La voie navigable E40 retirée des projets stratégiques de la zone d’exclusion de Tchernobyl

Le projet de voie navigable E40 reliant la Mer Noire à la Baltique, doit emprunter la Pripyat et traverser la zone d’exclusion de Tchernobyl. Les travaux prévus et l’entretien devraient avoir un impact radiologique non négligeable pour les populations vivant en aval et qui consomment l’eau du Dniepr, selon la première étude d’impact effectuée par l’ACRO il y a un an. Le projet devrait aussi avoir un impact sur la biodiversité de la Polésie, la plus grande zone humide d’Europe.

Selon le collectif Save Polesia, l’Agence nationale de gestion de la zone d’exclusion a retiré le projet E40 de son plan stratégique de développement de la zone d’exclusion, ce qui est une bonne nouvelle. Ce plan est soumis à la consultation publique.

A lire : Tchernobyl par la preuve, de Kate Brown

En ce jour du 35ème anniversaire de la catastrophe nucléaire de Tchernobyl, nous ne saurions trop recommander la lecture de Tchernobyl par la preuve, de l’historienne Kate Brown, dont la version française vient de paraître. Il s’agit du fruit d’un gigantesque travail d’analyse des archives soviétiques de l’époque qui met en évidence l’étendue du désastre, mais aussi les actions entreprises pour dissimuler la vérité et convaincre la communauté internationale et l’opinion publique de l’innocuité des retombées radioactives. Mais, suite à l’effondrement du système soviétique, des scientifiques ont tenté d’étudier, de documenter l’ampleur de la catastrophe et d’alerter.

Les puissances nucléaires occidentales, qui avaient exposées des populations aux retombées radioactives lors des essais nucléaires, avaient tout intérêt à accepter ce déni. Elles lui ont donné un verni de respectabilité via les agences de l’ONU. Comme l’explique l’auteure à AOC, “Tchernobyl est un scandale bien plus grand qu’on ne le dit. Ce n’était pas seulement une opération d’occultation soviétique, mais bien une initiative internationale. Et c’est pourquoi c’est si important pour nous aujourd’hui de nous pencher encore sur cette catastrophe.”

Une synthèse magistrale à lire absolument :

Un séminaire récent donné par Kate Brown à The University of British Colombia est disponible sur Youtube en anglais :

La reprise en main des conclusions du projet de recherche Shinrai continue à l’IRSN

En septembre 2020, l’ACRO avait démissionné du Comité d’orientation des recherches de l’IRSN suite au licenciement de Christine Fassert, une chercheuse en sciences humaines, spécialiste des risques, qui travaillait sur les conséquences de la catastrophe de Fukushima. Officiellement, l’Institut lui reproche un « comportement inadapté » et une « insubordination récurrente avec défiance vis-à-vis de sa hiérarchie ». En cause, les conclusions de son programme de recherche Shinraï (qui signifie confiance en japonais) mené en partenariat avec Sciences Po et l’université Tôkyô Tech.

Dans une tribune parue le 6 janvier dernier dans Le Monde, des chercheurs en sciences sociales et le président de l’ACRO rejettent la qualification d’« insubordination ». En effet, comme ils expliquent :

Pendant plusieurs années, Christine Fassert a fait face à des obstructions de la part de sa hiérarchie pour engager et mener à bien ses projets […]. Son travail de recherche fut à maintes reprises remis en cause par des interventions directes de sa hiérarchie, laquelle a, dans les derniers temps, dressé des obstacles à la publicisation de ses résultats.

Fin 2019, à l’issue d’un programme collectif de recherche lancé en 2014 et financé par l’Agence nationale de la recherche (ANR), Christine Fassert était sur le point de publier un article s’appuyant sur des entretiens avec des contre-experts et sur l’examen des auditions du rapport dit Pompili. La publication comme sa présentation au colloque de clôture de l’ANR ont été bloquées par sa hiérarchie, au motif que ce travail révélait un parti pris.

