Un point sur l’eau contaminée accumulée à la centrale de Fukushima daï-ichi

Alors que TEPCo s’apprête à effectuer son quatrième rejet en mer d’eau partiellement décontaminée, où en sont les stocks ? Le portail dédié de la compagne affiche, au 15 février 2024, un volume de 1 329 666 m3 d’eau dans des cuves. Cela représente 97 % de ses capacités d’entreposage.

Il est important de noter que 65 % de ce volume doit être traité une deuxième fois car le premier traitement n’a pas été suffisant. Initialement, TEPCo et le gouvernement japonais espéraient simplement diluer cette eau avant de la rejeter en mer pour satisfaire aux autorisations de rejet. Cela s’est révélé impossible face à l’opposition des pêcheurs et riverains. Les données sur la contamination de l’eau dans les cuves est ici en anglais. Pour de nombreuses cuves, il n’y a pas de données…

En 2023 (année fiscale qui se termine au 31 mars 2024), TEPCo aura rejeté 31 200 m3. Une goutte d’eau par rapport au stock. Et en 2024, elle prévoit d’en rejeter 54 600 m3. A ce rythme là, elle ne se débarrassera pas du stock actuel en 30 ans comme prévu.

La contamination résiduelle de l’eau qui doit être rejetée à partir du 28 février est ici en anglais. Les contaminants les plus notables, car non filtrés, sont le tritium avec 160 000 Bq/L et le carbone-14, avec 14 Bq/L. Le document donne aussi les résultats d’analyses chimiques : on note la présence de bore, utilisé dans les réacteurs et de nitrites/nitrates. Les dernières informations détaillées à propos de ces rejets sont ici en anglais.

TEPCo a aussi mis en ligne une vidéo en anglais qui montre le processus de contrôle qui accompagne chaque rejet.

Le tabou des rejets radioactifs

Avant la catastrophe nucléaire à la centrale de Fukushima daï-ichi, en mars 2011, personne ne se préoccupait de ses rejets radioactifs. Et là, la vidange des cuves d’eau contaminée, dans les limites autorisées avant la catastrophe, provoque un tollé international. Les pêcheurs japonais, qui ont souffert de l’arrêt de leur activité pendant des années à cause du tsunami puis de la contamination radioactive liée à l’accident, sont vent debout contre cette décision. Le gouvernement leur avait promis de ne pas autoriser le rejet sans leur accord, pensant que cela se règlerait, comme d’habitude, à coups de « subventions ». Mais, le malaise provoqué par l’inactivité et la défiance sont plus profonds. Ils ont été trahis.

Il y a cinq ans, lors des premières consultations sur le rejet en mer de l’eau des cuves, TEPCo avait « omis » de signaler que 80% du stock dépassait les concentrations maximales autorisées. La compagnie comptait s’en sortir par la dilution. Face au scandale, elle s’est engagée à refiltrer cette eau autant de fois que nécessaire avant rejet. Il lui reste 70% du stock à reprendre…

En charge de la campagne d’« information » gouvernementale, le publicitaire Dentsu, un des leaders mondiaux, avait représenté le tritium – radioélément non filtré dominant la contamination résiduelle – sous la forme d’un petit poisson inoffensif.

Ce mépris des populations se traduit aussi par la défiance persistante des autorités japonaises envers les laboratoires citoyens créés après la catastrophe. Ils ont pourtant joué un rôle primordial pour aider les personnes affectées par les retombées radioactives.

Au niveau international, les protestations des pays voisins sont hypocrites puisqu’ils ont aussi des rejets radioactifs en mer. Le gouvernement japonais a donc répliqué avec ce comparatif :

Aucune autre installation nucléaire japonaise n’y est représentée ! Les autorisations de rejet de tritium en mer des centrales de Genkai et de Sendai, exploitées par Kyûshû Electric, sont respectivement de 140 et 110 TBq par an, proches de la centrale chinoise, et bien supérieures aux 22 TBq de Fukushima daï-ichi. Quant à Kansaï Electric, elle omet simplement de signaler ses rejets tritium dans ses rapports environnementaux ! Et l’usine de retraitement de Rokkashô-mura, si elle démarre un jour, aura des rejets pouvant aller jusqu’à 9 000 TBq/an !

