Ôkuma et le 10 mars pour Tomioka. Le train devrait reprendre du service à partir du 14 mars 2020.

Le parcours de la flamme olympique devrait aussi traverser des zones reconquises, à partir du 26 mars. Voir le site des JO. Mais, certains points chauds sur le parcours ont fait parer d’eux. Des données officielles de débit de dose ambiant sont dans ce tableau en anglais. Le seuil à partir duquel des travaux de décontamination doivent être engagés est de 0,23 µSv/h. Il correspond à 1 mSv/an, si l’on passe l’année sur place (voir nos explications). Ce seuil est dépassé le long du parcours de la flamme. Cette exposition aux rayonnements ionisant n’est justifiée par aucun bénéfice.

Un article scientifique de revue, en libre accès, fait le point sur la décontamination au Japon. Il se base sur une cinquantaine de publications scientifiques et ne prend pas en compte la littérature grise, à savoir les rapports officiels que l’on peut trouver en ligne sur les sites internet de différents ministères ou organisations internationales. Il n’apporte pas d’information nouvelle. Cependant, l’article précise que la gestion des déchets est responsable de 50% du coût total de la décontamination.

La page officielle du ministère de l’environnement est ici en anglais.

Déchets issus de la décontamination

Les immenses volumes de déchets engendrés par les travaux de décontamination continuent de poser des problèmes insolubles. Voir le cahier d’acteur sur le sujet, que nous avons écrit pour le débat national sur le plan national de gestion des matières et déchets radioactifs (PNGMDR) qui a eu lieu l’an dernier.

A noter que le typhon Hagibis, qui a frappé le Japon à l’automne 2019, a emporté 91 sacs de déchets radioactifs, selon un bilan officiel. 40 n’ont pas été retrouvés.

Dans son dernier bilan, daté de décembre 2019, le ministère de l’environnement fait état de 17 millions de mètres cubes de sols contaminés accumulés. Ces déchets ont vocation à être entreposés pendant 30 ans sur un site de 16 km2 (1 600 ha) qui entoure la centrale de Fukushima daï-ichi, en zone de retour difficile (voir le site Internet officiel). Le gouvernement aurait acheté ou loué 88,5% des terrains.

Le transport se fait par camion de 10 tonnes essentiellement, qui protégés par une bâche avec une affiche verte à l’avant, comme sur cette photo prise par Chikurin, le laboratoire que l’ACRO a soutenu au Japon. En 2018, c’était environ 1 000 camions par jour ! Et entre 2 000 et 2 400 en 2019 !

Selon le ministère de l’environnement, 5,2 millions de mètres cube ont déjà été transportés vers ce site, ce qui ne représente que 37,2% des 14 millions de mètres cube prévus. La moitié environ a été transportée en 2019. Le gouvernement espère toujours avoir quasiment fini en mars 2022 (fin de l’année fiscale 2021). Extrait de la communication officielle :

Après, au bout de 30 ans, les autorités envisagent un “recyclage” de ces sols pour la construction de routes, digues… Cette politique fait l’objet d’une forte opposition, y compris parmi les experts officiels. Une consultation sur Internet vient d’avoir lieu sur le sujet. Il est étonnant que d’énormes moyens soient déployés pour rassembler les déchets et les isoler du mieux possible, avant de les disperser dans tout le pays. La logique nous échappe. Deux projets tests sont en cours à Minami-Sôma et Iitaté.

Selon un sondage, 80% des habitants de la province de Fukushima ne croient pas à l’engagement du gouvernement de reprendre les déchets au bout de 30 ans.

Pour lutter contre les rumeurs néfastes relatives au “recyclage” des terres contaminées, le ministère de l’environnement japonais a trouvé la solution : mettre une plante en pot avec de la terre radioactive au ministère à Tôkyô ! Heureusement, le ridicule ne tue pas.

Les déchets organiques, quant à eux, sont incinérés dans une vingtaine d’incinérateurs répartis dans toute la province de Fukushima :

Certains étaient dédiés aux déchets ménagers avant la catastrophe nucléaire et d’autres ont été construits spécialement. Les cendres seront mises en fûts bétonnés et stockées dans ce qui s’appelait le “Fukushima Eco Tech Clean Center”, un centre d’enfouissement de déchets industriels qui a été nationalisé depuis. Les autres déchets spéciaux y seront aussi stockés.