Quelques mois plus tard, un article commandé pour un volume spécial de la revue scientifique et technique Les Annales des Mines a connu le même sort, au motif qu’« il mettait en défaut l’expertise institutionnelle [de l’IRSN] par rapport à la contre-expertise ». Moyennant une enquête de terrain de longue date, l’article conclut que « pour certains citoyens [japonais], les contre-experts ont été considérés comme les seuls acteurs prenant en compte leurs intérêts – et, au-delà de leurs intérêts, leur vulnérabilité – dans une situation de risque ». Cette conclusion est accusée de promouvoir la seule contre-expertise, qui est, de fait, essentielle dans l’amélioration du contrôle des risques radioactifs et donc de la protection de l’environnement et de la santé publique.

Dans les deux cas, Christine Fassert s’est donc vu reprocher d’avoir trahi « le point de vue institutionnel de l’IRSN ». Elle aurait dû employer systématiquement les formules et concepts préférés de son institution, de « l’amélioration continue de la sûreté » à « l’ouverture à la société », en passant par le « dialogue technique ».

Une fois Christine Fassert chassée, la route est libre et son supérieur hiérarchique direct peut s’approprier le programme de recherche Shinraï dans un séminaire interne de l’ASN programmé le jeudi 15 avril 2021 à 13h30. Le résumé de l’intervention diffusé en interne met en avant

une enquête approfondie menée auprès :

  • d’habitants de la préfecture de Fukushima (plus de 120 entretiens avec des habitants de retour dans leur ville d’origine après les levées d’ordre d’évacuation par le gouvernement, mais aussi habitants qui ont évacué dans des lieux parfois éloignés de Fukushima (Kyoto, Nagasaki, …),
  • de représentants des autorités nationales et locales, afin de comprendre les processus conduisant aux décisions de levée des ordres d’évacuation des populations après décontamination,
  • et d’associations et de « contre-experts », notamment « anti-nucléaires », qui ont joué un rôle important d’information et de soutien auprès des populations.

Ce travail a entièrement été effectué par Christine Fassert et ses collègues de Sciences Po et de l’université Tôkyô Tech, sans son supérieur hiérarchique, impliqué dans d’autres thématiques ! On peut s’attendre à ce que les conclusions présentées seront plus conformes à l’idéologie dominante en termes de gestion post-accidentelle…

Il y a dix ans : l’évacuation tragique de la clinique de Futaba

L’évacuation de la clinique de Futaba, située dans la commune d’Ôkuma à 4,5 km de la centrale de Fukushima daï-ichi, a eu lieu entre les 12 et 15 mars 2011. Avec 50 décès directs, c’est sans doute l’épisode le plus tragique de la fuite des populations devant les rejets radioactifs en cours à la centrale nucléaire accidentée. Alors que, 10 ans plus tard, un hebdomadaire français, qui prétend “informer”, titre sans vergogne “Zéro mort, aucun cancer : le vrai bilan de l’accident nucléaire de Fukushima”, il est important de revenir sur cet épisode.

Cette évacuation tragique a été analysée par la commission d’enquête mise en place par le gouvernement de façon très détaillée et par celle mise en place par le parlement. Les rapports sont disponibles en anglais.

L’ordre d’évacuer la zone située dans un rayon de 10 km de la centrale de Fukushima daï-ichi a eu lieu le 12 mars 2011 à 5h44 le matin. 5 bus ont venus chercher les patients et le personnel de la clinique vers midi. 209 patients pouvant marcher et une grande partie du personnel, sont montés à bord. Environ 130 patients et 98 résidents de l’EHPAD “Deauville Futaba”, affilié à la clinique, sont restés avec le directeur de l’établissement et quelques membres du personnel médical. Il n’y avait plus d’eau ni électricité.