A l’exception de quelques journaux, dont l’Express, les médias français ont longuement parlé des rejets de Fukushima sans mentionner les rejets français. Pourtant, la seule centrale de Chinon est autorisée à rejeter 80 TBq de tritium par an dans la Loire, pas l’océan pacifique. Et le record du monde est détenu par l’usine de retraitement de La Hague, qui peut aller jusqu’à 18 500 TBq/an dans La Manche, soit 840 fois plus que Fukushima. Ce doit être l’« écologie à la française ».

On se souvient de la directrice du centre de stockage de la Manche qui refusait de parler de rejets, lui préférant « relâchements », sans que l’on ne comprenne la différence. Et quand la convention OSPAR de protection de l’Atlantique Nord a reporté discrètement à 2050 l’échéance de faire tendre les rejets vers zéro, reportant de 30 ans l’engagement pris à Sintra au Portugal en 1998, seule l’ACRO s’était intéressée au sujet. Cette même convention impose de mettre en œuvre les meilleures technologies disponibles pour épurer les effluents avant rejet. Ainsi, en extrayant l’iode-129 et le carbone-14 à La Hague, la dose reçue par les pêcheurs – les plus exposés – serait diminuée de 30%. Qui s’en préoccupe ?

L’IRSN vient de calculer que l’évaporation de l’eau de mer, contaminée par les rejets de l’usine de retraitement, entraîne des retombées de tritium de l’ordre de 130 TBq/an sur la Normandie. Ce n’est pas rien. Il aurait été logique, pour apprécier cette valeur, de la comparer aux autorisations de rejets aériens de l’usine (150 TBq/an) ou à ses rejets réels (de l’ordre de 50 TBq/an ces dernières années), sachant que cette contribution marine vient s’ajouter. On aurait aussi pu choisir la centrale voisine de Flamanville, qui ne peut pas émettre plus de 11 TBq/an dans l’atmosphère. Non, à l’IRSN, on a préféré comparer cela à « 260 à 1 300 panneaux luminescents de sécurité « Sortie » au tritium ». Ce doit être le fruit de longues années de dialogues avec le Japon…

Début du rejet en mer de l’eau contaminée traitée à la centrale de Fukushima daï-ichi

L’accumulation d’eau contaminée est l’un des problèmes majeurs auxquels doit faire face TEPCo à sa centrale de Fukushima daï-ichi. Après des années de tergiversations, de communication arrogante, de promesses intenables, le gouvernement japonais a donné son feu vert au début des opérations de rejet en mer de l’eau contaminée traitée par la station ALPS. Le principe avait déjà été acté en 2021. Le rejet débutera le 24 août 2023 à 13h heure locale et se fera via un tunnel mer long de 1 km. Voir le communiqué de TEPCo sur le sujet, avec un document explicatif, et la page dédiée.

Rappelons que l’eau utilisée pour le refroidissement du corium, ce mélange de combustibles et débris fondus, se contamine avant de s’écouler dans les sous-sols où elle se mélange à l’eau souterraine qui s’y infiltre. TEPCo pompe dans les sous-sols, décontamine partiellement cette eau avant d’en réinjecter une partie pour le refroidissement. Le surplus est entreposé dans des cuves. Au 3 août 2023, le stock s’élève à 1 343 227 m3, selon le portail de la compagnie. Cela occupe 98% de la capacité d’entreposage.

Le traitement consiste à filtrer 62 radioéléments. Mais, rappelons aussi que le traitement n’a pas toujours été bien effectué et que 70% de ce stock doit être repris pour être traité à nouveau :Initialement, TEPCo voulait simplement diluer cette eau “mal-traitée” qui ne satisfaisait pas aux autorisations de rejet. Face au tollé, elle a dû s’engager à retraiter cette eau autant qu’il le faudra. Ainsi, l’eau qui sera rejetée à partir du 24 août est conforme, sauf pour le tritium.