De nombreux autres déchets, comme des boues de station d’épuration radioactives ou des cendres d’incinérateurs de déchets ménagers sont toujours en attente de solution dans de nombreuses provinces. A l’incinérateur d’Iwaki sud, les cendres sont simplement entreposées dans la cour :

Zones évacuées et personnes déplacées

Le gouvernement avait introduit la limite d’évacuation la plus haute des recommandations internationales pour évacuer les populations : 20 mSv/an, même pour les bébés et les enfants qui sont plus sensibles aux radiations (voir nos explications sur les doses limites et normes). Il maintient cette même limite pour le retour alors que les recommandations internationales demandent une diminution progressive pour revenir à la limite normale qui est de 1 mSv/an.

Zonage

Les derniers ordres d’évacuer ont été levés au 1er avril 2017 à l’exception des zones dites de retour difficile où l’accès est interdit. En avril 2019, les autorités japonaises ont levé l’ordre d’évacuer dans deux districts d’Ôkuma, une des deux communes qui accueillent la centrale nucléaire accidentée de Fukushima daï-ichi. Les habitants concernés pouvaient déjà passer la nuit chez eux depuis un an afin de préparer leur retour, à condition de s’inscrire. Seulement 48 personnes l’avaient fait. Un sondage de janvier 2018 montrait que seulement 12,5% de la population accepteraient de rentrer. Un nouvel hôtel de ville y a ouvert en mai 2019. Il n’est qu’à 8 km de la centrale accidentée et a coûté 2,74 milliards de yens (22,3 millions d’euros). Le gouvernement japonais ne lésine pas sur les moyens pour reconquérir les territoires évacués… Mais l’argent ne fait pas tout. On ne rebâtit pas une communauté sans les populations. Les autorités japonaises semblent l’avoir oublié.

La dernière carte des zones évacuées, datée d’avril 2019 est ici sur le site du ministère de l’économie (copie).

Commune Date de la levée de l’ordre d’évacuation
Tamura 1er avril 2014
Kawauchi 1er octobre 2014 pour une partie, puis 14 juin 2016
Naraha 5 septembre 2015
Katsurao 12 juin 2016
Minamisôma 12 juillet 2016
Iitate village 31 mars 2017
Kawamata village 31 mars 2017
Namie town 31 mars 2017
Tomioka town 1er avril 2017

Retour des populations

La triple catastrophe qui a frappé la province de Fukushima a accéléré le déclin de la population, comme on peut le voir sur ce graphe (extrait de cette page en japonais) :

En janvier 2020, le nombre officiel de personnes toujours déplacées en dehors de la province de  Fukushima était 31 022 (source). Les critères pour compter une personne déplacée ou pas ne sont pas clairs.

Les personnes originaires de zones où l’ordre d’évacuer a été levé et les “auto-évacuées” ne sont plus prises en compte dans ce décompte, car elles ne bénéficient de plus aucune aide. Cela ne signifie pas que les personnes déplacées sont rentrées. En effet, en août 2014, l’Agence de reconstruction, avait demandé aux administrations de toutes les provinces japonaises de ne compter que les personnes qui désiraient retourner chez elles. Et d’ajouter que s’il était difficile d’estimer leur désir, il ne fallait pas compter les personnes qui s’étaient réinstallées en achetant un logement ou en bénéficiant d’un logement du parc public. Chaque province applique à sa façon ces instructions et les critères ne sont pas homogènes. Ces chiffres, donnés à l’unité près, sont donc à prendre avec recul.

Le taux de retour dans les zones où les ordres d’évacuer ont été levés reste faible et la population totale diminue. La dépopulation des zones rurales a commencé avant la catastrophe nucléaire. Cette dernière a fortement accéléré le processus.

Selon les médias japonais, le taux de retour global est de 28%. Voici les données par commune :

