Fukushima, cinq ans après : quel impact sanitaire ?

A un mois du cinquième anniversaire de la catastrophe de Fukushima, l’ACRO publie en ligne un premier rapport sur son impact sanitaire :

Fukushima, cinq ans après : quel impact sanitaire ?

D’autres rapports vont suivre d’ici le 11 mars 2016.

Résumé

L’évacuation forcée autour de la centrale nucléaire de Fukushima daï-ichi a provoqué beaucoup de souffrances. Cinq plus tard, environ 100 000 personnes sont toujours comptabilisées comme personnes déplacées à cause de l’accident nucléaire. Les personnes non-évacuées et vivant en territoire contaminé ont aussi vu leur vie bouleversée.

L’évacuation d’urgence, les conditions d’accueil difficiles, sans structure de soin appropriée et l’absence de solution acceptable à moyen et long terme conduisent à une dégradation de la santé des personnes les plus fragiles. Les suicides sont plus fréquents que dans les provinces voisines touchées par le tsunami. Le nombre total de décès liés aux conséquences de la catastrophe nucléaire dépasse déjà le nombre de victimes directes du tsunami à Fukushima.

Le suivi des conséquences sanitaires des rejets radioactifs a conduit à mettre en évidence une augmentation notable du nombre de cancers de la thyroïde chez les jeunes qui est reconnue par tous. En revanche, il y a débat sur l’origine de la hausse constatée : effet du dépistage, comme le prétendent les autorités ou à la radioactivité, comme le montre une étude scientifique ?

Enfin, les personnes les plus exposées sont les travailleurs du nucléaire qui dépassent les 45 000 à la centrale de Fukushima daï-ichi et quelques 26 000 sur les chantiers de décontamination où les doses sont moindres. A la centrale, on déplore déjà plusieurs décès dus à des accidents de chantier. Le port de combinaisons et de masques intégraux rend les conditions de travail et de communication plus difficiles.

Il a fallu plusieurs scandales et un renforcement des contrôles pour que la protection des travailleurs s’améliore. Un travailleur à la centrale accidentée a vu sa leucémie reconnue comme maladie professionnelle.

Une catastrophe nucléaire de grande ampleur est d’abord une catastrophe humanitaire. A Fukushima, elle ne fait que commencer et il est hasardeux de vouloir tirer un bilan définitif. Mais, en moins de 5 ans, l’impact est déjà significatif.

L’impact sanitaire de la catastrophe de Fukushima

Article écrit pour Les cahiers de Global Chance n°37, juin 2015

Les promoteurs de l’énergie nucléaire mettent souvent en avant que la catastrophe de Fukushima n’a tué personne. Les plus scrupuleux, précisent que personne n’est décédé directement à cause des radiations. Mais plus de 100 000 personnes ont tout perdu à cause de ces radiations : lieu de vie, travail, lien social… L’évacuation d’urgence a aussi provoqué des décès directs et indirects. Les conditions de vie des réfugiés sont difficiles et les familles qui vivent en territoire contaminé se font beaucoup de soucis.

Selon le rapport d’enquête parlementaire sur l’accident nucléaire au Japon, il y avait 850 patients dans les 7 hôpitaux et cliniques situés dans un rayon de 20 km autour de la centrale de Fukushima daï-ichi, dont 400 sérieusement malades avec un besoin de soins réguliers ou alités (Voir The National Diet of Japan, The official report of The Fukushima Nuclear Accident Independent Investigation Commission, 2012). Tous ont été évacués en urgence. A l’hôpital de Futaba cela a été particulièrement dramatique.

Les victimes de l’évacuation

La commission d’enquête parlementaire explique que « de nombreux habitants dans les environs de l’usine ont reçu l’ordre d’évacuer sans pour autant recevoir d’information précise. Ignorant la gravité de l’accident, ils pensaient devoir s’éloigner pendant quelques jours seulement et ne sont donc partis qu’avec le strict nécessaire. Les ordres d’évacuation ont été maintes fois révisés, les zones d’évacuation ont ainsi été élargies, à l’origine d’un rayon de 3 km, puis à 10 km et plus tard, à 20 km, en 24 heures. Chaque fois que la zone d’évacuation s’élargissait, les résidents étaient invités à déménager à nouveau. Certaines personnes évacuées ne savaient pas qu’elles avaient été déplacées vers des sites avec des niveaux élevés de radiations. Les hôpitaux et les maisons de soins situés dans la zone des 20 km ont eu beaucoup de difficultés pour assurer le transport des malades et pour trouver un accueil ; 60 patients sont morts en mars, du fait de complications liées à l’évacuation. »

Les hôpitaux et maisons de retraite situés à moins de 20 km de la centrale de Fukushima daï-ichi ont dû improviser pour évacuer leurs patients et pensionnaires. Le personnel ne savait pas qu’il en avait la charge en cas d’accident nucléaire, surtout quand la structure était éloignée de la centrale. Une évacuation jusqu’à 20 km n’avait jamais été envisagée. Un seul hôpital avait un plan qui s’est révélé être inutile car irréaliste. Pour quatre centres, l’évacuation a été beaucoup plus tardive que celle des habitants des environs. Le personnel médical a rapidement manqué. Les premiers décès sont liés à l’utilisation de moyens de transport inappropriés : des bus sont venus chercher les patients pour un trajet qui a duré des heures. Dans le cas de l’hôpital de Futaba, le trajet faisait 230 km et a duré plus de 10 heures. Et les centres d’accueil n’étaient pas équipés pour accueillir des réfugiés ayant besoin de soins lourds.

Une fois dans les centres d’accueil d’urgence, les personnes les plus fragiles ont vu leurs conditions se détériorer. Une étude (Nomura S, Gilmour S, Tsubokura M, Yoneoka D, Sugimoto A, et al. (2013) Mortality Risk amongst Nursing Home Residents Evacuated after the Fukushima Nuclear Accident: A Retrospective Cohort Study. PLoS ONE 8(3): e60192) a examiné les risques de mortalité liés à l’évacuation des personnes âgées de cinq maisons de retraite de la ville de Minami-Sôma dans la préfecture de Fukushima. Le taux de mortalité était 2,7 fois plus élevé après l’accident qu’avant. Cette étude, menée sur 328 personnes âgées, qui résidaient dans 5 maisons de retraite à Minami-Sôma et qui ont toutes été évacuées, parfois à plus de 200 à 300 km en bus, a montré que 75 d’entre elles sont décédées en moins d’un an, ce qui est plus élevé que la normale, calculée sur les 5 années précédentes. Il y a aussi disparité entre les maisons de retraite : trois ont évacué rapidement leurs résidents, dès le début de la catastrophe, sans l’aide du gouvernement, et l’accueil s’est fait dans de mauvaises conditions. Les soins n’étaient pas toujours disponibles à l’arrivée. Les deux autres ont attendu deux semaines avant d’évacuer les résidents dans de meilleures conditions et avec une mortalité moindre. L’évacuation rapide a entraîné une augmentation d’un facteur 4 à 5 du nombre de décès.