Il fallait contourner la zone d’évacuation de 20 km pour rejoindre Iwaki, au Sud. Là encore, l’évacuation a dû être suspendue car la situation à la centrale devenait inquiétante. Les derniers patients ont été transportés le 15 mars par l’armée. Les débits de dose sur place étaient très élevés et l’évacuation a dû être suspendue pendant un temps car les infirmières risquaient de dépasser leur limite de dose fixée à 5 mSv. Le directeur de l’établissement, quant à lui, est resté sur place jusqu’au bout.

Voir aussi le documentaire en anglais de la télévision publique japonaise diffusé le 12 septembre 2013 :

La prise en charge des personnes vulnérables est la partie la plus complexe de la mise à l’abri et des évacuations après un accident nucléaire grave. En France, dix ans plus tard, quelles mesures ont été prises à ce sujet ? A la clinique de Futaba, l’évacuation n’avait jamais été envisagée.

L’ACROnique de Fukushima a dix ans !

Tout a commencé par des mails internes à l’ACRO pour informer sur la survenue d’un accident nucléaire suite au séisme et tsunami qui avaient ravagé le Nord-Est du Japon. Les informations provenaient essentiellement de la télévision publique japonaise qui avait bousculé ses programmes pour passer en chaîne d’info continue au plus fort de la crise. Et le 12 mars 2011, une page spéciale a été créée sur l’ancien site Internet de l’ACRO afin d’y rassembler les quelques informations obtenues sur la catastrophe nucléaire en cours.

Cette page est rapidement devenue la plus visitée du site Internet. Elle s’est ensuite structurée en rubriques, puis au bout de trois années, l’ACROnique de Fukushima est devenu un blog sur un site Internet dédiés. Il y a plus de 2 700 articles, une reconstitution de la chronologie des premiers jours, des articles pédagogiques, un état des lieux du parc nucléaire japonais, des rapports, des analyses et, de temps en temps, des billets d’humeur… Il y a aussi quelques photos de vacances du rédacteur, et depuis, ces dernières années, en amont de chaque anniversaire, un bilan chiffré.

La première semaine, les informations provenaient essentiellement des médias japonais qui diffusaient en direct les conférences de presse des autorités. Certaines informations importantes étaient sur notre page avant d’être dans les médias français. Puis, quand l’ACRO a publié ses premiers résultats d’analyses indépendantes sur des échantillons en provenance du Japon, en trois langues, français, anglais et japonais, nous avons eu de nombreux correspondants sur place qui ont permis de mieux comprendre ce que vivaient les populations exposées.

Même si TEPCo prétend toujours pouvoir démanteler sa centrale accidentée en une quarantaine d’années, il y restera des tonnes de déchets sur place et autour qui seront sans solution de gestion à long terme. Si l’on prend en compte l’évacuation des déchets et la décontamination du site, il faut plutôt compter un siècle selon un scénario de l’Atomic Energy Society of Japan. Il va falloir tenir…

Novlangue post-accidentelle : 10 ans de « rumeurs néfastes » et de « complexité » à Fukushima

A Fukushima, le principal problème ne serait pas la radioactivité, mais les « rumeurs néfastes » et les idées fausses que l’on se fait sur les risques associés. Cet argument est tellement pratique, qu’il est adopté par tous : on peut les invoquer pour refuser un site de déchets radioactifs près de chez soi, ou pour s’opposer au rejet en mer de l’eau contaminée tout en gardant la face. Et pour les autorités, cela évite toute remise en cause de leur politique et de répondre aux questions qui fâchent : pourquoi, par exemple, ne pas accepter de contrôle indépendant de l’eau contaminée avant rejet en mer ?

À l’origine, l’expression « rumeurs néfastes » a été introduite dans le contexte de défiance des consommateurs qui évitaient d’acheter des produits agricoles de Fukushima. Certes, des informations erronées ou exagérées ont circulé sur Internet, mais l’attitude de prudence du grand public a fait suite à une gestion chaotique des premiers mois de la crise nucléaire. Depuis, l’expression sert à tout.

