Levée des ordres d’évacuer avant la fin de la décennie dans les zones dites de retour difficile

Le gouvernement japonais veut lever les ordres d’évacuer dans les zones dites de retour difficile, qui sont le plus contaminées, avant la fin de la décennie. Pour cela, il va interroger les habitants pour savoir s’ils veulent rentrer ou non – après presque 20 ans ! – et dit vouloir décontaminer si besoin. Ces zones, dites de retour difficile, couvrent 30 000 hectares.

En 2017 et 2018, dans un souci de maintenir l’existence de toutes les communes évacuées, le gouvernement japonais avaient lancé des travaux de décontamination et de réhabilitation sur seulement 8% des territoires concernés (2 700 hectares). Seules sont concernées des petites zones dans chaque commune, souvent à proximité de la gare. Reste à savoir si les populations iront s’installer dans ces “oasis” où l’ordre d’évacuer devrait être levé en 2023.

Il y a fort à parier que les autorités ne vont pas baisser la limite de dose maximale admissible pour permettre le retour des populations. Elle est toujours fixée à 20 mSv/an, ce qui correspond à la valeur la plus élevée des recommandations internationales. C’est aussi la limite pour les travailleurs du nucléaire. Le gouvernement s’est engagé à revenir à la limite de 1 mSv/an, à long terme, mais il ne donne toujours pas de calendrier.

Le gouvernement a déjà dépensé quelques 3 000 milliards de yens (23 milliards d’euros) pour la décontamination des zones évacuées, où 14 000 personnes sont rentrées, soit environ 30% de la population initiale. Il y a encore 22 000 personnes enregistrées comme résidentes dans les zones de retour difficile. Et le gouvernement ne peut pas encore chiffrer le coût de la décontamination additionnelle car il ne sait pas encore combien de personnes voudront venir se réinstaller.

Le rejet en mer se fera à un kilomètre via un tunnel sous-marin

TEPCo prévoit de creuser un tunnel sous-marin jusqu’à 1 km du rivage pour rejeter l’eau contaminée, pardon “traitée”, dans l’océan afin de permettre une meilleure dilution. Rappelons que cette eau sera déjà diluée en amont, avant rejet, de façon à avoir moins de 1 500 Bq/L de tritium, même si les contrôles ne seront faits qu’a posteriori. L’eau utilisée pour la dilution ne sera pas pompée dans le port, qui est contaminé, mais à proximité du réacteur n°5.

Un tunnel serait plus robuste qu’un simple tuyau en cas de séisme ou tsunami. Il devrait faire 2,5 m de diamètre. Les investigations géologiques devraient commencer en septembre et les travaux pourraient durer jusqu’en 2023. Les rejets ne débuteront qu’après cette date. Le coût d’un tel projet n’est pas donné. Voir ce document en anglais (copie) et celui-ci en japonais pour avoir des informations un peu plus détaillées.

TEPCo et le gouvernement espèrent ainsi réduire les “rumeurs néfastes” qui pourraient affecter les produits de la mer (lire le communiqué en anglais de TEPCo). Le but est plutôt de réduire la contamination près de la côte, mais ce mot est tabou ! Il s’agit, surtout, d’éloigner les rejets des prises d’eau de mer afin de ne pas repomper du tritium dans l’eau utilisée pour diluer le tritium des cuves.

Le gouvernement a aussi annoncé qu’il achèterait les invendus de la pêche pour les congeler si les ventes diminuent à cause de la “désinformation”. Pour les produits qui ne peuvent pas être congelés, il trouvera de nouveaux marchés. Le montant du fond d’aide et les conditions pour en bénéficier restent à déterminer. Et si ces efforts ne suffisent pas, TEPCo indemnisera les pêcheurs.

TEPCo s’était engagée à compenser les éventuelles baisses dans les ventes en faisant des études statistiques sur les marchés et en prenant en compte la crise sanitaire, comme l’explique l’Asahi. Voir aussi ce document en japonais. D’une manière générale, jusqu’à présent, c’est TEPCo qui indemnisait les pertes de revenus, mais la compagnie rechignait souvent à mettre la main à la poche, refusant même parfois de suivre les recommandations de la commission de conciliation. Les pêcheurs n’avaient donc pas confiance dans les promesses de TEPCo. Et donc, à la fin, ce sont les contribuables qui vont prendre en charge une partie des coûts éventuels qui auraient incomber à l’exploitant, comme le souligne l’Asahi.

Le gouvernement met aussi en avant les contrôles de l’AIEA qui seront faits de manière transparente. Cette agence de l’ONU n’a jamais rien trouvé à redire de l’action du Japon depuis le début de la catastrophe, même quand il minimisait le niveau de l’accident durant les premiers mois. Il n’y a donc rien à en attendre.