L’université médicale de Fukushima ( Asahi, Death rates spike among elderly evacuees from Fukushima, January 11, 2013) est arrivée à des conclusions similaires : il y a eu 2,4 fois plus de décès chez les personnes âgées lors des 8 mois qui ont suivi la triple catastrophe que durant la même période en 2010. Le pic de décès était en avril-mai 2011, avec un facteur 3. Ces statistiques ont été obtenues à partir des rapports transmis par 34 institutions d’accueil pour personnes âgées situées dans la zone d’évacuation de 20 km autour de la centrale de Fukushima daï-ichi. Sur les 1 770 pensionnaires, 295 sont décédés avant la fin octobre 2011. 32 autres ont été tués par le tsunami. A titre de comparaison, il y a eu 109 décès durant la même période en 2010. 40% des décès enregistrés sont dus à une pneumonie, alors que cette maladie est généralement responsable du décès de 10% des personnes âgées de plus de 65 ans. Ce sont donc les conditions d’accueil dans les centres d’hébergement de secours qui sont mises en cause.

Au final, à la date du 4 mars 2015, il y a officiellement 1 867 décès liés directement ou indirectement à l’évacuation de Fukushima pour lesquels les familles ont reçu une indemnisation financière. Ce chiffre inclut les décès directs déjà mentionnés, ceux liés au manque de soins, les suicides… C’est plus que les 1 603 décès directs liés aux séismes et tsunami à Fukushima. Sur l’ensemble du Japon, les séisme et tsunami ont entraîné 18 475 décès directs et disparitions. A titre de comparaison, le nombre de décès post-catastrophe est de 450 dans la province d’Iwaté et de 909 dans celle de Miyagi, qui sont, avec Fukushima, les trois provinces les plus touchées par le tsunami. Certaines familles se sont vues refuser ce statut de décès post-catastrophe et ont fait appel. Le journal local, le Fukushima Minpo, a recensé 46 demandes de réévaluation du dossier. Il n’y a pas de règles claires pour trancher.

Une contamination durable de l’environnement

L’accident du 11 mars 2011 a contaminé de vastes territoires pour des décennies. Il a fallu un mois aux autorités pour admettre qu’il s’agissait d’un accident de niveau 7 sur l’échelle INES et deux mois à TEPCo pour admettre que c’était dû à la fusion complète de trois cœurs nucléaires. Selon les estimations, la quantité de césium rejeté dans l’atmosphère varie entre 10 et 40% de ce qui a été émis lors de l’accident de Tchernobyl. En revanche, 80% est allé vers l’océan. Les autorités ont ordonné l’évacuation de toute la population dans un rayon de 20 km. Elles avaient confiné les habitants entre 20 et 30 km, puis leur ont conseillé d’évacuer. Comme le césium est retombé bien au-delà de ces distances, elles ont ordonné l’évacuation des territoires les plus contaminés en avril 2011, jusqu’à 45 km de la centrale. Puis, à proximité de plusieurs points chauds, il a été conseillé de partir. De tels points chauds ont été découverts jusqu’en septembre 2011.

De nombreuses cartes de la contamination sont disponibles en ligne. Il y a celles des autorités faites par hélicoptère regroupées sur un site internet. Il y a aussi celles basées sur des prélèvements effectués par un consortium d’universités et la Japan Atomic Energy Agency, l’équivalent du CEA français. Cela s’est traduit par la carte d’évacuation ci-dessous. La zone la plus contaminée, où l’exposition externe peut dépasser 50 mSv/an, est qualifiée de « zone de retour difficile » par les autorités. Les zones où il n’y aura pas de retour n’ont pas été clairement établies pour le moment, sauf pour le site de stockage des déchets radioactifs prévu sur 16 km2 tout autour de la centrale de Fukushima daï-ichi. Et même là, les autorités ont promis de reprendre les 25 millions de m3 de déchets au bout de 30 ans pour les stocker définitivement en dehors de la province de Fukushima. Personne n’y croit.

La commission d’enquête parlementaire explique qu’un « total de 146 520 habitants ont été évacués suite aux ordres du gouvernement ». Il faut encore ajouter les « évacués volontaires » qui sont partis d’eux-mêmes car ils n’acceptaient pas la limite d’évacuation fixée par les autorités, considérée comme trop élevée. Ils étaient environ 60 000 en octobre 2012.

evacuation

L’IRSN a estimé que si la limite d’évacuation avait été divisée par deux comme il l’aurait été préconisé en France, c’est à dire si elle était fixée à 10 mSv/an au lieu de 20 mSv/an, il aurait fallu évacuer 70 000 personnes supplémentaires et une partie de la capitale régionale située à plus de 50 km. La surface où l’exposition externe dépassait 1 mSv/an en 2011 représente environ 13 000 km2 (Estimation grossière établie par le quotidien Asahi : Estimated 13,000 square km eligible for decontamination, October 12, 2011).

A proximité de la centrale, la pollution des sols est très élevée et il n’y aura pas de retour possible avant longtemps. L’agriculture est encore interdite dans les zones évacuées, sauf à titre expérimental et plusieurs aliments ne peuvent être vendus sur le marché ailleurs. C’est particulièrement le cas des plantes sauvages et du gibier. L’accident a aussi entraîné le plus fort rejet radioactif en mer. Il y a un facteur 20 entre l’estimation de TEPCo et celle de l’IRSN, plus élevée. Quelle que soit l’estimation, ce rejet à lui seul aurait entraîné le classement au niveau 5 de l’accident sur l’échelle INES. Mais, comme la centrale fait face à l’immense Océan Pacifique avec deux forts courants marins, le Kuroshio et le Oyashio, il y a eu une dilution rapide. Actuellement, au large, la contamination de l’eau de mer est très faible. En revanche, les sédiments marins le long du littoral sont fortement marqués et la faune qui en dépend est contaminée via la chaîne alimentaire. La pêche est interdite dans un rayon de 20 km autour de la centrale et au-delà, limitée à une cinquantaine d’espèces contre 200 environ avant la catastrophe. Les sédiments de la Baie de Tôkyô, presque fermée, ont aussi été significativement contaminés par le lessivage des sols.