En 10 ans, la lutte contre les rumeurs néfastes est devenue une cause nationale avec un site Internet dédié. Le ministère de l’environnement japonais a, l’an dernier, mis une plante en pot avec de la terre radioactive à son siège de Tôkyô. « C’est l’un des efforts de démonstration du recyclage pour éliminer les idées fausses à l’égard de Fukushima » explique-t-il, tout en postant la photo sur son site Internet. C’est plus facile que d’engager un dialogue sur le niveau de contamination résiduelle acceptable pour la réutilisation des terres contaminées.

Par solidarité, l’ACRO republie la photo ci-dessus. Car les rumeurs seraient même devenues le troisième fléau de Fukushima, comme l’atteste une vidéo de remerciement éditée à l’occasion du dixième anniversaire de la catastrophe, où les « ambassadeurs de la reconstruction » expliquent que les habitants de Fukushima reconstruisent la région après un séisme sans précédent, un accident nucléaire, et malgré les dommages causés par les rumeurs néfastes.

Du côté des experts du post-accident, c’est le mot « complexité » qui fait florès. Ainsi, les agriculteurs ne font plus face à la pollution radioactive, que tout le monde peut mesurer, mais à la « complexité », que personne ne comprend et qui fait tellement plus intelligent ! Ce concept creux permet aussi d’occulter les questions difficiles, comme les niveaux de contamination à partir desquels on évacue. La décision de partir, et à présent, de revenir ou pas, est rabaissée à un choix individuel, « complexe » … Encore faut-il que les populations aient les moyens de choisir.

Aussi bien à la CIPR, qui établit les recommandations internationales en matière de radioprotection qu’à l’IRSN qui les applique, les conséquences de la catastrophe nucléaire sont appréhendées à travers le prisme restrictif de « dialogues » organisés à Fukushima où la « complexité » se révèle être la principale leçon tirée. Ainsi, dans sa publication 146, la CIPR explique que le premier effet d’un accident nucléaire grave avec des rejets radioactifs significatifs, est d’engendrer de la complexité ! Il en est de même à l’IRSN qui débute le bilan de ses réflexions dix ans après l’accident de Fukushima daiichi ainsi : « une situation post-accidentelle consécutive à un accident nucléaire se caractérise par une forte complexité tant pour les personnes affectées que pour l’ensemble des gestionnaires du processus de réhabilitation ».

Cette complexité est due à la « multi-dimensionnalité » d’un tel accident, qui touche à tous les aspects de la vie quotidienne. Mais, in fine, le rôle des experts décrit par ces organismes se limite à la radioprotection… Ainsi, en cas d’accident grave en Europe, on ne sera pas prêt à faire face à la « complexité » !

Nouvelle publication de la CIPR sur le post-accident

La Publication 146 de Commission internationale de protection radiologique (CIPR), dédiée à Protection radiologique des personnes et de l’environnement en cas d’accident nucléaire grave vient de paraître. L’accès est payant, mais le document est à l’ACRO. Une première version avait fait l’objet d’une consultation publique sur Internet à l’automne 2019. Environ 300 personnes ou organisations ont déposé un avis, dont l’ACRO. C’est un record.

Comment ces avis ont été pris en compte ? La CIPR ne le dit pas. Elle ne tire aucun bilan de cette consultation. La participation des parties prenantes est pourtant recommandée tout au long du rapport. Le mot stakeholder (partie-prenante) y apparaît 60 fois ! Et rendre des comptes fait pourtant partie des bonnes pratiques incontournables de la consultation du public. Si la recommandation est facile, la mise en application est plus compliquée. La CIPR aurait dû montrer l’exemple !

Nous n’avons pas encore regardé ce qu’il y avait de changé par rapport à la version soumise à consultation.

Fukushima et la liberté d’expression

Selon l’Asahi, les guides qui accueillent les visiteurs au musée de la catastrophe, qui a ouvert le 20 septembre dernier à Futaba, n’ont le droit de critiquer ni TEPCo, ni le gouvernement. Les 29 guides sont des victimes de la catastrophe ou des personnes formées. Chaque visite guidée dure une heure et est payée 3 500 yens.