Le tritium est de l’hydrogène radioactif qui entre directement dans la composition de la molécule d’eau. Il est donc très complexe à filtrer car il faut séparer de l’eau tritiée de l’eau non tritiée. Le stock total de tritium dans les cuves dépasse largement l’autorisation de rejet annuelle (22 TBq) de la centrale et le rejet sera donc étalé sur une trentaine d’années afin de ne pas dépasser cette limite. La concentration peut aussi dépasser la concentration limite autorisée (60 000 Bq/L). TEPCo s’est engagée à diluer cette eau avec de l’eau de mer avant rejet de façon à ce que la concentration lors du rejet soit inférieure à 1 500 Bq/L, soit une concentration au moins 40 fois inférieure à la limite.

En 2023, TEPCo prévoit de rejeter 5 TBq (térabecquerels ou 1012 Bq) de tritium sur les 22 autorisés annuellement.

A titre de comparaison, la centrale de Chinon, en France, est autorisée à rejeter 80 TBq de tritium par an dans la Loire (source). Et ce tritium se retrouve dans l’eau du robinet en aval, comme l’a montré l’ACRO. A l’usine de retraitement de La Hague, la limite annuelle de rejet dans la Manche est de 18 500 TBq pour le tritium (les rejets effectifs de ces dernières années variaient entre 11 400 et 13 200 TBq par an). Ainsi, le stock de tritium dans les cuves de Fukushima, qui sera rejeté en 30 ans, représente environ 30 jours de rejet à La Hague ! Pour l’usine de retraitement japonaise, à Rokkashô-mura, qui n’a toujours pas été mise en service après 26 années de retard, la valeur cible pour les rejets en tritium y est de 9 700 TBq par an (source).

Le rejet contrôlé qui débutera le 24 août n’est pas le seul rejet en mer de la centrale de Fukushima daï-ichi puisque l’eau souterraine y est fortement contaminée et finit par s’écouler dans la mer. D’après les contrôles effectués par TEPCo, on retrouve du tritium dans l’eau de mer le long du rivage au pied de la centrale. Les concentrations sont de quelques becquerels par litre (jusqu’à 32 Bq/L le 17 août dernier). Il est difficile de quantifier ces rejets non contrôlés.

Il n’y a pas que le tritium dans les rejets à venir. Ce tableau de TEPCo (copie) donne la concentration résiduelle pour quelques radioéléments significatifs. Il est important de noter que les analyses ont aussi été effectuées par un laboratoire tiers, alors que TEPCo s’y est longtemps opposé. Il reste notamment 2 Bq/L d’iode-129, 14 Bq/L de carbone-14 et… 140 000 Bq/L de tritium. L’iode-129 et le carbone-14 sont aussi rejetés en mer par l’usine de retraitement de La Hague en bien plus grandes quantités.

TEPCo ne sait toujours pas quoi faire des déchets issus du filtrage de l’eau contaminée, comme nous l’avons déjà expliqué.