C’est sur le site de la centrale qu’il y a les plus fortes contaminations et les rejets dans l’environnement continuent, que ce soit dans l’atmosphère ou dans la mer. Certains sont dus à la négligence, comme ces poussières rejetées lors du démantèlement de la partie haute du réacteur n°3 faute d’avoir aspergé des résines fixatrices. TEPCo est aussi à la peine avec l’eau contaminée qu’elle n’arrive pas à confiner. Les nappes phréatiques sur le site sont fortement contaminées et s’écoulent vers l’océan (Sur ces rejets, lire, ACROnique de Fukushima, Des défis insurmontables, 5 mars 2015).

Des déplacés qui souffrent encore

La catastrophe nucléaire s’installe dans la durée. En 2015, il y a encore officiellement 120 000 personnes évacuées. Parmi elles, 79 000 ont été forcées à partir et les autres sont des déplacés « volontaires » qui n’acceptent pas de vivre en territoire contaminé. 46 000 déplacés vivent en dehors de Fukushima, dans toutes les provinces du Japon. De plus en plus de personnes déplacées refont leur vie là où elles sont maintenant. D’autres ne savent pas quel sera leur avenir. Les liens sociaux avec leur voisinage ou leurs amis ont parfois été rompus. Même à l’intérieur des familles ; Fukushima est une zone rurale avec beaucoup de maisons où il y avait plusieurs générations sous un même toit. Ce qui n’est pas possible dans les logements provisoires. Parfois, les plus anciens restent et les plus jeunes partent pour protéger les enfants des radiations.

Selon une étude commandée par les autorités régionales et reprise par les médias japonais en avril 2014, 50% des familles évacuées sont encore séparées et 67,5% ont un membre qui souffre de stress physique et mental. En janvier et février 2014, la région a envoyé un questionnaire à 62 812 familles vivant à Fukushima ou ailleurs et a reçu 20 680 réponses, dont 16 965 (82%) sont originaires des zones évacuées. Les 18% restants (3 683 familles) sont parties de leur propre décision. Il y a un doute pour 32 familles. 48,9% des familles qui ont répondu disent vivre séparées depuis la catastrophe. Pour 15,6% des familles, l’éclatement familial est sur plus de 3 lieux. Les raisons de la séparation sont multiples : logements provisoires trop petits pour accueillir tout le monde, volonté de protéger les plus jeunes ou de se rapprocher d’une école ou encore du travail pour certains membres de la famille… Certaines personnes se retrouvent seules, inquiètes pour leur avenir. 50% des familles disent que certains de leurs membres ont des troubles du sommeil ou ont perdu leur joie de vivre. Enfin, 34,8% des réponses signalent une aggravation des maladies chroniques qui les affectent (Voir Asahi, Survey: Half of Fukushima evacuee households split up; distress rife in families, April 29, 2014 et Mainichi, Almost half of evacuated Fukushima households split up by disasters still divided: poll, April 29, 2014)

Les familles qui ne sont pas parties et vivent en territoire contaminé s’inquiètent aussi pour leur avenir et celui de leurs enfants. En effet, la limite d’évacuation a été fixée à 20 mSv/an, ce qui correspond à la limite de dose des travailleurs en France. Cette même limite est appliquée pour le retour des populations, même pour les nouveaux nés. Le gouvernement s’était engagé à décontaminer toutes les zones où l’exposition externe dépasse le millisievert par an, qui est la limite annuelle à ne pas dépasser en temps normal. Il est supposé que les habitants passent 8 heures par jour à l’extérieur et 16 heures à l’intérieur où l’exposition externe est réduite de 60%. Mais les travaux de décontamination ne donnent pas les résultats attendus. Les autorités ont donc décidé de changer la façon d’évaluer les doses. Un dosimètre est fourni aux habitants et les données relevées. En faisant attention, il est possible de prendre moins d’un millisievert par an là où le calcul grossier prédit plus. Et donc, il n’est pas besoin de décontaminer autant !

Le quotidien Asahi a publié, le 26 décembre 2014, une interview d’un psychanalyste de l’université de Fukushima qui a travaillé auprès des mères de famille de la province. Il a noté que 24% d’entre elles sont dépressives alors que ce taux est généralement de 15% au Japon. Il y a une corrélation entre la dépression et l’inquiétude envers l’impact des radiations sur les enfants. De fortes différences de comportement demeurent entre les familles : la nourriture vient parfois d’ailleurs, les enfants ne sont pas autorisés à jouer dehors. Dans d’autres familles, aucune précaution particulière n’est prise. Mais même dans ce cas là, les mères se font du souci pour l’avenir de leurs enfants. La radioactivité est devenue un sujet dont on ne parle plus. Il y a la crainte d’être critiqué par les autres en cas d’opinion divergente.

Du côté des enfants, cela se traduit par une augmentation de la corpulence. Le fait qu’ils ne jouent plus dehors y est sûrement pour beaucoup. Dès 2012, les statistiques du ministère de l’éducation mettent en évidence une hausse du nombre d’enfants en surpoids, c’est à dire pesant au moins 20% de plus que la moyenne. C’est encore un problème actuellement. En 2014, par exemple, 15,07% des enfants âgés de 9 ans étaient en surpoids. C’est 8,14% au niveau national.

D’autres problèmes de santé sont signalés, sans être pris au sérieux. L’exemple le plus caricatural est probablement le cas des saignements de nez. Une célèbre série de Manga, Oïshimbo (美味しんぼ, qui signifie gourmet) a représenté un reporter qui saigne du nez après être allé à la centrale de Fukushima daï-ichi. Cela a provoqué un tollé. Comme l’impact des radiations sur de tels maux bénins n’a jamais été étudié, les autorités n’ont rien à dire. Elles se sont contentées d’accuser l’auteur de colporter des « rumeurs néfastes ». Mais, Katsutaka Idogawa, l’ancien maire de Futaba, qui est dessiné dans le manga, maintient les propos qui lui sont attribués : son nez a souvent saigné au début de la catastrophe, presque tous les jours. Il explique qu’il en est de même pour de nombreuses autres personnes à Fukushima. Il est donc hors de question, pour lui, de démentir ces faits. La série de Manga a été suspendue alors qu’elle existait depuis 1983.

Pour de nombreux parents, voir leur enfant saigner du nez devient donc source d’inquiétude. S’il est sensible aux radiations, cela signifie-t-il qu’il risque de développer une maladie plus grave dans l’avenir ?

