L’accumulation d’eau contaminée est l’un des problèmes majeurs auxquels doit faire face TEPCo à sa centrale de Fukushima daï-ichi. Après des années de tergiversations, de communication arrogante, de promesses intenables, le gouvernement japonais a donné son feu vert au début des opérations de rejet en mer de l’eau contaminée traitée par la station ALPS. Le principe avait déjà été acté en 2021. Le rejet débutera le 24 août 2023 à 13h heure locale et se fera via un tunnel mer long de 1 km. Voir le communiqué de TEPCo sur le sujet, avec un document explicatif, et la page dédiée.
Rappelons que l’eau utilisée pour le refroidissement du corium, ce mélange de combustibles et débris fondus, se contamine avant de s’écouler dans les sous-sols où elle se mélange à l’eau souterraine qui s’y infiltre. TEPCo pompe dans les sous-sols, décontamine partiellement cette eau avant d’en réinjecter une partie pour le refroidissement. Le surplus est entreposé dans des cuves. Au 3 août 2023, le stock s’élève à 1 343 227 m3, selon le portail de la compagnie. Cela occupe 98% de la capacité d’entreposage.
Le traitement consiste à filtrer 62 radioéléments. Mais, rappelons aussi que le traitement n’a pas toujours été bien effectué et que 70% de ce stock doit être repris pour être traité à nouveau :Initialement, TEPCo voulait simplement diluer cette eau “mal-traitée” qui ne satisfaisait pas aux autorisations de rejet. Face au tollé, elle a dû s’engager à retraiter cette eau autant qu’il le faudra. Ainsi, l’eau qui sera rejetée à partir du 24 août est conforme, sauf pour le tritium.
Le tritium est de l’hydrogène radioactif qui entre directement dans la composition de la molécule d’eau. Il est donc très complexe à filtrer car il faut séparer de l’eau tritiée de l’eau non tritiée. Le stock total de tritium dans les cuves dépasse largement l’autorisation de rejet annuelle (22 TBq) de la centrale et le rejet sera donc étalé sur une trentaine d’années afin de ne pas dépasser cette limite. La concentration peut aussi dépasser la concentration limite autorisée (60 000 Bq/L). TEPCo s’est engagée à diluer cette eau avec de l’eau de mer avant rejet de façon à ce que la concentration lors du rejet soit inférieure à 1 500 Bq/L, soit une concentration au moins 40 fois inférieure à la limite.
En 2023, TEPCo prévoit de rejeter 5 TBq (térabecquerels ou 1012 Bq) de tritium sur les 22 autorisés annuellement.
A titre de comparaison, la centrale de Chinon, en France, est autorisée à rejeter 80 TBq de tritium par an dans la Loire (source). Et ce tritium se retrouve dans l’eau du robinet en aval, comme l’a montré l’ACRO. A l’usine de retraitement de La Hague, la limite annuelle de rejet dans la Manche est de 18 500 TBq pour le tritium (les rejets effectifs de ces dernières années variaient entre 11 400 et 13 200 TBq par an). Ainsi, le stock de tritium dans les cuves de Fukushima, qui sera rejeté en 30 ans, représente environ 30 jours de rejet à La Hague ! Pour l’usine de retraitement japonaise, à Rokkashô-mura, qui n’a toujours pas été mise en service après 26 années de retard, la valeur cible pour les rejets en tritium y est de 9 700 TBq par an (source).
Le rejet contrôlé qui débutera le 24 août n’est pas le seul rejet en mer de la centrale de Fukushima daï-ichi puisque l’eau souterraine y est fortement contaminée et finit par s’écouler dans la mer. D’après les contrôles effectués par TEPCo, on retrouve du tritium dans l’eau de mer le long du rivage au pied de la centrale. Les concentrations sont de quelques becquerels par litre (jusqu’à 32 Bq/L le 17 août dernier). Il est difficile de quantifier ces rejets non contrôlés.
Il n’y a pas que le tritium dans les rejets à venir. Ce tableau de TEPCo (copie) donne la concentration résiduelle pour quelques radioéléments significatifs. Il est important de noter que les analyses ont aussi été effectuées par un laboratoire tiers, alors que TEPCo s’y est longtemps opposé. Il reste notamment 2 Bq/L d’iode-129, 14 Bq/L de carbone-14 et… 140 000 Bq/L de tritium. L’iode-129 et le carbone-14 sont aussi rejetés en mer par l’usine de retraitement de La Hague en bien plus grandes quantités.
TEPCo ne sait toujours pas quoi faire des déchets issus du filtrage de l’eau contaminée, comme nous l’avons déjà expliqué.
C’est la fin d’un long processus où les autorités et TEPCo n’ont pas brillé par leur transparence et sincérité. En 2018, lors des premières consultations sur le rejet en mer de l’eau traitée, TEPCo avait caché que 80% du stock dépassaient les limites de rejet. La compagnie voulait simplement diluer le rejet pour que les concentrations passent sous les seuils. Face au tollé, elle s’était finalement engagé à retraiter cette eau autant de fois qu’il le faudra… Ce n’est qu’en 2020 que TEPCo a reconnu qu’il y avait aussi du carbone-14 non filtré dans l’eau. En juin 2020, 17 communes de Fukushima avaient pris position contre le rejet en mer, tout comme l’industrie de la pêche. Le Haut-Commissariat des Nations Unies aux droits de l’homme avait dû demander au Japon de respecter ses obligations et de prendre le temps de consulter les populations. Mais les autorités japonaises n’ont qu’une seule stratégie : Décider – Annoncer – Défendre (DAD). Et toute critique est rabaissée au rang de rumeur néfaste… A l’issue du sommet du G7, qui s’est tenu en mai dernier à Hiroshima, le gouvernement a sciemment traduit en japonais dans le sens qui l’arrange le communiqué final, comme l’explique Libération : Il fait dire en japonais à ses pays partenaires que « le rejet de l’eau traitée en mer est essentiel pour le démantèlement de la centrale de Fukushima et la reconstruction de la région », alors que la phrase originale du communiqué en anglais pose comme «essentiel» le fait que cette opération soit conduite « conformément aux normes de l’AIEA sans causer de nouveaux dommages aux humains ou à la nature ».
Il y a huit ans, le gouvernement avait promis aux pêcheurs qu’il n’autoriserait pas le rejet en mer sans leur accord. Et TEPCo n’a pas pris la peine de rencontrer les fédérations de pêcheurs avant l’annonce gouvernementale sur la date de rejet, comme le soulignent l’Asahi et le Maïnichi. In fine, le rejet va commencer sans leur accord…
Mise à jour : Le rejet a bien débuté le 24 août vers 13h, comme prévu. Ce premier essai devrait durer 17 jours pendant lesquels TEPCo devrait rejeter 7 800 m3 d’eau.