C’est la fin d’un long processus où les autorités et TEPCo n’ont pas brillé par leur transparence et sincérité. En 2018, lors des premières consultations sur le rejet en mer de l’eau traitée, TEPCo avait caché que 80% du stock dépassaient les limites de rejet. La compagnie voulait simplement diluer le rejet pour que les concentrations passent sous les seuils. Face au tollé, elle s’était finalement engagé à retraiter cette eau autant de fois qu’il le faudra… Ce n’est qu’en 2020 que TEPCo a reconnu qu’il y avait aussi du carbone-14 non filtré dans l’eau. En juin 2020, 17 communes de Fukushima avaient pris position contre le rejet en mer, tout comme l’industrie de la pêche. Le Haut-Commissariat des Nations Unies aux droits de l’homme avait dû demander au Japon de respecter ses obligations et de prendre le temps de consulter les populations. Mais les autorités japonaises n’ont qu’une seule stratégie : Décider – Annoncer – Défendre (DAD). Et toute critique est rabaissée au rang de rumeur néfaste… A l’issue du sommet du G7, qui s’est tenu en mai dernier à Hiroshima, le gouvernement a sciemment traduit en japonais dans le sens qui l’arrange le communiqué final, comme l’explique Libération : Il fait dire en japonais à ses pays partenaires que « le rejet de l’eau traitée en mer est essentiel pour le démantèlement de la centrale de Fukushima et la reconstruction de la région », alors que la phrase originale du communiqué en anglais pose comme «essentiel» le fait que cette opération soit conduite « conformément aux normes de l’AIEA sans causer de nouveaux dommages aux humains ou à la nature »

Il y a huit ans, le gouvernement avait promis aux pêcheurs qu’il n’autoriserait pas le rejet en mer sans leur accord. Et TEPCo n’a pas pris la peine de rencontrer les fédérations de pêcheurs avant l’annonce gouvernementale sur la date de rejet, comme le soulignent l’Asahi et le Maïnichi. In fine, le rejet va commencer sans leur accord…


Mise à jour : Le rejet a bien débuté le 24 août vers 13h, comme prévu. Ce premier essai devrait durer 17 jours pendant lesquels TEPCo devrait rejeter 7 800 m3 d’eau.

Visite d’une délégation de l’AIEA à propos du rejet en mer de l’eau traitée accumulée

La nouvelle visite d’une délégation de l’AIEA, du 14 au 18 février, a été fortement médiatisée car elle fait partie de la stratégie des autorités pour faire accepter le rejet dans l’océan de l’eau traitée qui est accumulée dans des cuves à la centrale de Fukushima daï-ichi. Elle est composée de 15 membres, dont des représentants de la Corée et de la Chine.

TEPCo a mis en ligne des photos et une vidéo de la visite sans aucun intérêt, avec quelques explications. En amont, elle a aussi mis en ligne une brochure en plusieurs langues qui explique son étude d’impact des rejets prévus. Le gouvernement, quant à lui, a annoncé, selon l’Asahi, vouloir accroître sa surveillance de l’environnement en faisant passer le nombre de points de prélèvement d’une douzaine à une cinquantaine. Ils seront situés, pour la plupart, à moins de 10 km de l’émissaire. La fréquence, trimestrielle, devrait être augmentée, une fois les rejets commencés. Mais le gouvernement ne parle que de contrôle du tritium alors qu’il y a tous les autres radioéléments, qui ont été mal filtrés ou le carbone-14, qui n’est pas filtré. Il n’évoque pas non plus de contrôles indépendants. Tant que les autorités rabaisseront le sujet à un problème d’image, elles ne répondrons jamais aux préoccupations des personnes concernées.

Les autorités ne répondent pas non plus au fait que, malgré les rejets, l’eau devrait continuer à s’accumuler, comme nous l’avons déjà expliqué, à un rythme moins soutenu et qu’il faudra donc trouver de la place supplémentaire.

Lydie Evrard a expliqué, lors d’une conférence de presse, que l’AIEA ne prendrait pas position, car la décision est du ressort et de la responsabilité de chaque pays. C’est à l’Autorité de régulation japonaise d’accepter ou non ces rejets. L’AIEA est d’aider les pays à appliquer les recommandations internationales en termes de sûreté et radioprotection. Elle est à l’écoute des inquiétudes. Mais, à la question de savoir si la délégation avait rencontré des opposants au rejet en mer, Gustavo Caruso a répondu que c’était le gouvernement japonais qui choisissait leurs interlocuteurs…Pourtant, le but de la visite de 5 jours était, selon les éléments de communication, de mener une inspection “objective, crédible et scientifique [qui] contribuera à envoyer un message de transparence et de confiance à la population du Japon et d’ailleurs”…

Leur rapport sera publié en avril.