Suivi sanitaire

Face aux inquiétudes pour la santé, les autorités régionales ont mandaté l’université médicale de Fukushima pour faire un suivi sanitaire de la population et des enfants en particulier. Les résultats sont disponibles en ligne en anglais.

L’université a d’abord envoyé un questionnaire aux deux millions d’habitants de Fukushima pour reconstituer la dose prise lors des rejets massifs qui ont duré plus d’une dizaine de jours. Le taux de retour était de 23% au 31 octobre 2012, ce qui est peu. Pour beaucoup, il y a une défiance envers les autorités. De plus, les habitants veulent être protégés et non pas servir de cobaye. Pour les personnes évacuées, il y a de nombreuses autres préoccupations. L’université en déduit, qu’en excluant les travailleurs du nucléaire, la plus forte dose externe reçue par la population durant les quatre premiers mois serait de 25 mSv. Plus de 99% de la population aurait reçu moins de 5 mSv et 66,1% moins de 1 mSv, qui est la limite annuelle en temps normal.

La dernière publication de résultats, qui date du 12 février 2015, met en avant que le taux moyen d’anomalies congénitales et autres anomalies chez les nouveaux nés de Fukushima entre 2011 et 2013 est d’un peu plus de 2%, ce qui est dans l’intervalle de variation de la moyenne nationale. Plus précisément, il était de 2,85% en 2011, 2,39% en 2012 et de 2,35% en 2013. Il n’y pas de différence significative entre les différentes parties de Fukushima. La moyenne nationale était de 2,34% en 2012. Il n’y a donc pas d’impact mesurable sur le taux d’anomalies congénitales.

Ce sont les cancers de la thyroïde qui attirent toute l’attention et les résultats sont très controversés. Pour rassurer la population, un dépistage systématique a été effectué chez tous les jeunes de la province de Fukushima. Initialement, les examens par échographie devaient commencer en 2014 car aucun effet n’était attendu avant. Mais l’inquiétude des parents a poussé les autorités à commencer dès 2011.

Les premières échographies ont révélé que 35% des enfants examinés avaient un kyste inférieur à 20 mm ou un nodule inférieur à 5 mm sans être cancéreux. Ce sont les kystes qui prédominent. Ces résultats ont créé une forte inquiétude. Une campagne de dépistage a donc été menée dans d’autres provinces japonaises non affectées par les retombées radioactives. Les résultats étaient identiques et la polémique est retombée.

En revanche, l’apparition de cancers de la thyroïde chez les enfants inquiète.

Des cancers de la thyroïde plus nombreux qu’attendu

Les derniers résultats publiés à la date le 12 février 2015 montrent que des échographies de la glande thyroïde ont été réalisées chez 368 000 jeunes Japonais de la région de Fukushima. Après un premier dépistage, 109 d’entre eux ont été diagnostiqués avec un cancer de la glande thyroïde définitif ou soupçonné. Parmi eux, 86 cas ont été confirmés après un acte chirurgical et un cas s’est révélé être bénin. Le taux d’occurrences observé est beaucoup plus élevé à Fukushima qu’ailleurs au Japon ou dans d’autres pays. En effet, cela fait environ 30 cas sur 100 000 enfants, contre 1,7 cas sur 100 000 enfants dans la province voisine de Miyagi.

Les autorités médicales affirment cependant que ce n’est pas lié à la catastrophe nucléaire, mais au dépistage systématique. Si c’est le cas et que les cancers ne se seraient pas déclarés avant des années, fallait-il effectuer les interventions chirurgicales ? Les cancers papillaires de la thyroïde ne se développent pas toujours et les enfants auraient peut-être pu vivre longtemps en bonne santé avec leur glande. Une fois opérés, ils ont une cicatrice au cou et certains doivent prendre des médicaments toute leur vie. Des experts critiques réclament donc que les autorités régionales, qui mènent ce programme, rendent publiques les informations relatives à la glande après chirurgie et au niveau de progression du cancer. L’université de Fukushima refuse pour préserver la confidentialité des données patients et les autorités régionales n’ont pas le pouvoir d’accéder au dossier médical (Lire à ce sujet : Mizuho Aoki, Experts question Fukushima thyroid screening, The Japan Times, Jul 31, 2014)

Les autorités régionales de Fukushima ont entamé la deuxième vague de dépistage du cancer de la thyroïde chez les 385 000 enfants de la province. 8 enfants sur 75 000 chez qui l’on n’avait pas détecté de cancer lors de la première échographie sont suspectés d’avoir un cancer après un deuxième examen. Parmi eux, il y a un cas confirmé. Les 7 autres vont subir d’autres examens médicaux. Ils avaient entre 6 et 17 ans au moment des rejets radioactifs massifs. Les tumeurs font entre 6 et 17,3 mm. Ces enfants étaient classés dans les catégories A lors du premier dépistage, signifiant « pas de problème ». Les autorités continuent à affirmer que ce n’est pas lié à la catastrophe nucléaire.

Par ailleurs, sur les 75 000 enfants ayant subi une deuxième échographie de la thyroïde, 611 sont classés B et vont subir des examens complémentaires. Parmi eux, 441, ou 72,2%, avaient été classés A lors de la première campagne. Le nombre de cas de cancer pourrait malheureusement augmenter encore… L’inquiétude des populations est donc sans fin. D’autres résultats ont été publiés depuis la rédaction de cet article.

Une faible contamination interne

La situation est très différente entre le Japon et la Biélorussie ou l’Ukraine. Au Japon, les populations les plus exposées ont été évacuées plus rapidement qu’en URSS. Par ailleurs, le contrôle de la nourriture a été assez strict dès le début, même si l’improvisation a conduit à la mise sur le marché d’aliments dépassant les normes dans les premiers mois de la catastrophe. En conséquence, la contamination interne est faible.

L’ACRO a, dès les premiers mois, effectué des contrôles sur les urines d’enfants japonais. Si, au début, toutes les urines étaient marquées à Fukushima, les niveaux détectés restaient faibles. Pour la somme des césiums 134 et 137, la contamination ne dépassait pas 4 Bq/L. Les données accumulées par Chikurin, le laboratoire mis en place avec le soutien de l’ACRO au Japon, confirment cette observation. A titre de comparaison, des analyses d’urines effectuées par l’ACRO en 2004 sur des enfants biélorusses en vacances en Normandie ont mis en évidence des niveaux de contamination en césium-137 pouvant dépasser 60 Bq/L (Voir : Evaluation de la contamination des enfants de Biélorussie et Du rôle de la pectine dans l’élimination du césium dans l’organisme).