Lors des formations qui ont eu lieu cet été, le manuel distribué indiquait qu’il fallait éviter de “critiquer ou diffamer certaines organisations, personnes ou autres installations”. Et si un visiteur interroge le guide à propos de ses sentiments sur la responsabilité de TEPCo, la réponse doit être évasive et le visiteur renvoyé vers le personnel du musée. Chaque guide doit aussi mettre par écrit son propos et le soumettre à la direction du musée qui le corrige. Et si jamais ils critiquent une organisation, leur présentation sera immédiatement arrêtée et ils ne pourront plus jamais être guide dans ce musée.

Certains guides se sont offusqués : en tant que victimes, ils devraient pouvoir critiquer TEPCo et le gouvernement, qui sont responsables de la catastrophe nucléaire. Un autre guide a vu son script corrigé après avoir mentionné cette responsabilité. Pourtant, les rapports d’enquête officiels ont pointé la responsabilité de TEPCo et du gouvernement. Ne pas pouvoir le mentionner dans un musée dédié à la catastrophe nucléaire est scandaleux.

Par ironie du calendrier, le Canard Enchaîné a publié, ce même jour, un article sur le licenciement d’une chercheuse de l’IRSN qui travaillait sur les conséquences de la catastrophe de Fukushima et qui n’acceptait pas de voir ses travaux censurés par sa hiérarchie. En réaction, l’ACRO a quitté le Comité d’orientation des recherches (COR) de cet Institut. La lettre de démission est sur le site de l’association et reprise ci-dessous.

Selon le Canard Enchaîné, le supérieur hiérarchique direct de Christine Fassert, la chercheuse licenciée, « voulait imposer des changements, voire censurer des mots et des phrases [d’un] article, » afin d’« écarter les critiques envers la gestion post-accidentelle du gouvernement japonais, et du secteur nucléaire civil en général », et de « minimiser et relativiser le risque lié à l’exposition aux radiations ».

Cet évènement est très inquiétant car il montre que l’IRSN n’est pas disposé à accepter des résultats de recherches qui remettent en cause ses préjugés. Et quand on est en charge de la sûreté nucléaire, c’est particulièrement grave. Ce n’est pas la seule personne à avoir subi la rigidité de cet institut, mais c’est la première fois que cela conduit à un licenciement, ce qui est scandaleux.

Nous avons déjà souligné, par deux fois, en juillet 2018 et en mars 2019, l’originalité des travaux de Christine Fassert, socio-anthropologue, spécialiste des risques à l’IRSN, qui travaillait sur la confiance, dans le cadre du projet Shinrai en partenariat avec Sciences Po et l’université Tôkyô Tech. Au Japon, comme en France, elle est allée, avec ses collègues japonais, à la rencontre de tous les protagonistes et a interrogé aussi bien des fonctionnaires que des experts indépendants, comme on peut le voir dans cette présentation (copie).

A l’IRSN, on préfère s’intéresser aux personnes qui montrent qu’il est possible de vivre dans les territoires contaminés. Et le paradigme dominant est qu’il faut éviter d’évacuer et faire revenir au plus vite les personnes évacuées, passant outre les directives de l’ONU sur les personnes déplacées à l’intérieur de leur pays qui leur garantissent protection, le droit de choisir entre le retour et une réinstallation, ainsi que leur pleine participation aux décisions (voir notre rapport de 2016 : Fukushima, retour à l’anormale ?). C’est aussi flagrant dans les programmes de recherche européens auxquels l’IRSN participe, où la réduction des incertitudes dans la modélisation des retombées radioactives doit permettre d’éviter d’évacuer inutilement des populations (voir page 58 de cette présentation, par exemple), alors que les défauts dans la modélisation à Fukushima ont aussi conduit à ne pas évacuer des personnes qui auraient dû l’être ! C’est le cas pour les territoires contaminés qui vont jusqu’à une quarantaine de kilomètres vers le Nord-Ouest. L’ordre d’évacuer n’est arrivé que le 11 avril 2011 alors que la catastrophe a débuté le 11 mars 2011.