Rappelons que le rejet doit se faire à un kilomètre de la berge via un tunnel, mais les travaux ont déjà du retard, comme le souligne l’Asahi, et il est peu probable que l’installation soit prête pour avril 2023.

Plan gouvernemental pour accompagner le rejet en mer de l’eau traitée

Le gouvernement a adopté un plan d’accompagnement des rejets en mer prévus à partir de 2023 de l’eau traitée qui s’accumule dans les cuves de la centrale nucléaire de Fukushima daï-ichi, quelques jours après que TEPCo ait soumis son plan de rejet à l’Autorité de régulation nucléaire (lien vers le communiqué en japonais). Le gouvernement espère ainsi répondre à l’inquiétude des pêcheurs et agriculteurs locaux ainsi qu’au tourisme et commerce face à ce qui est qualifié de “rumeurs néfastes” par les autorités en établissant, d’ici un an, des normes de compensation pour les pertes éventuelles et en renforçant la capacité de surveillance et la transparence. Le gouvernement va également mettre en place un fonds de 30 milliards de yens pour acheter des produits de la mer lorsque la demande baisse et promouvoir la vente en ligne de ces produits par les pêcheurs.

Le plan prévoit également la réalisation d’enquêtes en ligne ciblant les consommateurs en Corée du Sud, à Taïwan, à Hong Kong et ailleurs, afin de comprendre leur perception de l’eau traitée et des produits alimentaires provenant de la préfecture de Fukushima. Le gouvernement compte aussi s’appuyer sur le rapport de l’AIEA.

Il n’est pas sûr que ces mesures suffisent car cela plus de dix ans que la région est sinistrée et que nombreuses activités économiques souffrent encore de l’impact des retombées radioactives. Les agriculteurs de Fukushima craignent que le rejet en mer de l’eau provenant de la centrale accidentée ne ravive les craintes de contamination et n’affecte à nouveau le prix de leurs produits, réduisant à néant une décennie de lent redressement après la catastrophe nucléaire.

Comme l’explique le Maïnichi, la production de rondins pour la culture de shiitakés, par exemple, n’a pas repris et c’est un savoir-faire qui risque de disparaître. Les montagnes d’Abukuma, dans l’est de la province de Fukushima, étaient autrefois l’une des principales sources de ce bois. En 2010, Fukushima était le troisième plus grand producteur au Japon, avec quelque 4,78 millions de rondins expédiés. Mais la catastrophe nucléaire a changé la donne et, aujourd’hui encore, la préfecture ne produit qu’environ 140 000 rondins de culture par an. En cause, des contaminations en césium encore comprises compris entre 100 et 540 Bq/kg alors que le maximum autorisé est de 50 Bq/kg. Les chênes pour la culture du shiitaké sont récoltés lorsqu’ils mesurent environ 15 centimètres de diamètre et il faut environ 20 ans pour atteindre cette taille. Mais si les troncs sont trop épais, il devient difficile pour les nouvelles pousses de sortir de la souche. 

Ainsi, la production de rondins de culture de shiitakés est en dormance, tout comme les traditions locales de partage de plantes sauvages comestibles, de champignons et autres. Certains résidents âgés s’inquiètent du fait qu’il n’y a personne pour prendre la relève et qu’il n’y a aucun espoir d’un avenir lié aux montagnes. Ainsi, l’accident nucléaire a changé la valeur des montagnes, et le lien qu’entretiennent les habitants avec elles est devenu très ténu. Aucune indemnisation ne pourra compenser cette perte.