Les résultats des anthropogammamétries effectuées à grande échelle à Minami-Sôma vont dans le même sens. Cela s’explique par la concentration maximale fixée pour le césium dans l’alimentation qui est beaucoup plus basse que ce qui a été adopté en Europe après Tchernobyl. Elle est de 100 Bq/kg au Japon. Cependant, l’autoconsommation échappe à ces restrictions et il y a des cas de contamination interne assez élevée.

Une étude s’est intéressée au régime alimentaire d’habitants de Fukushima qui se nourrissent de leur propre production. Certains avaient une forte contamination interne qui a diminué suite au changement de régime alimentaire. Les chercheurs ont suivi 9 habitants de Minami-Sôma qui avaient plus de 50 Bq/kg en césium 137 dans le corps. La contamination totale variait entre 3 230 et 15 918 Bq et induit une dose comprise entre 0,07 et 0,53 mSv par an. Cela vient s’ajouter à l’exposition externe. Ces habitants, âgés de 60 à 74 ans consomment tous des produits de leur jardin non contrôlés. Ils mangent aussi des champignons sauvages ou cultivés. Le plus contaminé a même mangé du sanglier sauvage et des poissons de rivière.

Suite à un changement de régime alimentaire, qui consiste surtout à éviter les produits connus pour être les plus contaminés, la charge en césium a été divisée par deux en trois mois. Au bout de 6 mois, elle était à moins d’un tiers de la contamination originelle.

Le problème majeur demeure l’exposition externe et la limite fixée pour le retour des habitants. La CIPR qualifie de « situation existante » la situation post-accidentelle à long terme. Dans sa publication 109, elle explique qu’il n’y a pas « de frontières temporelles ou géographiques prédéfinies qui délimitent la transition d’une exposition à une situation d’urgence à une situation existante. En général, les niveaux de référence utilisés lors des situations d’urgence ne sont pas acceptables comme références à long terme car les niveaux d’exposition correspondant ne sont viables ni socialement, ni politiquement. Ainsi, les gouvernements et/ou les autorités compétentes doivent, à un certain moment, définir des niveaux de référence pour gérer l’exposition aux situations existantes, typiquement dans la partie basse de l’intervalle de 1 à 20 mSv/an recommandé par la Commission. »

Mais comment passer d’un intervalle d’exposition maximale autorisée situé entre 20 et 100 mSv en situation d’urgence à la partie basse de l’intervalle de 1 à 20 mSv pour la « situation existante » ? Les radioéléments comme le césium décroissent lentement. Le débit de dose moyen n’a diminué que de 40% en moyenne la première année au Japon et les travaux de décontamination se sont révélés très décevants.

Dans sa publication 111, la CIPR n’est pas très explicite : « les autorités nationales peuvent prendre en compte les circonstances et aussi profiter de l’agenda du programme de réhabilitation pour adopter des valeurs de référence intermédiaires qui conduisent à une amélioration progressive de la situation ».

Pour le moment, le Japon a adopté un retour à une limite de 1 mSv/an, mais sans aucun calendrier. La politique de retour des populations actuelle est toujours basée sur la limite annuelle de 20 mSv/an choisie au moment de l’évacuation. De nombreuses personnes ne souhaitent pas rentrer, surtout quand il y a des enfants en bas âge. Mais si le Japon adoptait une limite de retour plus faible, les populations non évacuées ne comprendraient pas et se sentiraient abandonnées.

Anand Grover, Rapporteur spécial du Haut-Commissariat aux Droits de l’Homme de l’ONU précise que « les recommandations de la CIPR sont basées sur le principe d’optimisation et de justification, selon lesquelles toutes les actions du gouvernement doivent maximiser les bénéfices sur le détriment. Une telle analyse risque-bénéfice n’est pas en accord avec le cadre du droit à la santé, parce qu’elle donne la priorité aux intérêts collectifs sur les droits individuels. Le droit à la santé impose que chaque individu doit être protégé. De plus, de telles décisions, qui ont un impact à long terme sur la santé physique et mentale des populations, doivent être prises avec leur participation active, directe et effective. » Et d’ajouter que « la possibilité d’effets néfastes pour la santé existe avec les faibles doses de radiation. Cela implique de recommander aux personnes évacuées de ne retourner que quand la dose liée à l’irradiation a été réduite autant que possible à des niveaux inférieurs à 1 mSv par an. En attendant, le gouvernement doit continuer à fournir un soutien financier et une indemnisation à toutes les personnes évacuées de façon à leur permettre de décider par elles-mêmes de rentrer ou de rester évacuées. »

Comme nous l’avons déjà expliqué, cette limite de dose annuelle est estimée en supposant que les personnes passent en moyenne 8 heures par jour dehors et 16 heures par jour à l’intérieur où l’exposition serait réduite de 60%. Ainsi, 1 mSv par an correspond à 0,23 microsievert par heure quand on ajoute le bruit de fond naturel de 0,04 microsievert par heure. Cela peut être mesuré directement avec un radiamètre. 20 mSv se traduisent par une limite de 3,8 microsieverts par heure avec la même méthode. C’est cette valeur qui a été utilisée pour l’évacuation. Et c’est encore elle qui est retenue pour le retour.

Face à cette situation complexe, les autorités pensent avoir trouvé la parade : distribuer à chacun des « glass-badges », c’est à dire des dosimètres individuels, pour apprendre à vivre en territoire contaminé et limiter l’exposition en faisant attention. Il est alors possible d’avoir une dose reçue moins élevée que celle estimée précédemment. La ville de Daté s’est fixée une limite à 5 mSv par an mesurés par ces « glass-badges » et le maire met en avant le succès de l’opération. En outre, les dosimètres indiquent une dose inférieure à celle mesurée par un radiamètre de 30 à 40% sans que cela ait été expliqué aux populations concernées. Le fabriquant affirme que les données des glass-badges sont plus justes, mais ce sont celles des radiamètres qui ont servi de référence depuis le début (Voir ACROnique de Fukushima, Fukushima : des défis insurmontables, 5 mars 2015).

A long terme, les doses prises par les populations s’accumulent et ne seront donc plus négligeables. Il est difficile, voire impossible de prévoir l’impact.

