Les retombées radioactives de la catastrophe de Tchernobyl ont pollué de vastes territoires en Ukraine, Biélorussie et Russie. 34 ans plus tard, le réacteur accidenté est confiné sous une arche pour un siècle et la zone d’exclusion a été transformée en une vaste « réserve radio-écologique ». La principale stratégie mise en œuvre est d’attendre la lente décroissance de la radioactivité.
Les récents incendies de forêt sont venus rappeler que la radioactivité n’est pas confinée dans les territoires abandonnés. La rivière Pripiat, qui traverse la zone d’exclusion et passe au pied du réacteur accidenté avant de se jeter dans le Dniepr, charrie aussi continuellement des radioéléments. En aval, plus de 8 millions d’Ukrainiens boivent l’eau du Dniepr et jusqu’à 20 millions mangent des aliments irrigués avec l’eau de ce fleuve. Les années avec de fortes inondations dans la zone d’exclusion (une fois tous les 4 ans environ), les niveaux d’exposition des habitants augmentent de façon significative.
C’est dans ce contexte que l’ACRO a évalué l’impact radiologique de la voie navigable transeuropéenne E40, qui vise à relier la Mer Noire à la Mer Baltique via le Dniepr et le Pripiat, à la demande de la société zoologique de Francfort et du collectif « Save Polesia ». Le rapport est disponible en français et en anglais sur notre site Internet : http://acro.eu.org
Carte du projet de voie fluviale E40, extraite de savepolesia.org. © pg-webstudio.de
Aujourd’hui, la contamination est dominée par le césium-137, le strontium-90 et divers isotopes du plutonium hautement toxique. L’américium-241, le noyau fils du plutonium-241, est également très toxique et sa contribution croissante devrait dominer l’impact radiologique à l’avenir.
La voie navigable intérieure E40 projetée, qui devrait passer à proximité de la centrale nucléaire de Tchernobyl et traverser la zone d’exclusion, aura nécessairement un impact radiologique sur les travailleurs de la construction et de la maintenance, ainsi que sur la population en aval qui dépend de l’eau des rivières Pripiat et Dniepr. Bien que ce projet nécessite de grands travaux tels que la construction d’un barrage et l’alignement du cours de la rivière dans sa partie la plus contaminée, aucune étude d’impact radiologique n’est disponible. Les principes de la CIPR en matière de radioprotection et les conventions d’Aarhus et d’Espoo exigent pourtant des études environnementales et radiologiques, une justification du projet et la participation des parties prenantes et du grand public au processus de décision.
L’étude de l’ACRO montre que les travaux de construction pour la partie de la voie navigable E40 qui traverse la zone d’exclusion de Tchernobyl et passe à proximité de la centrale nucléaire ne sont pas réalisables. L’exposition estimée des travailleurs serait trop élevée pour être acceptée. En outre, le bassin de refroidissement de Tchernobyl, fortement contaminé, et les stockages temporaires de déchets radioactifs dans la plaine d’inondation de la rivière Pripiat n’ont pas encore été démantelés, ce qui empêche tout travail de construction. L’AIEA recommande également une liste d’autres mesures de protection qui restent à mettre en œuvre.
La partie de la voie navigable E40 qui se trouve en amont de la zone d’exclusion de Tchernobyl serait alors inutile, car sans connexion avec le Dniepr. Cela signifie également que les travaux d’aménagement qui consistent en la construction de plusieurs barrages et l’alignement des méandres de la rivière Pripiat pour accepter les navires de classe V ne sont pas justifiés.
Enfin, la portion de la voie E40 allant de la mer Noire au réservoir de Kiev nécessite principalement des travaux de dragage réguliers. L’étude de faisabilité mentionne 68 000 m3 de travaux de dragage par an dans le réservoir de Kiev, qui stocke du césium-137 dans ses sédiments de fond. Une telle activité est contraire aux recommandations de l’AIEA de laisser les sédiments en place car elle augmentera la dose des personnes qui dépendent de l’eau du réservoir de Kiev pour leur approvisionnement en eau et en nourriture.
En conclusion, l’ACRO partage l’avis du collectif « Save Polesia » : ce projet de voie navigable aura un impact environnemental et sanitaire inacceptable. Il n’est pas justifié et doit être abandonné. Elle appelle l’Union européenne à cesser tout soutien à ce projet.
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Radiation impacts of the E40 waterway from Frankfurt Zoological Society on Vimeo.