  • Namié : 1 227 résidents sur 17 152 habitants enregistrés, soit 7% (source). Ils étaient 21 434 au 11 mars 2011 (source). Au 31 janvier 2020, 20 283 personnes originaires de Namié étaient encore déplacées, dont 14 127 dans la province de Fukushima et 6 156 en dehors (source). Fiche d’information en japonais ;
  • Iitaté : 1 408 résidents sur 5 467 habitants enregistrés, soit 26% (source). Ils étaient 6 509 au 11 mars 2011 (source). Au 31 janvier 2020, 4 054 personnes originaires de Namié étaient encore déplacées, dont 3 824 dans la province de Fukushima et 230 en dehors (source) ;
  • District d’Odaka (小高) à Minami-Sôma : 3 650 résidents sur  7 403 habitants enregistrés, soit 49% (source). Ils étaient 12 842 avant la catastrophe. A Haramachi, c’est 561 sur 717. Page avec les statistiques démographiques de Minami-Sôma ;
  • Kawamata, district de Yamakiya (山木屋) : 351 résidents sur 760 personnes enregistrées, soit 46% (source). Ce tableau fait état de 710 personnes encore déplacées, dont 120 dans la commune et 188 en dehors de Fukushima ;
  • Naraha : 3 932 résidents sur 6 816 personnes enregistrées, soit 57,7% (source et données). Elles étaient 8 011 au 11 mars 2011 (source) ;
  • Tomioka : 1 205 résidents (source) sur 12 673 personnes enregistrées (source), soit 9,5%. Elles étaient 15 960 au 11 mars 2011 (source). La répartition de 9 122 personnes déplacées est ici. La plupart sont à Iwaki et Kôriyama ;
  • Katsurao : 330 résidents sur 1 408 personnes enregistrées, soit 23% (source). Elles étaient 1 567 au 11 mars 2011 (source). La destination des 974 personnes toujours déplacées est aussi donnée ici. La plupart sont à Miharu et Kôriyama ;
  • Kawauchi : la page d’accueil de la commune ne donne que le nombre de personnes enregistrées 2 566 résidents. Elles étaient 3 038 personnes au 11 mars 2011 (source). Les seules statistiques démographiques ne permettent pas de connaître le nombre de résidents présents ;
  • Futaba :  7 140 (source) habitants le 11 mars 2011 et zéro retour puisque la commune est classées en zone dite de retour difficile. Le nombre de personnes enregistrées dans la commune mois après mois est ici en japonais : elles sont 5 900 en janvier 2020 ;
  • Ôkuma : le nombre de personnes enregistrée est de 10 302 (source). C’était 11 505 (source) le 11 mars 2011. Le nombre de retour n’est pas donné, mais il est très faible, voire nul. La destination de 8 947 personnes est donnée. Sur cette même page, il est question de 63 logements dans la commune.

Impact sanitaire

• Décès directs : Le nombre total de décès directs dus à la triple catastrophe, s’élève à 15 899 (9 543 à Miyagi, 4 675 à Iwaté, 1 614 à Fukushima et 67 dans les autres provinces). C’est deux de plus que l’an dernier, car deux corps ont pu être identifiés. Il y a aussi 2 529 disparus.

• Décès post-accidentels : Les derniers chiffres officiels de la province de Fukushima (lien direct, copie), qui datent du 21 février 2020 font état de 1 605 décès directs dus à la triple catastrophe et de 2 disparus. Il y a aussi 2 303 décès indirects dus à des suicides ou à une dégradation des conditions de santé suite à l’évacuation.

Pour les trois provinces les plus affectées par le séisme et le tsunami, à savoir Iwaté, Miyagi et Fukushima, le nombre de décès indirects était de 3 739 au 30 septembre 2019. Un quart concernait des personnes avec handicap, selon l’agence de presse Kyodo qui a contacté 42 communes. La part des personnes handicapées est de 7% au Japon et celle des personnes de plus de 65 ans, de 14%. Ces statistiques pointent la nécessité d’améliorer la prise en charge des personnes handicapées en cas de catastrophe.

• Cancers de la thyroïde : L’université médicale de Fukushima effectue une campagne de dépistage par échographie des cancers de la thyroïde chez les jeunes de Fukushima. Ce suivi s’effectue tous les 2 ans jusqu’à l’âge de 18 ans. Puis, un nouveau contrôle est prévu à partir de 25 ans.

Les derniers résultats sont ici sur notre site : On arrive à un total de 237 cas de cancers de la thyroïde suspectés chez les jeunes de Fukushima, dont 186 ont été confirmés lors d’une intervention chirurgicale. Il n’y a toujours qu’un seul cas qui s’est révélé être bénin après l’intervention (première campagne).

Dépistages avec résultat Examens complémentaires terminés Cytoponctions Nombre de cancers suspectés Nombre de cancers confirmés
Première campagne 300 472 2 091 547 116 101
Deuxième campagne 270 540 1 826 207 71 52
Troisième campagne 217 904 1 050 74 30 24
Quatrième campagne 125 491 418 29 16 8
Plus de 25 ans 4 239 127 10 4 1

Rappelons que, selon le fond de soutien des enfants ayant un cancer de la thyroïde, créé en 2016, il y aurait au moins 17 cas supplémentaires, non pris en compte dans les données officielles : 16 d’entre eux auraient été diagnostiqués lors de contrôles effectués par les parents en dehors de la province de Fukushima, et un cas avait déjà oublié par le passé. L’un d’entre eux avait moins de 5 ans au moment de la catastrophe nucléaire. Evidemment, il y a probablement d’autres cas non recensés.