Du côté des travailleurs

Selon les dernières statistiques publiées, qui datent du 31 janvier 2015, 41 170 personnes ont travaillé sur le site de la centrale de Fukushima daï-ichi. Dans les premiers mois, la limite de dose a été montée à 250 mSv. Officiellement, 6 personnes l’ont dépassée. Mais il n’y avait pas un dosimètre par personne durant les premières semaines car ils avaient été noyés par le tsunami. Seul le chef d’équipe en portait un et il n’a pas été forcément le plus exposé. Il a fallu un scandale médiatique pour que des dosimètres soient expédiés depuis d’autres centrales nucléaires. Ces chiffres officiels sont donc à prendre avec recul. Par ailleurs, la contamination interne a été contrôlée très tardivement et certains intervenants sont injoignables. TEPCo est toujours à la recherche de 10 personnes qui sont intervenues entre mars et juin 2011 (De nouvelles statistiques ont été publiées depuis la rédaction de cet article).

En mars 2014, le ministère de la santé a révélé que TEPCO avait sous-estimé la contamination interne de 142 personnes en 2011. L’augmentation moyenne de la dose reçue est de 5,86 millisieverts. Une personne est ainsi passée de 90,27 à 180,10 millisieverts, ce qui représente une hausse de 89,83 millisieverts. C’est plus que les 100 mSv à ne pas dépasser sur 5 ans : cette personne aurait dû arrêter ses activités à la centrale. Cela n’a pas été le cas. Deux autres dépassent la limite annuelle de 50 mSv. Sur ces 142 personnes, il y a 24 employés de TEPCo. Les 118 autres sont des sous-traitants employés par 18 compagnies différentes.

Le gouvernement a vérifié l’exposition de 1 536 personnes sur les 7 529 qui sont intervenues en mars – avril 2011. Cela fait plus d’une personne sur 9 pour qui il y a eu sous-estimation ! En juillet 2013, le ministère de la santé avait déjà trouvé que les doses reçues par 642 personnes sur 1 300 avaient été sous-estimées.

Depuis le 16 décembre 2011, ce sont de nouveau les limites normales qui sont retenues : 100 mSv sur 5 ans (ou 20 mSv/an en moyenne sur 5 ans), sans dépasser 50 mSv/an. Depuis cette date, 174 travailleurs ont atteint cette limite et ne peuvent plus travailler dans le nucléaire tant que les 5 ans ne se sont pas écoulés. Sur les 14 000 travailleurs enregistrés actuellement, 2 081 ont déjà reçu une dose comprise entre 50 et 100 mSv. Ils sont généralement affectés à des tâches moins exposées pour pouvoir rester plus longtemps sur le site.

Mais avec le temps, ils vont être de plus en plus nombreux à atteindre les 100 mSv. D’autant plus que les travaux de démantèlement des parties les plus irradiantes n’ont pas encore commencé. Il y a la reprise des combustibles de la piscine du réacteur n°3, par exemple, qui devrait bientôt commencer. Même si la grosse partie du travail se fera avec des engins télécommandés, il faudra que des hommes s’approchent par moments pour installer le matériel de démantèlement.

Là encore, certains chiffres doivent être pris avec recul. Il y a eu plusieurs scandales liés à des tricheries sur les doses. Les médias ont rapporté des pratiques douteuses : des dosimètres laissés dans la voiture ou déposés en un lieu moins irradiant. Des travailleurs avaient mis un cache en plomb autour de l’appareil. Plus de 90% des intervenants sont des sous-traitants, avec parfois plusieurs niveaux de sous-traitance. Leur statut précaire favorise la triche. Suite à ces scandales, TEPCo a renforcé ses contrôles et la situation s’est améliorée.

Récemment, la Radiation Effects Research Foundation, qui a suivi les personnes exposées aux bombes de Hiroshima et de Nagasaki, a décidé de suivre une première cohorte de 2 000 travailleurs qui sont intervenus la première année à la centrale accidentée de Fukushima daï-ichi car ce sont eux qui ont pris les plus fortes doses. Elle en a contacté 5 466 à Fukushima, mais seulement 704 auraient accepté, ce qui est beaucoup moins que les 2 000 espérés. 299 courriers auraient été retournés car l’adresse était erronée. Sur les 1 071 qui ont répondu, 295 ont refusé d’y participer. Certains ont justifié leur décision car il n’y a pas de prise en charge alors qu’ils doivent travailler. D’autres se sont plaint de la difficulté à accéder aux centres de soins où ils seront examinés. La fondation veut aussi reconstituer les doses prises. A terme, elle espère suivre 20 000 travailleurs.

Actuellement, environ 7 000 personnes triment chaque jour sur le site de la centrale de Fukushima daï-ichi. Il y a déjà eu plusieurs décès et blessés graves suite à des accidents. Au-delà du gigantesque chantier de stabilisation des réacteurs accidentés destiné à réduire leur menace puis celui de leur démantèlement, il y a aussi un immense chantier de décontamination dans toutes les zones où l’exposition externe peut dépasser 1 mSv/an.

Les chantiers de décontamination dans les territoires évacués sont sous la responsabilité directe du gouvernement. Les travailleurs doivent porter un dosimètre et la dose enregistrée ne doit pas dépasser 50 mSv par an comme pour les travailleurs du nucléaire et 100 mSv sur 5 ans. Des statistiques officielles sur les doses prises par plus de 26 000 travailleurs engagés sur ces chantiers avant 2014 viennent d’être rendues publiques (Radiation Effects Association, Communiqué du 15 avril 2015 (除染作業者等の被ばく線量等の集計結果を公表します) et document associé pour la presse (除染作業者等の被ばく線量等の集計結果について)). Aucun n’a dépassé 50 mSv en un an. La dose moyenne est de 0,5 mSv par an et 14,6% d’entre eux ont reçu une dose supérieure à 1 mSv/an, qui est la limite pour le public. La plus forte dose enregistrée est de 13,9 mSv en un an. Ils sont 34 à avoir dépassé 10 mSv.

Plus précisément, 11 058 personnes sont intervenues en 2011-2012. C’est à cette époque qu’il y a eu la plus forte dose enregistrée. En 2013, 20 564 personnes sont intervenues et la plus forte dose enregistrée était de 6,7 mSv, avec une moyenne de 0,5 mSv en un an. Ces statistiques, compilées par la Radiation Effects Association, qui dépend du gouvernement, donnent un nombre total de personnes inférieur aux chiffres avancés par le ministère de l’environnement en charge des travaux. Le ministère de la santé du Japon pense donc que cette association n’a pas réussi à enregistrer les doses de tout le monde.

