Opération de communication de TEPCo sur le traitement de l’eau contaminée

TEPCo tente désespérément de se donner une image d’entreprise responsable. Sa communication a beaucoup évolué depuis le début de la crise. Mais, les dernières révélations sur les fuites en mer cachées pendant presque un an ou les rejets de poussières radioactives faute d’avoir aspergé de la résine fixatrice mettent à mal cette image. Pour les Japonais, c’est, bien entendu, d’abord un problème environnemental.

Alors la compagnie est repassée à l’offensive communicationnelle. In fine, elle espère pouvoir convaincre les pêcheurs d’accepter le rejet en mer de l’eau partiellement décontaminée pompée au pied des réacteurs. Voir les derniers résultats concernant les niveaux de contamination de la nappe phréatique. Certaines valeurs sont toujours très élevées, jusqu’à 560 000 Bq/L en bêta total dans le puits 1-6.

Pour « lutter contre les rumeurs néfastes » dont souffriraient les pêcheurs, la compagnie propose un bilan de la contamination des poissons pêchés dans un rayon de 20 km de la centrale, à l’exclusion du port. Il y a une tendance à la baisse qui est très nette et le nombre de spécimens qui dépassent la limite de mise sur le marché fixée à 100 Bq/kg pour les césiums, est très faible. C’est une bonne nouvelle. TEPCo annonce aussi avoir fait 10 mesures de strontium-90 entre juillet et décembre 2014 et que la contamination la plus élevée était de 0,59 Bq/kg. C’est toujours moins de 1% de celle en césium. Elle aurait aussi fait six mesures sur le tritium libre qui mettent en évidence une faible contamination, du même ordre de grandeur que celle de l’eau, et sur le tritium organiquement lié qui serait toujours inférieur à la limite de détection.

Concernant la bataille de l’eau contaminée, TEPCo fait une série d’annonces (voir son communiqué de presse), dont celle de finir à la fin mai 2015 le traitement partiel des 600 000 m3 d’eau contaminée accumulée dans des cuves. Dans ce document explicatif, il est expliqué que 66% de cette eau aura été traitée par ALPS qui retire 62 radioéléments. Pour 31% de ce stock, seuls les césiums et strontiums auront été retirés.

Il lui restera 20 000 m3 d’eau contaminée très salée du tout début de la catastrophe qui est plus difficile à traiter. TEPCo ne peut pas entièrement pomper l’eau des cuves et il en reste au fond. Ce stock résiduel est aussi estimé à 20 000 m3. Elle promet de faire attention quand elle démantèlement les cuves.

La réduction de la contamination de l’eau traitée aura pour effet de réduire le débit de dose sur le site de la centrale. TEPCo annonce moins de 1 mSv/an à la bordure du site pour la seule contribution de l’eau contaminée. Bien entendu, la contamination des sols engendre une dose bien plus élevée. La compagnie annonce aussi qu’elle aura fini d’installer une capacité de stockage de 800 000 m3 d’ici la fin mars, avec une avance de deux ans sur son calendrier prévisionnel.

Il y a toujours environ 300 m3 d’eau contaminée pompée dans les sous-sols et 100 m3 pompés dans la nappe phréatique au pied des réacteurs qui s’ajoutent chaque jour à l’inventaire.

L’eau contaminée qui inonde les sous-sols n’est pas prise en compte dans ce bilan. En ce qui concerne celle dans les galeries souterraines et les tranchées en aval des réacteurs 2 à 4, TEPCo annonce la fin du bétonnage pour juin 2015. Ce serait à moitié terminé ce mois-ci. En amont, le gel du sous-sol a du retard : les premiers tests sont prévus pour avril. La compagnie mentionne des difficultés sans plus de précision.

Dans le port devant la centrale, TEPCo bétonne aussi le fond pour limiter la contamination des sédiments. Ce sera terminé en mai, mais cela ne diminuera pas les fuites pour autant. Elle couvre aussi le sol du site de la centrale pour éviter les infiltrations d’eau contaminée vers les nappes phréatiques. 70% seraient ainsi couverts.

Le dernier point sur la situation de l’eau contaminée est ici en anglais.

Enfin, concernant l’eau souterraine en amont des réacteurs, mais en aval des cuves où la dernière fuite avait engendré une hausse rapide de la contamination à cause de la contamination des sols, il y a toujours une pollution élevée dans le puits E-9 : 7 700 Bq/L en bêta total le 12 mars, 5 400 Bq/L le 13 mars, 6 100 Bq/L le 14 mars, de nouveau 7 700 Bq/L le 15 mars et 3 600 Bq/L le 16 mars. A titre de comparaison, TEPCo se refuse à rejeter en une eau qui aurait plus de 5 Bq/l en bêta total.

Les dernières données sur la contamination de la mer sont ici et ici.