A ces chiffres, on peut ajouter les 4 cas découverts à Marumori, au Sud de la province voisine de Miyagi.

Coût de la catastrophe

Coût total estimé

Les chiffres officiels relatifs au coût de la catastrophe ont été revus à la hausse en décembre 2016 pour atteindre 21 500 milliards de yens (175 milliards d’euros) et n’ont pas changé depuis. Cela inclut le démantèlement des réacteurs de Fukushima daï-ichi, à hauteur de 8 000 milliards de yens (65 milliards d’euros), 7 900 milliards de yens (64 milliards d’euros) pour les indemnisations, près de 4 000 milliards de yens (32,5 milliards d’euros) pour la décontamination et 1 600 milliards de yens (13 milliards d’euros) pour le centre d’entreposage temporaire des déchets radioactifs. Pour en savoir plus.

Cette somme ne comprend pas le coût du stockage des déchets issus du démantèlement de la centrale accidentée ni la création d’un îlot décontaminé dans les zones dites « de retour difficile » dont le seul but est la non disparition des villages concernés.

En 2019, Japan Center for Economic Research estime que la facture pourra dépasser les 80 000 milliards de yens (640 milliards d’euros au cours actuel). La note explicative est en japonais seulement. Sur le coût total de 81 000 milliards de yens (648 milliards d’euros), 51 000 milliards (408 milliards d’euros) sont dédiés au démantèlement de la centrale accidentée. A comparer au 8 000 milliards de yens estimés par le ministère de l’économie. L’indemnisation des victimes devrait coûter 10 000 milliards de yens (80 milliards d’euros) selon le think tank et la décontamination 20 000 milliards de yens (160 milliards d’euros).

Si l’eau contaminée était simplement rejetée en mer après dilution, la facture totale pourrait être réduite de 40 000 milliards de yens (320 milliards d’euros) selon le think tank, pour atteindre 41 000 milliards de yens (328 milliards d’euros). La facture totale pourrait encore être abaissée à 35 000 milliards de yens (280 milliards d’euros) si les réacteurs accidentés n’étaient pas démantelés, mais mis sous un sarcophage, comme à Tchernobyl. Mais cette solution reporte sur les générations futures les coûts du démantèlement et ne résout pas le problème des eaux souterraines qui s’infiltrent et se contaminent.

Le gouvernement détient toujours 50,1% des parts de TEPCo.

Indemnisations

En janvier dernier, les autorités avaient déjà prêté 9 340,1 milliards de yens (78 milliards d’euros) à TEPCo pour que la compagnie puisse indemniser les victimes de la catastrophe nucléaire et cela ne suffira pas. Les intérêts sont à la charge des contribuables.

L’indemnisation du stress psychologique s’est terminée un an après l’évacuation pour les personnes originaires d’un point chaud situé au-delà des zones d’évacuation. Les habitants originaires des zones dites de retour difficile ont reçu l’équivalent de douze années d’indemnisation et pour les autres, originaires des zones où l’ordre d’évacuer a été levé, l’indemnisation s’est arrêtée au bout de 7 ans. Un adulte a reçu 1,2 million de yens par an (environ 10 000 euros). Il y a eu aussi une compensation pour la perte des biens et des revenus, qui varie d’une famille à l’autre.

De nombreuses personnes ne sont pas satisfaites par les indemnisations reçues et réclament plus. En septembre 2011, les autorités japonaises ont mis en place une commission de conciliation chargée d’arbitrer les contentieux. Ses avis ne sont pas contraignants, mais TEPCo avait alors annoncé vouloir les respecter. Mais, dans les faits, TEPCo refuse de nombreux arbitrages et la commission a clôt de nombreux dossiers non réglés : 72 entre 2013 et 2017 (tous des employés de TEPCo et leur famille), 18 en 2018 et déjà un en 2019. Le groupe le plus important qui avait saisi, en vain, cette commission est constitué de 16 000 habitants de Namié, commune qui a été entièrement évacuée.

Plus de 10 000 Japonais ont porté plainte contre le gouvernement et parfois aussi contre l’Etat afin de bénéficier d’une meilleurs indemnisation. Il y a une trentaine de plaintes collectives. TEPCo a été condamnée de nombreuses fois à mieux indemniser les victimes et le gouvernement aussi.

Parc nucléaire japonais

Avant la catastrophe de Fukushima, le Japon comptait 54 réacteurs de production d’électricité plus des réacteurs de recherche. Une carte datant de 2010 est disponible ici.