Actuellement, 12 000 personnes par jour travaillent sur des chantiers de décontamination. Les travaux sont terminés dans quatre des onze communes évacuées. Selon l’inspection du travail de Fukushima, qui surveille les 1 152 compagnies engagées dans ces chantiers, il y a eu 800 violations du droit du travail enregistrées concernant la sécurité des travailleurs. Parfois, cela concerne l’absence de mesure du débit de dose ambiant avant les travaux ou le port de dosimètres. Il y a aussi eu plusieurs scandales médiatiques révélant de mauvaises pratiques allant jusqu’à l’emploi de SDF.

Conclusions

La catastrophe de Fukushima ne fait que commencer. Il est difficile de tirer un bilan sanitaire après seulement quatre années. Heureusement pour le pays, 80% des rejets atmosphériques sont allés vers l’océan. Les surfaces contaminées sont limitées. Un accident similaire au milieu des terres aurait eu un impact beaucoup plus élevé.

Malgré cela, cette catastrophe a déjà fait de nombreuses victimes. Elle a aussi complètement déstabilisé toute une région avec des conséquences économiques et sociales à long terme qui se répercutent sur tout le pays.

Toutes ces informations sont détaillées dans l’ACROnique de Fukushima, avec mise à jour quotidienne.

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Fukushima : des défis insurmontables

ACRO.eu.org

Cela fait quatre ans que la catastrophe nucléaire japonaise a commencé. Après l’urgence et les mesures d’ajustement et de restructuration, aussi bien la compagnie TEPCo, qui exploitait la centrale, que les autorités se sont installées dans un chantier à long terme. Les défis sont immenses, tant au niveau de la centrale qui reste menaçante que dans les territoires contaminés où la population s’interroge sur son avenir, mais le pays y fait face avec les anciens réflexes de dissimulation et d’autoritarisme qui ne font qu’aggraver la situation.

L’été 2013 avait été marqué par une suite de scandales sur les fuites d’eau contaminée qui ont secoué le Japon, avec un fort retentissement médiatique international. Le Premier ministre japonais, Shinzô Abé, a pris le dossier en main et a déclaré devant le Comité olympique, où il défendait la candidature de Tôkyô, que la situation était « sous contrôle » et que la pollution radioactive était bloquée dans le port devant la centrale. Plus tard, devant le parlement, il précisera que « les effets de la radioactivité » sont bloqués dans le port, sans préciser ce qu’il entendait par « effets ». Plus de 18 mois plus tard, force est de constater que la situation n’est pas sous contrôle et l’eau contaminée reste le principal cauchemar de TEPCo.

La bataille de l’eau contaminée

Avant la catastrophe nucléaire, TEPCo pompait, chaque jour, environ 1 000 m3 d’eau souterraine pour rabattre la nappe phréatique et éviter les infiltrations dans les sous-sols des réacteurs nucléaires. Ce pompage s’est arrêté avec la catastrophe et environ 400 m3 d’eau souterraine y pénètrent chaque jour et se mélangent à l’eau de refroidissement fortement contaminée. Cette eau est stockée et TEPCo doit ajouter une cuve tous les deux jours. Il y a plus d’un millier de cuves sur le site de la centrale.

Inversement, de l’eau contaminée passe des sous-sols vers la nappe phréatique avant de rejoindre l’océan. Les fuites en mer, estimées à la louche à 300 m3 par jour, continuent. TEPCo s’est engagée dans une bataille pour « contrôler » la situation où elle enregistre peu de victoires.

Première idée, reprendre les pompages, mais l’eau près des réacteurs est fortement contaminée. Alors la compagnie a décidé de pomper plus en amont où la contamination est moindre. Mais, il lui a fallu un an pour convaincre les pêcheurs qui ont fini par accepter, en mars 2014, que cette eau soit rejetée dans l’océan. Il aura fallu du temps à la compagnie pour accepter un contrôle de l’eau par un laboratoire tiers.

En régime de croisière, ce sont entre 300 et 350 m3 qui sont ainsi rejetés quotidiennement en mer. La contamination en tritium (hydrogène radioactif) ne doit pas dépasser 1 500 Bq/L et celle en bêta total (hors tritium) 5 Bq/L. TEPCo avait annoncé une diminution attendue des infiltrations de 100 m3 par jour mais les effets ont mis du temps à se manifester. Ce n’est qu’à l’automne 2014 que la compagnie a pu observer une baisse de 50 à 80 m3 par jour en données corrigées des variations saisonnières. L’eau contaminée continue donc à s’accumuler jour après jour.

En parallèle, sur injonction des autorités, la compagnie a commencé à installer un système destiné à geler le sol tout autour des réacteurs accidentés pour limiter les échanges. C’est le gouvernement qui paye. En amont, les travaux progressent vite, mais, en aval, il y a de nombreuses galeries souterraines qui vont vers la mer. TEPCo a essayé, pendant des mois, d’en geler une à titre expérimental, mais cela n’a pas pris. Elle a eu beau rajouter de la glace, puis de la glace carbonique, rien n’y a fait, l’eau circulait toujours. Elle a ensuite tenté de cimenter la partie qui ne gelait pas, sans plus de succès. Elle a enfin décidé de remplir les galeries de ciment, mais il y a de nombreux câbles et tuyaux et il est peu probable que ce soit complètement étanche.

Le stockage de l’eau contaminée n’est pas durable. Une première station de traitement, Sarry, retire le césium, mais cela ne suffit pas. Une nouvelle station, ALPS, doit retirer 62 radioéléments, mais elle cumule les déboires. Les performances n’étaient pas toujours au niveau attendu et elle génère d’énormes quantités de déchets. TEPCo s’était engagée, en septembre 2013, après les scandales de l’été et les déclarations du premier ministre, à traiter tout son stock avant mars 2015. Il est rapidement apparu que ce ne serait pas possible. Elle a donc ajouté de nouvelles unités qui ne retirent que le strontium, très radiotoxique, en plus du césium. Mais, finalement, même en prenant en compte cette décontamination partielle, elle ne pourra pas tenir ses engagements. TEPCo affirme maintenant pouvoir y arriver en mai de cette année pour le strontium et en mai 2016 pour les autres radioéléments.

Même partiellement décontaminée, cette eau s’accumule dans des cuves. En cas de fuite importante, l’impact serait moindre, mais cela ne résout pas le problème du stockage à long terme. En effet, le stock total de tritium contenu dans les cuves, les combustibles, les sous-sols, et qui n’est pas retiré par les différentes stations de traitement, correspond à environ 150 ans de rejets en mer à la limite maximale autorisée. Pour déverser cette eau dans l’océan – le rêve de TEPCo et des autorités – il faudrait changer les autorisations de rejet, ce qui semble politiquement impossible.