Dans un communiqué, TEPCo assure qu’“en ce qui concerne la compensation, si une atteinte à la réputation se produit malgré ces contre-mesures, nous répondrons de manière appropriée tout en écoutant attentivement les opinions des parties concernées.” Pour les indemnisations liées aux évacuations cela n’a pas toujours été le cas, malgré les recommandations de la structure en charge des conflits. Et d’ajouter, qu’“en tant que partie responsable de l’accident de la centrale nucléaire de Fukushima Daiichi, TEPCO s’efforcera de rétablir la confiance qui est le fondement de [son] activité.” Cela pourrait commencer par autoriser des contrôles faits par des laboratoires choisis par les producteurs et consommateurs…

TEPCo a soumis le plan de rejet de son eau traitée

TEPCo a soumis à l’Autorité de régulation nucléaire son plan de rejet en mer de l’eau traitée accumulée dans des cuves. Comme cela a déjà été dit, le rejet se fera, à partir d’avril 2023, via un tunnel d’un kilomètre de long pendant une trentaine d’années à cause de la limite de rejet du tritium fixée à 22 TBq. Le stock est presque de 1,3 million de mètres cube.

TEPCo modélise l’impact du rejet en mer de l’eau traitée

TEPCo a publié le résultat de calculs d’impact du rejet en mer prévu de l’eau traitée contenue dans les cuves. Voir son communiqué de presse et les documents attachés : une présentation des principaux résultats et un rapport d’une soixantaine de pages. Il y a aussi une vidéo montrant le panache calculé dans l’océan. Il est possible d’envoyer un commentaire avant le 18 décembre.

TEPCo confirme que l’eau sera filtrée de façon à ce que la concentration résiduelle de 62 radioéléments soit inférieure aux limites. Ce n’était pas le cas il y a quelques années et la compagnie doit filtrer à nouveau 67% de son stock d’eau qui s’élève à presque 1,3 millions de mètres cube. Elle mentionne des contrôles sur 64 radioéléments avant rejet, les 62 filtrés plus le carbone-14 et le tritium (hydrogène radioactif).

Le tritium, qui ne peut pas être filtré, sera dilué : la concentration des effluents ne dépassera pas 1 500 Bq/l et la quantité annuelle restera inférieure à 22 TBq, comme avant la catastrophe. Et le rejet se fera via un tunnel qui fait environ 1 km de long. Pour son calcul d’impact, la compagnie a retenu deux scénarios : un basé sur les seuls radioéléments mesurés et un basé sur une eau hypothétique constituée de 8 radioéléments qui dominent la dose des consommateurs de fruits de mer et sur-estime leur concentration : Sn-126, Sn-123, Sn-119m, Fe-59, Cd-115m, Cd-113m, C-14 et Ag-110. A l’exception du carbone-14, ces éléments n’ont pas été identifiés, mais il est supposé qu’ils sont présents. TEPCo ajoute ensuite le Zn-65, qui est le neuvième radioélément le plus pénalisant, pour atteindre la limite autorisée.

TEPCo suppose ensuite un rejet continu tout au long de l’année et modélise la dispersion du tritium en supposant que les autres radioéléments se comportent de la même façon, ce qui n’est pas nécessairement correct. La concentration en tritium au-dessus de l’exutoire du tunnel de rejet devrait être inférieure à 30 Bq/L. La dilution fait rapidement chuter cette concentration quand on s’éloigne.

Deux régimes alimentaires sont pris en compte dans le calcul de dose : un mangeur moyen de produits de la mer, et un gros mangeur. La dose la plus élevée avec la contamination mesurée de l’eau est de 0,31 µSv/an pour les adultes gros mangeurs et de 2,1 µSv/an avec l’eau hypothétique. C’est inférieur à l’objectif limite fixé à 0,05 mSv/an (50 µSv/an).

Il est important de noter que cette évaluation ne prend pas en compte la pollution existante, ni les fuites continues via l’eau souterraine qui se rejette dans la mer.

Dans la note explicative, TEPCo signale que les rejets en sortie de cuve sont limités à 500 m3 par jour. C’est optimiste, puisqu’avec une concentration en tritium de 200 000 Bq/L, TEPCo dépasserait l’autorisation annuelle de rejet. Pour les cuves où la concentration en tritium est de 820 000 Bq/L, le rejet ne pourra pas dépasser 73 m3 par jour. C’est moins que la quantité d’eau accumulée quotidiennement et cela ne permet pas de réduire le stock d’eau : il croît juste moins rapidement, comme nous l’avons déjà souligné.