Etude épidémiologique sur les travailleurs à la centrale de Fukushima

On s’en souvient, la Radiation Effects Research Foundation, qui a suivi les personnes exposées aux bombes de Hiroshima et Nagasaki, voulait suivre une première cohorte de 2 000 travailleurs qui sont intervenus la première année à la centrale accidentée de Fukushima daï-ichi car ce sont eux qui ont pris les plus fortes doses. Elle en a contacté 5 466 à Fukushima, mais seulement 704 auraient accepté, ce qui est beaucoup moins que les 2 000 espérés. 299 courriers auraient été retournés car l’adresse était erronée. Sur les 1 071 qui ont répondu, 295 ont refusé d’y participer. Certains ont justifié leur refus car il n’y a pas de prise en charge alors qu’ils doivent travailler. D’autres se sont plaints de la difficulté à accéder aux centres de soins où ils seront auscultés.

Les premiers travaux vont commencer ce mois-ci. A terme, la fondation veut suivre 20 000 travailleurs.

Contamination des aliments : les craintes persistent

Le New-York Times a rapporté que Hong-Kong a découvert que du thé vert japonais en poudre en provenance de Chiba avait une contamination en césium 9,3 fois plus élevée que la limite autorisée sans pour autant préciser de quelle limite il s’agit. Au Japon, elle est de 500 Bq/kg pour le thé de façon à ce que la contamination de la boisson soit inférieure à 10 Bq/L. Le quotidien a, depuis, corrigé, c’était 0,93% de la limite, ce qui ne veut toujours pas dire grand chose. Les derniers résultats des contrôles effectués par Hong-Kong sur la nourriture sont ici en anglais et chinois.

D’une manière générale, la situation s’est bien améliorée au Japon en ce qui concerne la nourriture vendue sur le marché : les contrôles effectués par de multiples organismes y sont pour beaucoup. Les efforts des agriculteurs aussi. Et les zones les plus contaminées ne sont pas cultivées. Il restent, cependant, quelques points noirs : ce sont les plantes sauvages, le gibier et les poissons qui vivent au fond. Ces derniers se contaminent via leur alimentation.

Récemment, un sanglier avait une contamination au césium de 15 000 Bq/kg de viande à Fukushima. Dans les provinces voisines aussi, des sangliers peuvent être très contaminés, ce qui n’est pas une surprise car, en Europe, après 29 années de contamination post-Tchernobyl, des sangliers peuvent encore être très contaminés. Un sanglier de Saïtama avait une contamination en césium de 530 Bq/kg.

Voir aussi les données du réseau associatif Minna no data auquel participe Chikurin.

Il en est de même pour les champignons. Là encore, la cartographie citoyenne que l’ACRO est en train de mener en Europe a mis en évidence quelques spécimens très contaminés au Luxembourg ou dans la Drôme. Au Japon, des champignons et des plantes sauvages ont dépassé la limite de mise sur le marché de 100 Bq/kg dans 11 provinces du pays depuis le 1er avril 2014.

Arithmétique nucléaire

Le Japon vient de passer 18 mois consécutifs sans énergie nucléaire et il n’est pas prévu de redémarrage avant quelques mois, au mieux. Petit bilan.

Il y avait 54 réacteurs de production de l’électricité au Japon avant le 11 mars 2011. Quatre ont été détruits à Fukushima daï-ichi et deux arrêtés définitivement. Il en reste donc officiellement 48. Une demande de redémarrage a été déposée pour 21 d’entre eux, ce qui ne représente même pas la moitié du parc restant et seulement quatre d’entre eux ont vu leur dossier de sûreté jugé recevable. Cependant, les travaux de remise en conformité, la rédaction des procédures d’exploitation et les inspections ne sont pas terminés. Selon les prédictions les plus optimistes, le réacteur n°1 de la centrale de Sendaï (Kagoshima) pourrait démarrer en juin 2015.

En revanche, l’arrêt définitif devrait être bientôt officiel pour 5 réacteurs anciens. La liste est connue depuis longtemps : il s’agit des réacteurs n°1 et 2 de Mihama (Fukui), du n°1 de Genkaï (Saga), du n°1 de Shimané et du n°1 de Tsuruga (Fukui). Leur puissance est comprise entre 340 et 559 MWe.

Et ce n’est qu’un début, car d’autres réacteurs ne redémarreront jamais. On peut penser, par exemple, aux quatre de Fukushima daï-ni ou à ceux de Tsuruga, sur une faille active. Même parmi les 21 pour lesquels une demande a été déposée, il est fort probable que certains n’obtiennent pas l’autorisation. Ce sera sûrement le cas de celui de Tôkaï, qui est trop ancien. L’isolant de ses câbles électriques est inflammable. L’obstination de l’exploitant montre que les leçons de la catastrophe n’ont pas été tirées. C’est lui qui est responsable de la sûreté de ses installations.