Le gouvernement avait déjà tenté, à l’aide d’une grande agence de communication, Dentsu, de faire passer le tritium pour un mignon petit poisson, ce qui avait fait scandale. La lutte contre les “rumeurs néfastes” n’est pas facile ! D’autant plus que l’on ne construit pas un tunnel sous-marin pour lutter contre ces rumeurs. C’est complètement ridicule. Il serait temps de bien nommer les choses afin de permettre le débat sur le sujet sans systématiquement stigmatiser les personnes qui expriment des inquiétudes.

En juillet dernier, TEPCo a publié une brochure d’une trentaine de pages en anglais qui présente 10 années d’efforts pour gérer l’eau contaminée. Cela vient compléter le portail internet dédié.

115ème versement financier pour TEPCo

TEPCo annonce avoir reçu le 115ème versement financier de la part de la structure gouvernementale de soutien qui lui avance de l’argent pour les indemnisations : 7,7 milliards de yens (60 millions d’euros au cours actuel). Rappelons que cet argent est prêté sans intérêt.

En prenant en compte ce versement et les 188,9 milliards de yens venant de l’Act on Contract for Indemnification of Nuclear Damage Compensation, TEPCo a reçu un total de 10 094,2 milliards de yens (78,6 milliards d’euros au cours actuel) et cela ne suffira pas.

Le communiqué de TEPCo est accompagné d’un tableau avec les sommes versées au titre des indemnisations, mais sans explications. Le total s’élève à 10 075,9 milliards de yens (78 milliards d’euros).

Suspension de l’instruction du dossier de sûreté de Tsuruga à cause de falsification de données

L’Autorité de régulation nucléaire a décidé de suspendre à nouveau l’instruction du dossier de sûreté du réacteur n°2 de la centrale de Tsuruga, suite à la falsification données géologiques relatives à la faille qui passe sous la centrale par l’exploitant, Japan Atomic Power Co..

Rappelons qu’après de longues investigations, l’Autorité de régulation nucléaire avait conclu, en novembre 2014, que la faille sismique qui passe sous le réacteur n°2 est encore active, ce qui conduit à l’interdiction d’exploitation. L’exploitant a toujours contesté ces conclusions et a déposé une demande d’autorisation de remise en service, un an plus tard. Mais, comme nous l’avons déjà rapporté en février 2020, l’Autorité de régulation soupçonne l’exploitant d’avoir falsifié les documents soumis. Dans les zones les plus critiques, les données avaient été effacées et remplacées par d’autres, qui faisaient apparaître la faille comme moins active. Certaines phrases auraient aussi été modifiées afin de ne jamais laisser apparaître que la faille puisse être active.

L’exploitant avait alors reconnu avoir effectué 80 modifications, suite à de nouvelles investigations. Certains changements ont été apportés afin d’exclure la possibilité que la faille se soit déplacée dans le passé. L’exploitant avait expliqué qu’il n’y avait rien d’intentionnel, car il ne savait pas qu’il ne devait pas modifier les données… Le président de l’Autorité de régulation nucléaire avait jugé ces explications “grotesques”. Cela avait conduit à une première suspension de l’instruction, qui avait repris en octobre 2020, après que l’exploitant ait transmis toutes les données brutes collectées par le sous-traitant qui a conduit les investigations géologiques.

Des inspections ont alors été menées au siège de la Japan Atomic Power Co., ce qui a permis de découvrir que la gestion des tâches de l’entreprise était inappropriée. L’Autorité de régulation nucléaire vient donc de décider de suspendre à nouveau l’instruction du dossier de sûreté jusqu’à ce qu’elle confirme que l’exploitant a amélioré la gestion des données, car la fiabilité de la documentation est indispensable.

Japan Atomic Power Co. a quatre réacteurs nucléaires, dont deux arrêtés définitivement. Elle n’a pas remis en service les deux autres depuis 10 ans. Comme sa seule activité est de fournir de l’électricité nucléaire à d’autres compagnies d’électricité, dont TEPCo, elle n’a plus de revenu et aurait fait faillite sans leur soutien financier. L’autre centrale est à Tôkaï-mura où la justice a suspendu la remise en service du réacteur n°2.

Mise à jour du 26 août 2021 : Dans un éditorial, l’Asahi estime que Japan Atomic Power Co. est disqualifiée pour exploiter du nucléaire, qui est sa seule activité, car la falsification des données est extrêmement grave. L’Autorité de régulation ne peut pas vérifier la véracité des données et des milliers de pages qui lui sont soumises et elle part de l’hypothèse de la bonne foi de l’exploitant. Avec cette affaire, c’est tout le dossier de sûreté qui devient suspect.

Si Japan Atomic Power Co. ne peut pas remettre en service les deux réacteurs nucléaire qu’il lui reste, c’est sa raison d’être qui est en jeu. Mais, après 10 années de tergiversations, il serait peut-être temps de se rendre à l’évidence que cette compagnie est condamnée.