Cette consultation coïncide avec une nouvelle visite d’une délégation de l’AIEA, réduite à 6 personnes à cause de la pandémie. La dernière visite a eu lieu en septembre dernier. TEPCo a mis en ligne des photos sans intérêt. A noter qu’une autre équipe serait venue faire des prélèvements, selon un communiqué de l’AIEA.

Pour rappel, le portail de TEPCo sur l’eau contaminée est ici en anglais.

Mise à jour du 16 décembre 2021 : Greenpeace Japon a soumis une analyse critique de ce travail à retrouver ici en anglais.

Rejet en mer : visite de l’AIEA

Une équipe de l’Agence Internationale de l’Energie Atomique (AIEA) est en visite au Japon pour discuter du rejet en mer de “l’eau traitée” accumulée dans des cuves. Dirigée par Lydie Evrard, qui a été commissaire de l’Autorité de sûreté nucléaire française, l’équipe doit rencontrer des officiels japonais et visiter la centrale accidentée. Selon le communiqué de presse de l’AIEA, il s’agit d’aider le Japon à respecter les normes internationales pour le rejet, sans préciser, toutefois, à quelles normes il est fait référence et “fournir aux parties prenantes nationales et internationales des informations pertinentes et complètes, en temps utile, concernant la sûreté du rejet de l’eau”. Le but ultime étant de “contribuer à la transparence et, partant, à renforcer la confiance du public dans la sûreté des rejets”. Le communiqué est rédigé dans la même langue de bois que celle utilisée par les autorités japonaises…

L’AIEA a été invitée par le Japon, qui ne prend pas de risque. Car, comme elle l’explique elle-même, elle a pour but de promouvoir le nucléaire et souffre donc des mêmes défauts que la précédente autorité de sûreté japonaise (NISA). Elle n’a jamais contredit les autorités japonaises depuis le début de la catastrophe nucléaire : le Japon avait initialement classé l’accident au niveau 5 de l’échelle INES ou évité de parler de fusion (meltdown), sans que l’AIEA ne corrige.

Une équipe composée 11 personnes représentantes de plusieurs pays, dont la Chine et la Corée qui se sont opposées au rejet en mer, devrait revenir en décembre prochain, pour évaluer le plan de rejet en mer. Elle devrait aussi faire des prélèvements et écouter les parties-prenantes afin de leur apporter une réponse scientifique.

Le mois dernier, Christophe Xerri, qui a présidé des délégations de l’AIEA à Fukushima, a reconnu que personne ne pouvait prédire la date de fin des travaux car on n’a pas la technologie pour reprendre et gérer le corium. Une évidence. Mais, il y a tellement de non-dits et de tabous, que cette “révélation” a fait l’objet d’une dépêche AP. L’avantage, c’est que l’on pourra désormais l’affirmer sans être accusé de répandre des rumeurs néfastes !

Le rejet en mer se fera à un kilomètre via un tunnel sous-marin

TEPCo prévoit de creuser un tunnel sous-marin jusqu’à 1 km du rivage pour rejeter l’eau contaminée, pardon “traitée”, dans l’océan afin de permettre une meilleure dilution. Rappelons que cette eau sera déjà diluée en amont, avant rejet, de façon à avoir moins de 1 500 Bq/L de tritium, même si les contrôles ne seront faits qu’a posteriori. L’eau utilisée pour la dilution ne sera pas pompée dans le port, qui est contaminé, mais à proximité du réacteur n°5.

Un tunnel serait plus robuste qu’un simple tuyau en cas de séisme ou tsunami. Il devrait faire 2,5 m de diamètre. Les investigations géologiques devraient commencer en septembre et les travaux pourraient durer jusqu’en 2023. Les rejets ne débuteront qu’après cette date. Le coût d’un tel projet n’est pas donné. Voir ce document en anglais (copie) et celui-ci en japonais pour avoir des informations un peu plus détaillées.