Il y a aussi quatorze petits réacteurs de recherche qui sont tous arrêtés. Trois sont dans des universités. Il y a celui de l’université du Kinki, à Ôsaka, avec une puissance d’un watt, ce qui est très faible. Il ne dégage pas une chaleur résiduelle nécessitant un refroidissement. Une demande d’autorisation de redémarrage a été déposée en octobre 2014.

L’université de Kyôto en a deux à Kumatori, près de l’aéroport du Kansaï : un de 100 watts et un de 5 MW qui servent à la recherche et à l’éducation. L’arrêt prolongé inquiète les universitaires qui espèrent un redémarrage rapide car, même si le Japon arrêtait définitivement le nucléaire, il faut continuer à former des spécialistes pour le démantèlement et la gestion des déchets. En attendant, des étudiants japonais sont allés se former sur un réacteur de recherche en Corée.

Comme le nombre de réacteurs de recherche diminue aussi rapidement à cause de leur âge, certains envisagent d’en construire de nouveaux. Le gouverneur de Fukui a un projet en ce sens.

Révisionnisme

Kelvin Kemm, PDG de Nuclear Africa, a encore frappé : pour lui, « le nombre de personnes tuées par les radiations, zéro. Nombre de blessés, zéro. Nombre de propriétés privées endommagées par les radiations, zéro. Effets à long terme attendus, zéro. » Et en déduire que la principale leçon de Fukushima est que le nucléaire est sûr, titre de son article. Ce n’est malheureusement pas la première fois. En 2013, il avait déjà publié un point de vue expliquant qu’il n’y avait pas eu de catastrophe nucléaire de Fukushima. Voir notre article avec les chiffres clés pour connaître le nombre de décès liés à la catastrophe nucléaire.
De telles publications décrédibilisent leur auteur tellement elles sont grotesques.
Bien sûr, on trouve des textes aussi grotesques à l’autre extrême, exagérant les conséquences de la catastrophe.
Mais, le texte minimisant les conséquences est le seul article retenu le 11 mars 2015 par la Commission Canadienne de Sûreté Nucléaire pour célébrer les 4 ans de, comment dire, l’incident, la broutille de Fukushima. Elle le présente ainsi : « Kelvin Kemm, Ph. D., récipiendaire du Lifetime Achievers Award du National Science and Technology Forum de l’Afrique du Sud, […] examine de plus près les répercussions du désastre à Fukushima, et souligne l’importance de sensibiliser le public et les autorités à la véritable nature de l’énergie nucléaire. »
Au Japon, la défunte NISA en charge de la sûreté nucléaire était plus préoccupée par la promotion du nucléaire que par la sûreté, avec le succès que l’on connaît.

Retour sur la dernière fuite

TEPCo a récemment trouvé de l’eau de pluie fortement contaminée en dehors des plateformes qui accueillent les cuves. Elle aurait fui à travers les joints mal scellés et atteint la nappe phréatique. 750 m3 environ auraient fui ainsi. La contamination de cette eau a atteint 11 000 Bq/L en bêta total.
La compagnie affirme que ce n’est pas dû à une fuite sur une cuve. Elle pense que c’est dû à de la terre fortement contaminée qui n’a pas été retirée. Le débit de dose peut atteindre jusqu’à 35 millisieverts par heure au contact et 120 microsieverts par heure à 1 cm dans la zone en question, située en dehors des murets supposés retenir l’eau. 100 m3 d’eau très contaminée avaient fui à cet endroit en 2012.
Voir les explications et photos fournies par la compagnie aux médias.

53 familles vivent encore en zone évacuée

Selon la télévision publique, la NHK, 53 familles vivraient dans des zones où il y a eu ordre d’évacuer. Elle a obtenu ces chiffres auprès de la police qui patrouille dans la zone.
Certains foyers sont en zone classée en « retour difficile », là où l’exposition externe peut dépasser 50 mSv/an. Dans certains cas, c’est pour prendre soin du bétail. Dans d’autres, c’est parce que les conditions de vie comme evacués étaient trop difficile. La police leur demande régulièrement de partir car c’est dangereux, mais ils refusent. Aucune sanction n’est prévue.

Premier transfert de déchets sur le futur site d’entreposage

Les autorités ont fait procéder au premier transport de déchets radioactifs issus de la décontamination sur le site d’entreposage de la province de Fukushima, du côté d’Ôkuma. Pour le côté Futaba, ce sera après le 25 mars.
Lors de la première année, le gouvernement veut transporter 1 000 m3 de chacune des 43 communes de Fukushima qui ont de tels déchets répartis sur 75 000 sites. Comme il y en a environ 22 millions de mètres cube en tout, qui devraient couvrir 16 km2, cela devrait prendre presque 600 ans à tout transporter à ce rythme là…
Mais pour le moment, il n’y a de la place que pour 20 000 m3. Les négociations avec les 2 400 propriétaires des terrains sont toujours dans l’impasse. Et le gouvernement, qui s’est engagé à reprendre les déchets au bout de 30 ans, n’a encore rien fait pour trouver un nouveau site. Il n’arrive déjà pas à trouver de site pour les déchets en provenance des autres provinces contaminées.
Le projet devrait lui coûter 1 100 milliards de yens.

