A propos des décès provoqués par l’évacuation

Le Maïnichi a enquêté sur les décès provoqués par l’évacuation à Fukushima. La reconnaissance du décès post-catastrophe a lieu suite au dépôt d’un dossier par les familles endeuillées qui est examiné par une commission incluant des médecins. Selon l’Agence de reconstruction, 3 784 décès sont liés à la triple catastrophe de 2011 à la fin du mois de septembre 2021. Parmi eux, les 2 333 décès dans la province de Fukushima représentent plus de 60 % du total. En outre, les statistiques de l’Agence de reconstruction montrent que plus de 90 % des décès associés aux suites du tremblement de terre et du tsunami dans les zones gravement touchées des provinces d’Iwaté et de Miyagi concernent des personnes décédées dans l’année qui a suivi la catastrophe. En revanche, 40 % des décès certifiés dans la province de Fukushima sont survenus plus d’un an après le début de la catastrophe nucléaire, notamment à la suite d’une évacuation prolongée, et des demandes de certification de décès ont été continuellement déposées jusqu’à ce jour.

Le Mainichi Shimbun a fait une demande d’accès aux dossiers soumis par les familles endeuillées et a pu consulter les documents et données concernant 2 200 individus dans une vingtaine de communes. Le quotidien a examiné les informations relatives à un millier de personnes dont on connaissait les antécédents ayant conduit à leur décès. Ces rapports montrent la détresse suite au changement d’environnement dû à l’évacuation qui a affecté la santé de ces personnes. On peut lire, notamment, que “les hivers dans les logements temporaires étaient froids, leurs jambes et leurs reins s’affaiblissaient car ils n’avaient rien à faire”, ou, dans un autre dossier que “l’incertitude planait sur leur vie durant une évacuation prolongée et ils en venaient à boire de l’alcool pendant la journée.” 

Le journal cite aussi le cas d’un homme âgé de la ville de Namié qui est décédé environ un an après l’accident nucléaire. Selon le rapport le concernant, il était rentré chez lui temporairement à l’automne 2011, mais il était en état de choc mental lorsqu’il a vu sa maison en ruines et en enterrant les cadavres d’animaux de compagnie qu’il aimait sur le terrain de sa maison. Le rapport indique ensuite que c’est à cette époque qu’il a cessé de sortir.

Il cite aussi le cas d’un homme âgé de 83 ans, dont la condition physique s’est dégradée suite à l’évacuation et qui est mort d’une pneumonie. Sa femme a vu son état de santé s’affaiblir durant le déplacement prolongé, et elle est décédée à l’âge de 88 ans en 2021.

Si les personnes âgées de 80 ans ou plus représentent la majorité des décès certifiés, des personnes actives ont été affectées. Le Maïnichi présente le cas d’un vendeur de voitures de Futaba qui a vu sa vie changer brusquement. Il lui fallait des heures de route pour rendre visite à des proches dans des abris ou aller voir des clients dispersés dans tout le Japon. En plus, il a reçu l’ordre de quitter sa maison construite grâce à des prêts en raison de la construction d’une route, alors qu’il venait juste de commencer à la réparer. L’homme, qui aurait commencé à fumer davantage en raison du stress, est décédé d’un infarctus aigu du myocarde en septembre 2014. Il était âgé de 55 ans. 

Une évacuation prolongée s’accompagne de déménagements répétés, d’une séparation d’avec la famille, de changements de travail et de la perte des liens sociaux. Les dommages s’accumulent chaque fois que l’environnement de la victime change, et les personnes en situation de vulnérabilité sont éliminées, selon Masaharu Tsubokura, professeur à l’université de médecine de Fukushima.

La plus haute juridiction japonaise estime que l’État n’est pas responsable de la catastrophe de Fukushima

La Cour suprême du Japon a estimé que l’Etat n’était pas responsable de l’accident survenu en 2011 à la centrale nucléaire de Fukushima daï-ichi. L’arrêt porte sur quatre actions en dommages et intérêts intentées par des personnes déplacées. Les défendeurs étaient l’État et TEPCo, l’exploitant de la centrale. Cet arrêt est le premier rendu par la plus haute juridiction sur la responsabilité du gouvernement dans l’accident nucléaire et pourrait faire jurisprudence lors de procès similaires intentés dans tout le pays. Quant à la responsabilité de TEPCO, la Cour suprême avait déjà rendu des arrêts condamnant l’exploitant à verser des indemnités aux plaignants.

Le litige portait sur la question de savoir si l’État aurait pu prévoir le risque d’un tsunami massif sur la base d’une évaluation à long terme des activités sismiques possibles publiée par une organisation gouvernementale neuf ans avant l’accident, et si l’accident aurait pu être évité si le gouvernement avait ordonné à TEPCo de prendre des mesures de prévention. L’évaluation prévoyait une probabilité de 20 % qu’un tremblement de terre de magnitude 8 déclenchant un tsunami se produise le long de la fosse du Japon dans l’océan Pacifique au cours des 30 prochaines années, y compris dans la zone située au large de Fukushima. Puis, sur la base de cette évaluation, une filiale de la compagnie d’électricité avait estimé en 2008 qu’un tsunami d’une hauteur maximale de 15,7 mètres pourrait frapper la centrale nucléaire. Les plaignants ont fait valoir que la catastrophe aurait pu être évitée si le gouvernement avait exercé ses pouvoirs réglementaires pour ordonner à TEPCo de prendre des mesures préventives.

Le juge en chef, Monsieur Hiroyuki Kanno, a déclaré que le tremblement de terre qui s’est produit le 11 mars 2011 était beaucoup plus puissant que ce à quoi le gouvernement aurait pu s’attendre et que le tsunami qui s’en est suivi était également plus important que prévu. Il a ajouté que l’inondation de la centrale nucléaire n’aurait pas pu être évitée, même si le gouvernement avait ordonné à TEPCO de prendre les mesures nécessaires. A noter que l’un des quatre juges qui ont délibéré s’est opposé à la décision. Selon lui, “si le gouvernement et TEPCO avaient examiné sérieusement la question, il est probable que l’accident aurait pu être évité”.

Au total, 32 actions en justice impliquant environ 12 000 plaignants ont été intentées par des personnes déplacées pour obtenir une indemnisation de la part de TEPCo et du gouvernement. Dans 12 cas, les tribunaux ont reconnu que le gouvernement et la compagnie d’électricité avaient fait preuve de négligence. Dans les 11 autres cas, les tribunaux n’ont condamné que l’entreprise à verser des dommages et intérêts. La présente décision concerne les actions intentées devant les tribunaux de district des provinces de Fukushima, Gunma, Chiba et Ehimé et met un point final aux décisions rendues en mars par les tribunaux de grande instance, qui ont ordonné à TEPCo de verser des indemnités supplémentaires d’un montant total d’environ 1,45 milliard de yens à quelque 3 700 plaignants. Les décisions des hautes cours étaient partagées quant à la responsabilité du gouvernement. Les décisions rendues dans les procès de Fukushima, Chiba et Ehimé avaient conclu à la responsabilité du gouvernement, mais l’État n’était pas tenu de verser des indemnités dans le procès de Gunma.