TEPCo et le gouvernement espèrent ainsi réduire les “rumeurs néfastes” qui pourraient affecter les produits de la mer (lire le communiqué en anglais de TEPCo). Le but est plutôt de réduire la contamination près de la côte, mais ce mot est tabou ! Il s’agit, surtout, d’éloigner les rejets des prises d’eau de mer afin de ne pas repomper du tritium dans l’eau utilisée pour diluer le tritium des cuves.

Le gouvernement a aussi annoncé qu’il achèterait les invendus de la pêche pour les congeler si les ventes diminuent à cause de la “désinformation”. Pour les produits qui ne peuvent pas être congelés, il trouvera de nouveaux marchés. Le montant du fond d’aide et les conditions pour en bénéficier restent à déterminer. Et si ces efforts ne suffisent pas, TEPCo indemnisera les pêcheurs.

TEPCo s’était engagée à compenser les éventuelles baisses dans les ventes en faisant des études statistiques sur les marchés et en prenant en compte la crise sanitaire, comme l’explique l’Asahi. Voir aussi ce document en japonais. D’une manière générale, jusqu’à présent, c’est TEPCo qui indemnisait les pertes de revenus, mais la compagnie rechignait souvent à mettre la main à la poche, refusant même parfois de suivre les recommandations de la commission de conciliation. Les pêcheurs n’avaient donc pas confiance dans les promesses de TEPCo. Et donc, à la fin, ce sont les contribuables qui vont prendre en charge une partie des coûts éventuels qui auraient incomber à l’exploitant, comme le souligne l’Asahi.

Le gouvernement met aussi en avant les contrôles de l’AIEA qui seront faits de manière transparente. Cette agence de l’ONU n’a jamais rien trouvé à redire de l’action du Japon depuis le début de la catastrophe, même quand il minimisait le niveau de l’accident durant les premiers mois. Il n’y a donc rien à en attendre.

Le gouvernement avait déjà tenté, à l’aide d’une grande agence de communication, Dentsu, de faire passer le tritium pour un mignon petit poisson, ce qui avait fait scandale. La lutte contre les “rumeurs néfastes” n’est pas facile ! D’autant plus que l’on ne construit pas un tunnel sous-marin pour lutter contre ces rumeurs. C’est complètement ridicule. Il serait temps de bien nommer les choses afin de permettre le débat sur le sujet sans systématiquement stigmatiser les personnes qui expriment des inquiétudes.

En juillet dernier, TEPCo a publié une brochure d’une trentaine de pages en anglais qui présente 10 années d’efforts pour gérer l’eau contaminée. Cela vient compléter le portail internet dédié.

L’AIEA va examiner les rejets en mer de Fukushima

Le Japon et l’Agence Internationale de l’énergie atomique (AIEA) viennent de signer un accord à propos de l’eau contaminée de Fukushima qui doit être rejetée dans l’océan, conformément à la décision du gouvernement. Selon le communiqué de l’agence de l’ONU, cette dernière va examiner les différentes étapes du plan de rejet, à savoir :

  • la caractérisation des effluents avant rejet,
  • les aspects de sûreté,
  • la surveillance de l’environnement,
  • l’évaluation du calcul d’impact et
  • les contrôles du régulateur japonais.

L’accord n’est pas public, mais cela ressemble essentiellement à un examen de dossiers. TEPCo, dans son communiqué, parle de “revue”. Les médias japonais mentionnent que quelques prélèvements seront effectués lors des missions de l’AIEA sur place. Pas sûr que cela suffise à rassurer les Japonais et les autres pays, comme le prétend l’AIEA dans son communiqué. D’autant plus que l’agence n’a jamais rien trouvé à redire en 10 ans. Il n’y a donc pas grand chose à attendre de cet accord.