Dans la pratique, l’IRSN, n’a pas hésité à travailler et à mettre en avant un chercheur peu scrupuleux, comme nous l’avons rapporté en janvier 2019, mais qui disait ce que l’institut voulait entendre. C’est aussi l’objet des “dialogues” de Fukushima soutenus par l’IRSN montrés dans le webdocumentaire “Kotoba” (qui signifie “mot” et pas “dialogue”) : pas de déchets radioactifs, pas de malade, pas de résidents qui ne veulent pas rentrer… Juste quelques petits soucis, mais en douze “dialogues”, tout est réglé ! Le bilan de ces dialogues par l’IRSN est une affligeante liste de banalités. C’est inquiétant pour la gestion post-accidentelle en cas d’accident en France.

Christine Fassert, quant à elle, est aussi allée à la rencontre des personnes qui sont parties et qui ne veulent pas revenir, donnant une visibilité à une catégorie de populations que tout le monde veut ignorer, alors qu’elle est la plus nombreuse. Le projet a aussi examiné les écueils d’une communication sur le risque radiologique essentiellement « rassurante », la difficulté du rôle des experts en radioprotection en prise directe avec le public, la tension entre une politique gouvernementale d’évacuations et de retours pensée par les élites tokyoïtes et la mise en œuvre de ces directives par les maires dans la région de Fukushima… Que des sujets qui n’entraient pas dans le cadre étroit de ce qui était attendu. Alors, c’était le cadre ou elle !

Message de démission expédié le 18 septembre 2020 aux membres du COR :

Madame la Présidente,

Suite au licenciement d’une chercheuse de l’IRSN, je souhaite démissionner du COR. Si l’IRSN n’est pas capable d’accepter des voix singulières en interne, il ne peut pas s’ouvrir à la société.

Dans son avis sur le post-accident, le COR, avait souligné, pour le volet « populations et gouvernance » : « Le GT pense qu’il serait important de mener des recherches sur ce sujet en prenant en compte les avis de toutes les catégories de population. Les auto-évacués échappent au suivi officiel au Japon et à la plupart des études et recherches auxquelles l’IRSN participe. Le retour d’expérience ne peut pas se limiter à la seule population qui souhaite rester sur place ou rentrer, peu représentative de l’ensemble des populations affectées par un accident nucléaire grave. L’IRSN gagnerait à élargir le champ de ses études et recherches ou à se rapprocher d’autres programmes impliquant toutes les personnes affectées par la catastrophe, y compris celles qui ne souhaitent pas rester sur place ou rentrer. »

En cas d’accident nucléaire en France, l’IRSN ne pourra pas choisir parmi les populations affectées. La participation de toutes les parties prenantes sera nécessaire. La chercheuse licenciée est justement la seule personne de l’institut qui s’intéressait à toutes les catégories de population, le programme des « dialogues » n’ayant sélectionné que des personnes en accord avec le paradigme dominant à l’IRSN.

J’ai déjà eu l’occasion plusieurs fois, au sein du COR, d’interroger et d’alerter sur la liberté de publier et de communiquer des chercheurs de l’IRSN, en vain. Jamais le COR n’a accepté d’en débattre.

Depuis le début du COR, j’ai œuvré pour plus d’ouverture et la prise en compte des demandes de la société. J’ai participé à quasiment tous les GT et j’en ai présidé deux. Mais je crains que tout ce travail ait été vain et que l’IRSN ne soit pas prêt à s’ouvrir sincèrement. Dans ces conditions, je ne vois pas d’autre solution que de démissionner du COR.

Bien à vous,

David Boilley

L’Ukraine autorise le dragage de la Pripiat, malgré la contamination radioactive

En préparation du projet de voie navigable E40 qui doit emprunter la rivière Pripiat et passer au pied de la centrale accidentée de Tchernobyl, les autorités ukrainiennes ont autorisé le dragage des sédiments pour faciliter la navigation. L’ACRO a récemment publié une étude sur l’impact radiologique de ce projet et le collectif “Save Polesia” estime qu’il met en danger la plus grande zone humide d’Europe.

