Cancers de la thyroïde chez les jeunes de Fukushima – bilan 2022

L’ACRO a effectué un suivi de la catastrophe de Fukushima et de ses conséquences pendant 11 ans de façon entièrement bénévole. Ce travail s’est arrêté au printemps 2022. Mais, suite à une demande de conférence sur le sujet, voici les dernières données disponibles concernant les cancers de la thyroïde chez les jeunes de la province de Fukushima.

Les dernières données officielles ont été mises en ligne en mars 2023, suite à la 47ème réunion  du comité de suivi. Une traduction non-officielle en anglais est disponible ici. Pour rappel, nous avions publié, en 2021, à l’occasion du dixième anniversaire de la catastrophe, une revue de littérature scientifique sur le sujet.

Rappelons que tous les jeunes de Fukushima, qui avaient moins de 18 ans lors de la catastrophe nucléaire ou qui étaient encore dans le ventre de leur mère (nés entre le 2 avril 1992 et le 1er avril 2012), peuvent bénéficier d’un dépistage tous les deux ans par échographie. Même si le taux de participation baisse, certains en sont à leur 5ème examen médical. Après 20 ans, le dépistage suivant se fait à l’âge de 25 ans.

Le tableau ci-dessous synthétise les données issues du dépistage officiel qui sont ici en japonais. Elles sont datées du 30 septembre 2022 pour les dépistages les plus récents (5ème campagne et plus de 25 ans). Comme le taux de dépistage diminue au fur et à mesure des campagnes, le nombre de cas réel est forcément plus élevé. De plus, les cas de cancer détectés en dehors du programme de suivi ne sont pas pris en compte, même si l’intervention chirurgicale a eu lieu à l’université de médecine de Fukushima, en charge du suivi… Enfin, le dépistage gouvernemental n’a lieu que dans la province de Fukushima alors que les provinces voisines ont aussi été touchées par les retombées radioactives. Les cas de cancer de la thyroïde qui pourraient y apparaître échappent aussi aux données officielles.

  Dépistages avec résultat Examens complémentaires terminés Cytoponctions Nombre de cancers suspectés Nombre de cancers confirmés
Première campagne 300 472 2 091 547 116 101
Deuxième campagne 270 552 1 834 207 71 56
Troisième campagne 217 922 1 068 79 31 29
Quatrième campagne 183 410 1 016 91 39 34
Cinquième campagne 82 368 615 54 26 16
Plus de 25 ans 10 201 416 36 19 11
Bilan des campagnes de dépistage du cancer de la thyroïde chez les jeunes de Fukushima au 30 septembre 2022.

On arrive donc à un total de 302 cas de cancer de la thyroïde suspectés suite au dépistage exercé par l’université de médecine de Fukushima. Parmi eux, 248 enfants ont subi une intervention chirurgicale qui a conduit à identifier 1 nodule bénin, 244 carcinomes papillaires, 1 carcinome peu différencié, 1 carcinome folliculaire et 1 autre cancer de la thyroïde.

Les cas détectés lors de la première campagne pouvaient exister avant la catastrophe nucléaire. Les cas découverts lors des campagnes suivantes n’existaient pas deux ans auparavant, lors du dépistage précédent. Or, le nombre de cas nouveaux, qui n’ont été détectés qu’à partir de la seconde campagne de dépistage (186), est plus élevé que le nombre de cas détectés lors de la première campagne (116). Ces nouveaux cancers se sont aussi développé rapidement, même s’il n’y avait pas encore de signes cliniques. Plusieurs récidives ont aussi été observées, entraînant parfois une deuxième intervention chirurgicale.

Le bilan synthétique indique aussi que 18 de ces enfants avaient moins de 5 ans au moment de l’accident. Les très jeunes enfants ont été particulièrement touchés par les retombées radioactives de Tchernobyl. Lors des premières années de la catastrophe de Fukushima, l’absence de cas de cancer chez les très jeunes enfants était utilisé comme argument pour prétendre que la radioactivité n’était donc probablement pas à l’origine de l’élévation significative du nombre de cancers de la thyroïde chez les jeunes. Ce point est passé sous silence maintenant que des cas ont aussi été découverts à Fukushima.

Tout le monde s’accorde pour constater qu’il y a beaucoup plus de cas de cancer de la thyroïde qu’attendu, car il est très rare chez les jeunes. En revanche, il n’y a pas consensus sur la cause de la sur-incidence. Le discours officiel met en avant le dépistage qui a permis de découvrir très tôt des cancers qui se seraient développés lentement autrement et joue sur le fait que l’on ne peut pas démontrer que la radioactivité en est à l’origine. Le discours officiel ne dit jamais que l’on ne peut cependant pas exclure non plus que certains de ces cancers soient radio-induits. Selon Libération, Shin’ichi Suzuki, le chirurgien qui a opéré la plupart des tumeurs cancéreuses découvertes par ce programme, optait initialement pour l’hypothèse du surdiagnostic. Il s’est depuis ravisé, au vu du nombre de cas mais aussi en observant ces dernières années des évolutions nettes des maladies, avec métastases et récidives. Sans en déduire catégoriquement que les radiations dues à la catastrophe nucléaire sont en cause, il écarte désormais clairement le surdiagnostic et exige que le suivi se poursuive encore des années.