Le tabou des rejets radioactifs

Avant la catastrophe nucléaire à la centrale de Fukushima daï-ichi, en mars 2011, personne ne se préoccupait de ses rejets radioactifs. Et là, la vidange des cuves d’eau contaminée, dans les limites autorisées avant la catastrophe, provoque un tollé international. Les pêcheurs japonais, qui ont souffert de l’arrêt de leur activité pendant des années à cause du tsunami puis de la contamination radioactive liée à l’accident, sont vent debout contre cette décision. Le gouvernement leur avait promis de ne pas autoriser le rejet sans leur accord, pensant que cela se règlerait, comme d’habitude, à coups de « subventions ». Mais, le malaise provoqué par l’inactivité et la défiance sont plus profonds. Ils ont été trahis.

Il y a cinq ans, lors des premières consultations sur le rejet en mer de l’eau des cuves, TEPCo avait « omis » de signaler que 80% du stock dépassait les concentrations maximales autorisées. La compagnie comptait s’en sortir par la dilution. Face au scandale, elle s’est engagée à refiltrer cette eau autant de fois que nécessaire avant rejet. Il lui reste 70% du stock à reprendre…

En charge de la campagne d’« information » gouvernementale, le publicitaire Dentsu, un des leaders mondiaux, avait représenté le tritium – radioélément non filtré dominant la contamination résiduelle – sous la forme d’un petit poisson inoffensif.

Ce mépris des populations se traduit aussi par la défiance persistante des autorités japonaises envers les laboratoires citoyens créés après la catastrophe. Ils ont pourtant joué un rôle primordial pour aider les personnes affectées par les retombées radioactives.

Au niveau international, les protestations des pays voisins sont hypocrites puisqu’ils ont aussi des rejets radioactifs en mer. Le gouvernement japonais a donc répliqué avec ce comparatif :

Aucune autre installation nucléaire japonaise n’y est représentée ! Les autorisations de rejet de tritium en mer des centrales de Genkai et de Sendai, exploitées par Kyûshû Electric, sont respectivement de 140 et 110 TBq par an, proches de la centrale chinoise, et bien supérieures aux 22 TBq de Fukushima daï-ichi. Quant à Kansaï Electric, elle omet simplement de signaler ses rejets tritium dans ses rapports environnementaux ! Et l’usine de retraitement de Rokkashô-mura, si elle démarre un jour, aura des rejets pouvant aller jusqu’à 9 000 TBq/an !

A l’exception de quelques journaux, dont l’Express, les médias français ont longuement parlé des rejets de Fukushima sans mentionner les rejets français. Pourtant, la seule centrale de Chinon est autorisée à rejeter 80 TBq de tritium par an dans la Loire, pas l’océan pacifique. Et le record du monde est détenu par l’usine de retraitement de La Hague, qui peut aller jusqu’à 18 500 TBq/an dans La Manche, soit 840 fois plus que Fukushima. Ce doit être l’« écologie à la française ».

On se souvient de la directrice du centre de stockage de la Manche qui refusait de parler de rejets, lui préférant « relâchements », sans que l’on ne comprenne la différence. Et quand la convention OSPAR de protection de l’Atlantique Nord a reporté discrètement à 2050 l’échéance de faire tendre les rejets vers zéro, reportant de 30 ans l’engagement pris à Sintra au Portugal en 1998, seule l’ACRO s’était intéressée au sujet. Cette même convention impose de mettre en œuvre les meilleures technologies disponibles pour épurer les effluents avant rejet. Ainsi, en extrayant l’iode-129 et le carbone-14 à La Hague, la dose reçue par les pêcheurs – les plus exposés – serait diminuée de 30%. Qui s’en préoccupe ?

L’IRSN vient de calculer que l’évaporation de l’eau de mer, contaminée par les rejets de l’usine de retraitement, entraîne des retombées de tritium de l’ordre de 130 TBq/an sur la Normandie. Ce n’est pas rien. Il aurait été logique, pour apprécier cette valeur, de la comparer aux autorisations de rejets aériens de l’usine (150 TBq/an) ou à ses rejets réels (de l’ordre de 50 TBq/an ces dernières années), sachant que cette contribution marine vient s’ajouter. On aurait aussi pu choisir la centrale voisine de Flamanville, qui ne peut pas émettre plus de 11 TBq/an dans l’atmosphère. Non, à l’IRSN, on a préféré comparer cela à « 260 à 1 300 panneaux luminescents de sécurité « Sortie » au tritium ». Ce doit être le fruit de longues années de dialogues avec le Japon…