Décontamination : les mauvaises pratiques continuent

Les autorités ont engagé un immense chantier de décontamination partout où l’exposition externe pourrait dépasser un millisievert par an. Dans les zones évacuées, c’est le gouvernement qui en a la charge. Ailleurs, ce sont les communes, avec des fonds gouvernementaux. Ce sont généralement de grandes compagnies qui ont emporté les marchés et elles sous-traitent à d’autres, qui parfois sous-traitent à leur tour. Des déchets avaient été rejetés dans la rivière, de l’eau contaminée s’était écoulée dans la nature. Les droits des travailleurs n’étaient pas respectés : pas d’équipements de protection individuelle, pas de dosimétrie et l’embauche de SDF parfois.

Depuis janvier 2012, les travailleurs engagés dans ces travaux sont considérés comme des travailleurs du nucléaire. Ils ont la même limite de dose : 50 mSv sur un an et 100 mSv sur 5 ans. Ils ont droit à une visite médicale et les doses prises doivent être enregistrées.

Tout comme il y a des « nomades du nucléaire », il y a maintenant des « nomades de la décontamination ». Mais il n’y avait de fichier centralisé pour enregistrer les doses. Difficile, alors, de connaître la dose totale prise par ces travailleurs.

En novembre 2013, les majors du BTP, qui ont remporté les marchés de la décontamination, ont créé leur propre suivi des travailleurs basé sur un carnet de doses. Ces mêmes données sont destinées, à terme, à être transmises au fichier national.

Ce système, privé, ne concerne que les travailleurs engagés dans la décontamination des zones évacuées sous responsabilité gouvernementale. Ailleurs, l’exposition est supposée « faible » puisque non-évacuée. Il n’y a donc pas les mêmes règles.

Le Maïnichi, qui a recueilli le témoignage d’un de ces travailleurs qui révèle des pratiques douteuses. Selon cet homme, âgé de 45 ans, sur les chantiers « gouvernementaux », les règles sont maintenant respectées et chaque travailleur a un dosimètre. En revanche, sur les chantiers « municipaux », c’est loin d’être le cas. Il ne connaît donc pas sa dose cumulée.

Il cite le cas d’un chantier avec une dizaine de personnes dans la ville de Fukushima. La dose de 0,002 (pas d’unité donnée dans l’article, mais ce doit être des millisieverts) a été notée dans le carnet, sans la moindre mesure. La personne a juste noté ce que son patron lui a dit de noter. Les outils n’ont pas été contrôlés non plus et une contamination comprise entre 180 et 260 cpm a été indiquée. A partir de 13 000 cpm, les outils ne peuvent pas quitter le chantier. La compagnie qui a emporté le marché a accepté ces informations de son sous-traitant sans vérification.

De même pour les mesures de débit de dose ambiant après travaux : les données ont été inventées de toutes pièces. Ainsi, au lieu de nettoyer une habitation à l’eau sous pression, ils l’ont juste arrosée et ont ensuite indiqué des valeurs prises ailleurs.

La personne a pris des photos qu’elle a montrées au responsable du chantier. La mairie de Fukushima a déclaré ne pas être au courant.

L’article mentionne qu’il y a environ 8 000 compagnies du bâtiment engagées dans des chantiers de décontamination à Fukushima, plus des compagnies spécialisées dans le nettoyage. La décontamination a créé une bulle spéculative et certaines compagnies sont sans scrupules.

Selon le ministère de l’environnement, il y avait environ 28 000 personnes engagées chaque jour des chantiers de décontamination l’été dernier et environ 20 000 cet hiver.

Le quotidien revient sur les bénévoles qui participent à ces travaux en zone évacuée et dont nous avons déjà parlés. Il rapporte plusieurs témoignages, cette fois-ci.

La fuite aurait atteint la nappe phréatique

TEPCo a annoncé que la contamination bêta totale de l’eau d’un puits de contrôle situé près de la zone où il a eu une fuite récente est passée de 370 Bq/L dans le prélèvement du 9 mars dernier à 11 000 Bq/L dans celui du 11 mars (puits E-9). Elle associe cette hausse à la fuite récente. A noter que la contamination bêta total dans le puits voisin E-11 vient de battre son propre record avec 170 Bq/L. Celle du puits E-8 a aussi battu son propre record dans le prélèvement de la veille avec 36 Bq/L.