Comme le souligne l’ACRO dans son étude, l’Agence internationale de l’énergie atomique, qui fait la promotion de l’énergie nucléaire, recommande de laisser les sédiments aquatiques en place. Pour rassurer, les autorités ukrainiennes ont fait faire quelques analyses de la radioactivité dans ces sédiments sur plusieurs horizons. La contamination en césium-137 va jusqu’à 323 Bq/kg et celle en strontium-90, jusqu’à 15 Bq/kg.

Ces analyses sont incomplètes puisque le plutonium et l’américium, qui polluent significativement la zone concernée, n’ont pas été recherchés. Par ailleurs, les prélèvements n’ont été effectués que jusqu’à 60 cm de profondeur, alors que dans leur premier appel d’offre les autorités ukrainiennes mentionnaient un dragage jusqu’à un mètre de profondeur. Et les quelques données font parfois apparaître une concentration en polluants qui augmente avec la profondeur.

Le seuil d’exemption recommandé par l’AIEA pour le césium-137 est de 100 Bq/kg. Cela signifie qu’une partie des sédiments dragués devra être considérée comme déchets radioactifs. Les autorités ukrainiennes ne disent pas comment elles vont gérer ces déchets.

Rappelons que cette voie navigable ne peut pas être aménagée tant que le bassin de refroidissement de la centrale de Tchernobyl, extrêmement contaminé, n’est pas assaini. La construction d’un barrage dans la zone d’exclusion nécessite de reprendre les déchets radioactifs enfouis dans de nombreux centres situés dans la zone inondable et va entraîner des doses inacceptables pour les travailleurs. Ce projet de voie navigable n’est donc pas réalisable. (Re)Lire l’étude de l’ACRO pour en savoir plus.

CODIRPA : vers une reconnaissance du risque de contamination de l’eau potable en cas d’accident nucléaire grave

En juillet 2019, l’ACRO alertait sur la contamination en tritium de l’eau du robinet de plus de 6 millions de d’habitants de la métropole, dont environ 4 millions rien qu’en Ile de France. En cas d’accident grave sur une des centrales nucléaires sur la Seine, la Vienne ou la Loire, il n’y aura pas que le tritium rejeté et ce sont des millions de personnes qui risquent d’être privées d’eau potable. L’ACRO demandait que la pollution radioactive soit prise en compte dans les plans « ORSEC eau potable » qui doivent être établis pour le 31 décembre 2020 au plus tard et qu’ils fassent l’objet d’une consultation du public.

En début d’année 2020, l’ACRO a publié une étude montrant qu’en Ukraine, l’eau potable de 8 millions d’habitants est toujours polluée par les retombées radioactives de la catastrophe en Tchernobyl, qui a eu lieu en 1986. En cas d’accident en France, les conséquences risquent d’être tout aussi durables. Il est donc important de s’y préparer.

Dans un courrier daté du 18 juin 2020 adressé au président de l’Autorité de sûreté nucléaire, le Premier ministre donne un nouveau cadre au comité directeur pour la gestion de la phase post-accidentelle d’un accident nucléaire ou d’une situation d’urgence radiologique (Codirpa) mis en place en juin 2005. Durant la période 2020-2024, le Codirpa devra notamment prendre en compte « un rejet de substances radioactives dans les milieux aquatiques, qu’ils soient marins, lacustres ou fluviaux ». C’est une belle victoire pour l’ACRO !

En revanche, rien ne semble avoir avancé du côté des plans « Orsec eau potable » alors que l’échéance approche !

Le courrier du premier ministre demande aussi une révision du plan national de réponse à une accident radiologique ou nucléaire majeur. Espérons que la société civile sera associée et consultée cette fois-ci, conformément aux recommandations internationales qui sont ignorées par les autorités qui ne retiennent que ce qui les arrange.