La lutte contre les rumeurs néfastes progresse

Que faire de la terre contaminée qui a été décapée lors des travaux de décontamination et accumulée sur le centre d’entreposage centralisé tout autour de la centrale de Fukushima dan-ichi. Il y en a plus de 13 millions de mètres cube, selon le dernier bilan du ministère de l’environnement, qu’il faudra reprendre au bout de 30 ans, comme la loi l’y oblige, parce que, tous les territoires seront reconquis.

Le gouvernement veut “recycler” cette terre quand sa contamination aura baissé, mais les Japonais, victimes de “rumeurs néfastes”, ne sont pas convaincus. Alors, en mars 2020, le ministère de l’environnement avait installé cette plante en pot avec de la terre radioactive à son siège de Tôkyô :

Cela a dû être efficace puisque d’autres pots ont été installés dans les ministères et agences à Tôkyô ! Le taux de contamination moyen y serait de 5 000 Bq/kg (source, copie).

17 sites en dehors de Fukushima avec ces plantes. Le recyclage progresse… Il n’y a plus que 13 millions de mètres cubes à mettre en pots.

Du côté des experts français et internationaux du post-accident, c’est la “complexité” d’un tel accident, le mot valise qui englobe tout et n’importe quoi et permet surtout de ne pas parler de “radioactivité”. On ne sait pas s’ils ont enfin trouvé la solution pour y faire face.

Personnes déplacées à Fukushima

L’ACRO a effectué un suivi de la catastrophe de Fukushima et de ses conséquences pendant 11 ans de façon entièrement bénévole. Ce travail s’est arrêté au printemps 2022. Mais, suite à une demande de conférence sur le sujet, voici les dernières données disponibles concernant les personnes déplacées de la province de Fukushima.

Ce document (copie), daté du 8 mars 2023, regroupe les données concernant les victimes de la triple catastrophe et les personnes déplacées dans la province de Fukushima :

  • Le nombre de victimes directes est de 1 605, auquel il faut ajouter 226 personnes dont le corps n’a pas été retrouvé, mais avec une confirmation claire du décès. Le nombre de décès postérieurs dus à l’évacuation et la détérioration des conditions de vie est de 2 335. A titre de comparaison, selon l’Asahi, le nombre de décès indirects liés à la catastrophe est 470 à Iwaté et 931 à Miyagi.
  • Il y a encore, officiellement, 27 399 personnes déplacées à Fukushima, dont 21 101 en dehors de la province.

Selon une étude menée par l’université de Waseda, rapportée par l’Asahi, environ 37% des personnes déplacées de Fukushima souffrent de troubles du stress post-traumatique. Ce résultat est basé sur un questionnaire renvoyé par 516 personnes. Parmi les sources de stress les plus citées, il y a le problème des indemnisations, le chômage et le statut de personne déplacée. 34,5% des répondants étaient sans emploi au moment de l’étude (Janvier-avril 2022), pour moitié environ à cause de problème de santé.

Selon l’Asahi, sur les 80 000 personnes qui ont été forcées à évacuer de 11 communes en 2011, seulement 16 000 y sont retournées une fois les ordres d’évacuation levés. Dans les zones les plus contaminées, le taux de retour est inférieur à 1%.

La zone dite de retour difficile, où le niveau de contamination entraînait une dose annuelle supérieure à 50 mSv en 2011, couvre une surface de 337 km2. Des bases de reconstruction et revitalisation ont été désignées afin de permettre à certaines communes d’exister encore. Les derniers ordres d’évacuer dans ces bases ont été levés le 1er mai 2023. Cela concerne, en tout, 27 km2 répartis sur 6 communes. Voici la carte de ces 6 bases (SRRBA) extraite de ce document daté d’avril 2023 :Si ces bases ne représentent que 8 % de la zone de retour difficile, elles regroupaient 60 % de ses habitants avant la catastrophe nucléaire. Très peu de retours y sont attendus dans ces zones. Selon l’Asahi, 158 personnes, soit environ de 1,2 % de la population, sont rentrées là où les ordres d’évacuer ont déjà été levés, alors que les travaux de décontamination et de réhabilitation ont coûté 320 milliards de yens (2,1 milliards d’euros).

Le gouvernement ne continuera à décontaminer et réhabiliter les zones les plus contaminées que si les populations reviennent. Les 6 communes concernées espéraient le retour d’environ 8 000 personnes, mais 2 % sont revenues. Dans le district de Nagadoro d’Iitaté, où l’ordre d’évacuer vient d’être levée, seulement 7 habitants sur 197 ont demandé l’autorisation à passer la nuit chez eux pour se préparer au retour. La suite des travaux semble donc être compromise.

135ème versement financier pour TEPCo

TEPCo annonce avoir reçu le 135ème versement financier de la part de la structure gouvernementale de soutien qui lui avance de l’argent pour les indemnisations : 85,8 milliards de yens (572 millions d’euros au cours actuel). Rappelons que cet argent est prêté sans intérêt.

En prenant en compte ce versement et les 188,9 milliards de yens venant de l’Act on Contract for Indemnification of Nuclear Damage Compensation, TEPCo a reçu un total de 11 002,1 milliards de yens (73,34 milliards d’euros au cours actuel) et cela ne suffira pas.

