A Fukushima, le principal problème ne serait pas la radioactivité, mais les « rumeurs néfastes » et les idées fausses que l’on se fait sur les risques associés. Cet argument est tellement pratique, qu’il est adopté par tous : on peut les invoquer pour refuser un site de déchets radioactifs près de chez soi, ou pour s’opposer au rejet en mer de l’eau contaminée tout en gardant la face. Et pour les autorités, cela évite toute remise en cause de leur politique et de répondre aux questions qui fâchent : pourquoi, par exemple, ne pas accepter de contrôle indépendant de l’eau contaminée avant rejet en mer ?
À l’origine, l’expression « rumeurs néfastes » a été introduite dans le contexte de défiance des consommateurs qui évitaient d’acheter des produits agricoles de Fukushima. Certes, des informations erronées ou exagérées ont circulé sur Internet, mais l’attitude de prudence du grand public a fait suite à une gestion chaotique des premiers mois de la crise nucléaire. Depuis, l’expression sert à tout.
En 10 ans, la lutte contre les rumeurs néfastes est devenue une cause nationale avec un site Internet dédié. Le ministère de l’environnement japonais a, l’an dernier, mis une plante en pot avec de la terre radioactive à son siège de Tôkyô. « C’est l’un des efforts de démonstration du recyclage pour éliminer les idées fausses à l’égard de Fukushima » explique-t-il, tout en postant la photo sur son site Internet. C’est plus facile que d’engager un dialogue sur le niveau de contamination résiduelle acceptable pour la réutilisation des terres contaminées.
Par solidarité, l’ACRO republie la photo ci-dessus. Car les rumeurs seraient même devenues le troisième fléau de Fukushima, comme l’atteste une vidéo de remerciement éditée à l’occasion du dixième anniversaire de la catastrophe, où les « ambassadeurs de la reconstruction » expliquent que les habitants de Fukushima reconstruisent la région après un séisme sans précédent, un accident nucléaire, et malgré les dommages causés par les rumeurs néfastes.
Du côté des experts du post-accident, c’est le mot « complexité » qui fait florès. Ainsi, les agriculteurs ne font plus face à la pollution radioactive, que tout le monde peut mesurer, mais à la « complexité », que personne ne comprend et qui fait tellement plus intelligent ! Ce concept creux permet aussi d’occulter les questions difficiles, comme les niveaux de contamination à partir desquels on évacue. La décision de partir, et à présent, de revenir ou pas, est rabaissée à un choix individuel, « complexe » … Encore faut-il que les populations aient les moyens de choisir.
Aussi bien à la CIPR, qui établit les recommandations internationales en matière de radioprotection qu’à l’IRSN qui les applique, les conséquences de la catastrophe nucléaire sont appréhendées à travers le prisme restrictif de « dialogues » organisés à Fukushima où la « complexité » se révèle être la principale leçon tirée. Ainsi, dans sa publication 146, la CIPR explique que le premier effet d’un accident nucléaire grave avec des rejets radioactifs significatifs, est d’engendrer de la complexité ! Il en est de même à l’IRSN qui débute le bilan de ses réflexions dix ans après l’accident de Fukushima daiichi ainsi : « une situation post-accidentelle consécutive à un accident nucléaire se caractérise par une forte complexité tant pour les personnes affectées que pour l’ensemble des gestionnaires du processus de réhabilitation ».
Cette complexité est due à la « multi-dimensionnalité » d’un tel accident, qui touche à tous les aspects de la vie quotidienne. Mais, in fine, le rôle des experts décrit par ces organismes se limite à la radioprotection… Ainsi, en cas d’accident grave en Europe, on ne sera pas prêt à faire face à la « complexité » !