Actuellement, 6 réacteurs ont été détruits ou endommagés par la catastrophe nucléaire à Fukushima daï-ichi, 16 arrêtés définitivement. Le Japon ne compte donc plus que 32 réacteurs nucléaires pour la production d’électricité : 16 ont leur dossier de sûreté validé et 9 ont été remis en service, dont 4 qui utilisent du combustible MOx. Mais, Ikata-3 vient à nouveau d’être suspendu par la justice. Il n’y a donc plus que 8 réacteurs autorisés à fonctionner, dont 3 utilisent du MOx.

Aucune remise en service de réacteur n’a en lieu en 2019 et aucune ne devrait avoir lieu en 2020. Le nucléaire japonais est bloqué. Par ailleurs, l’Autorité de régulation nucléaire a refusé de laisser un délai supplémentaire aux compagnies d’électricité pour la mise en place de mesure de protection contre les attaques terroristes. Quatre réacteurs devront être arrêtés en 2020, le temps de faire les travaux : Sendaï-1 et -2, puis Takahama-3 et -4. D’autres arrêts suivront en 2021 (voir la liste ici). A priori, 7 des 9 reacteurs remis en service devront être arrêtés pour les mêmes raisons.

Les compagnies d’électricité japonaises ont déjà dépensé 5 380 milliards de yens (45 milliards d’euros) pour améliorer la sûreté de leurs installations, avec un piètre résultat.

Pour voir le détail du parc japonais, c’est par ici.

Selon un sondage, 56% des Japonais s’opposent à la remise en service des réacteurs nucléaires arrêtés après le 11 mars 2011 et 29% y sont favorables. Dans la province de Fukushima, 69% s’y opposent et 11% y sont favorables.

• Le surgénérateur Monju a été arrêté définitivement. Il n’a fonctionné que 250 jours depuis sa mise en service en 1994. Une fuite de sodium avait entraîné son arrêt en 1995. La culture de sûreté y est défaillante (source).

• Les autorités n’ont pas encore abandonné l’usine de retraitement située à Rokkashô-mura dans la province d’Aomori dont la mise en service cumule déjà 24 années de retard depuis 1997, année de la première date de mise en service prévue (source). Le démarrage est désormais annoncé pour 2021 et le coût a été multiplié par 4.

Son dossier de sûreté est quasiment validé par l’Autorité de régulation nucléaire. Mais, même si cette usine démarre, elle devra tourner au ralenti car il n’y a pas de débouché pour le plutonium extrait. En effet, le gouvernement japonais s’est engagé à ne pas en extraire plus qu’il ne pouvait en consommer.

Les premiers déchargements de combutible MOx de l’histoire du Japon ont eu lieu en janvier 2020, dans les réacteurs d’Ikata-3 et Takahama-3.

• Faute de débouchés sur le marché intérieur, le Japon avait fait de l’exportation de sa technologie nucléaire une priorité pour sauver son industrie. Mais tous les projets de centrale nucléaire dans un pays étranger ont été abandonnés ou suspendus face aux coûts exorbitants.

• Dans ce contexte, le Japon développe le charbon chez lui et à l’étranger. Il projette de construire 22 centrales à charbon sur 17 sites dans les 5 prochaines années. Cinq pourraient être mises en service en 2020. L’addiction au charbon a commencé bien avant la catastrophe de Fukushima, qui n’a fait qu’accélérer le processus. Les énergies fossiles produisent environ les quatre cinquièmes de l’électricité du pays. Le reste vient essentiellement de des barrages électriques dont la part est de 16%. La part du nucléaire stagne à 3%.

Selon la coalition “coal exit”, trois banques japonaises, Mizuho, Mitsubishi et Sumitomo-Mitsui dominent le soutien financier au charbon à travers le monde. A elles seules, elles ont couvert 32% des prêts accordés pour la construction de nouvelles centrales thermiques au charbon depuis 2017.

Les engagements du Japon lors de la COP21, bien que modestes, pourraient ne pas être tenus.

Autres rapports et synthèses publiés à l’occasion du neuvième anniversaire

• Greenpeace International : Radioactivity on the move 2020: Recontamination and weather-related effects in Fukushima (communiqué, rapport en anglais, photos et vidéos), 9 mars 2020

• IRSN : données clés sur les conséquences environnementales et le retour des populations dans les territoires évacués et bilan de la surveillance sanitaire et des études épidémiologiques conduites chez les habitants de la préfecture de Fukushima

• Fukuleaks/SimplyInfo: The 9th Anniversary Annual Report