Cancers de la thyroïde chez les jeunes de Fukushima – bilan 2022

L’ACRO a effectué un suivi de la catastrophe de Fukushima et de ses conséquences pendant 11 ans de façon entièrement bénévole. Ce travail s’est arrêté au printemps 2022. Mais, suite à une demande de conférence sur le sujet, voici les dernières données disponibles concernant les cancers de la thyroïde chez les jeunes de la province de Fukushima.

Les dernières données officielles ont été mises en ligne en mars 2023, suite à la 47ème réunion  du comité de suivi. Une traduction non-officielle en anglais est disponible ici. Pour rappel, nous avions publié, en 2021, à l’occasion du dixième anniversaire de la catastrophe, une revue de littérature scientifique sur le sujet.

Rappelons que tous les jeunes de Fukushima, qui avaient moins de 18 ans lors de la catastrophe nucléaire ou qui étaient encore dans le ventre de leur mère (nés entre le 2 avril 1992 et le 1er avril 2012), peuvent bénéficier d’un dépistage tous les deux ans par échographie. Même si le taux de participation baisse, certains en sont à leur 5ème examen médical. Après 20 ans, le dépistage suivant se fait à l’âge de 25 ans.

Le tableau ci-dessous synthétise les données issues du dépistage officiel qui sont ici en japonais. Elles sont datées du 30 septembre 2022 pour les dépistages les plus récents (5ème campagne et plus de 25 ans). Comme le taux de dépistage diminue au fur et à mesure des campagnes, le nombre de cas réel est forcément plus élevé. De plus, les cas de cancer détectés en dehors du programme de suivi ne sont pas pris en compte, même si l’intervention chirurgicale a eu lieu à l’université de médecine de Fukushima, en charge du suivi… Enfin, le dépistage gouvernemental n’a lieu que dans la province de Fukushima alors que les provinces voisines ont aussi été touchées par les retombées radioactives. Les cas de cancer de la thyroïde qui pourraient y apparaître échappent aussi aux données officielles.

  Dépistages avec résultat Examens complémentaires terminés Cytoponctions Nombre de cancers suspectés Nombre de cancers confirmés
Première campagne 300 472 2 091 547 116 101
Deuxième campagne 270 552 1 834 207 71 56
Troisième campagne 217 922 1 068 79 31 29
Quatrième campagne 183 410 1 016 91 39 34
Cinquième campagne 82 368 615 54 26 16
Plus de 25 ans 10 201 416 36 19 11
Bilan des campagnes de dépistage du cancer de la thyroïde chez les jeunes de Fukushima au 30 septembre 2022.

On arrive donc à un total de 302 cas de cancer de la thyroïde suspectés suite au dépistage exercé par l’université de médecine de Fukushima. Parmi eux, 248 enfants ont subi une intervention chirurgicale qui a conduit à identifier 1 nodule bénin, 244 carcinomes papillaires, 1 carcinome peu différencié, 1 carcinome folliculaire et 1 autre cancer de la thyroïde.

Les cas détectés lors de la première campagne pouvaient exister avant la catastrophe nucléaire. Les cas découverts lors des campagnes suivantes n’existaient pas deux ans auparavant, lors du dépistage précédent. Or, le nombre de cas nouveaux, qui n’ont été détectés qu’à partir de la seconde campagne de dépistage (186), est plus élevé que le nombre de cas détectés lors de la première campagne (116). Ces nouveaux cancers se sont aussi développé rapidement, même s’il n’y avait pas encore de signes cliniques. Plusieurs récidives ont aussi été observées, entraînant parfois une deuxième intervention chirurgicale.

Le bilan synthétique indique aussi que 18 de ces enfants avaient moins de 5 ans au moment de l’accident. Les très jeunes enfants ont été particulièrement touchés par les retombées radioactives de Tchernobyl. Lors des premières années de la catastrophe de Fukushima, l’absence de cas de cancer chez les très jeunes enfants était utilisé comme argument pour prétendre que la radioactivité n’était donc probablement pas à l’origine de l’élévation significative du nombre de cancers de la thyroïde chez les jeunes. Ce point est passé sous silence maintenant que des cas ont aussi été découverts à Fukushima.

Tout le monde s’accorde pour constater qu’il y a beaucoup plus de cas de cancer de la thyroïde qu’attendu, car il est très rare chez les jeunes. En revanche, il n’y a pas consensus sur la cause de la sur-incidence. Le discours officiel met en avant le dépistage qui a permis de découvrir très tôt des cancers qui se seraient développés lentement autrement et joue sur le fait que l’on ne peut pas démontrer que la radioactivité en est à l’origine. Le discours officiel ne dit jamais que l’on ne peut cependant pas exclure non plus que certains de ces cancers soient radio-induits. Selon Libération, Shin’ichi Suzuki, le chirurgien qui a opéré la plupart des tumeurs cancéreuses découvertes par ce programme, optait initialement pour l’hypothèse du surdiagnostic. Il s’est depuis ravisé, au vu du nombre de cas mais aussi en observant ces dernières années des évolutions nettes des maladies, avec métastases et récidives. Sans en déduire catégoriquement que les radiations dues à la catastrophe nucléaire sont en cause, il écarte désormais clairement le surdiagnostic et exige que le suivi se poursuive encore des années.