La dernière carte de TEPCo consiste finalement à pomper l’eau souterraine au pied des réacteurs. Mais elle est très contaminée. La compagnie veut donc la traiter et la rejeter directement en mer. Elle tente d’obtenir l’accord des pêcheurs, en vain pour le moment.

A l’automne dernier, une majorité des 6 000 personnes qui travaillaient chaque jour sur le site de la centrale accidentée était engagée dans la bataille de l’eau contaminée. Ce chiffre est passé à 7 000 par jour et cela ne suffit toujours pas car la culture de la compagnie n’a guère changé. La pénurie de main d’œuvre qualifiée et la sous-traitance en cascade aggravent la situation. Depuis le début de la catastrophe, 40 000 personnes ont travaillé sur le site de la centrale accidentée.

TEPCo avait découvert, en janvier 2014, que la contamination de l’eau de pluie évacuée vers la mer était particulièrement élevée dans un drain. Elle a prévenu l’autorité de régulation nucléaire, la NRA, qui lui a demandé de trouver la cause. La compagnie a d’abord suspecté la contamination des sols : elle les a donc couverts, a nettoyé les drains, et multiplié les contrôles, mais la contamination de l’eau n’a pas baissé. TEPCo n’a rien dit à personne. Elle n’a pas signalé non plus que la contamination augmentait avec la pluie. Ce n’est qu’en février 2015, suite une autre fuite qui a déclenché une alarme, qu’elle a averti la NRA.

Suite aux fuites qui ont fait scandale par le passé, TEPCo contrôle l’eau de pluie récoltée autour des cuves et a mis des alarmes sur les drains qui s’écoulent vers le port, mais n’a pris aucune mesure particulière pour le drain où l’eau était particulièrement contaminée, qui lui, se jette directement dans l’océan, sans passer par le port où la compagnie a installé des barrières pour limiter les transferts.

Comment TEPCo peut prétendre être très précautionneuse en surveillant l’eau pompée avant rejet dans l’océan et d’un autre côté être si négligente pour cette eau de pluie ? La compagnie a encore des progrès à faire en terme de culture de sûreté. Les pêcheurs sont furieux et se sentent trahis. Comme d’habitude, la compagnie s’est excusée pour l’inquiétude créée, alors que ce n’est pas le seul scandale dû à la négligence.

La menace des piscines de combustible

Les piscines de combustible usé ont inquiété au début de la catastrophe nucléaire car elles ne sont pas protégées par l’enceinte de confinement. Si une secousse sismique ou une explosion provoquait une fissure et qu’il n’était plus possible de refroidir le combustible, il aurait fondu et dégagé une énorme quantité de radioéléments. La première semaine, le premier ministre avait sur son bureau le scénario du pire qui consistait en la fusion des combustibles de la piscine n°4, la plus chargée. Une estimation rapide avait montré qu’il aurait alors fallu évacuer jusqu’à environ 250 km de la centrale et donc probablement une partie de l’agglomération de Tôkyô. Le renforcement de la structure de soutènement de la piscine n°4 avait été une priorité dans les premiers mois.

TEPCo a fini de vider cette piscine le 20 décembre dernier. C’est une belle prouesse. Les combustibles usés sont dans la piscine commune de la centrale de Fukushima daï-ichi, qui est au niveau du sol. Les combustibles neufs sont dans la piscine du réacteur n°6.

Pour cela, la compagnie a dû démanteler toute la partie haute du bâtiment réacteur et reconstruire une structure neuve par dessus le tout. Le réacteur n°4, dont le cœur était entièrement déchargé en mars 2011, ne constitue donc plus une menace et son démantèlement se fera plus tard. Réduire la menace des autres réacteurs est la priorité.

La compagnie va s’attaquer aux trois autres réacteurs accidentés, en commençant pas le réacteur n°3 qui est très endommagé et dont la piscine contient du combustible MOx, très chargé en plutonium. Contrairement au réacteur n°4, il y a eu fusion des cœurs dans les réacteurs 1 à 3 et le débit de dose ne permet pas aux êtres humains d’y travailler.

TEPCo a commencé à démanteler le réacteur n°3 à l’aide de grues télécommandées. Cela n’a pas été sans incidents, mais elle a fini pour la partie haute. Le débit de dose y est si élevé qu’il faut trouver un moyen de l’atténuer suffisamment avant de construire une nouvelle structure tout autour. Ce n’est pas gagné pour le moment.

Contrairement au réacteur n°4, le démantèlement du n°3 a conduit à des rejets conséquents de poussières radioactives qui ont été détectées à grande distance. En août 2013, ces dégagements ont même conduit au déclenchement d’alarmes de surveillance et à la contamination de travailleurs qui attendaient le bus. Il faudra à TEPCo du temps pour soupçonner les poussières comme étant la cause des problèmes. L’incident semblait clos. Mais, en juillet 2014, le ministère de l’agriculture révèle que du riz récolté à Minami-Sôma à l’automne 2013 était contaminé au-delà de la limite de mise sur le marché, alors que ce n’était pas le cas l’année précédente. Le ministère soupçonne les retombées de poussières émises lors du démantèlement du réacteur n°3 durant l’été 2013. Les rizières affectées sont au-delà de la zone d’évacuation de 20 km.

Des rejets dissimulés

Le maire et les habitants de Minami-Sôma sont furieux, car ni TEPCo, ni le gouvernement, ne leur ont signalé les retombées radioactives sur la commune. On apprendra plus tard que ce sont des chercheurs de l’université de Kyôto qui ont alerté les autorités : ils contrôlaient la contamination des aérosols à Fukushima et ont détecté plusieurs pics de pollution radioactive. Le ministère a fait le lien avec le riz contaminé et a abordé ce problème avec TEPCo en mars 2014 sans prévenir la commune.

TEPCo a fini par reconnaître que le 19 août 2013, les travaux de démantèlement sur le réacteur n°3 ont entraîné un rejet aérien de 4 térabecquerels (4 000 milliards de becquerels), ce qui est 10 000 fois plus que les rejets habituels. Rien sur les autres pics. Ce chiffre sera revu à la baisse des mois plus tard. Et il faudra attendre le 31 décembre 2014 pour découvrir le pot aux roses : contrairement au réacteur n°4, TEPCo a négligé d’asperger une résine pour fixer les poussières avant de démanteler. Et quand cette résine, généralement utilisée pour fixer les poussières d’amiante, était aspergée, la dilution du produit était trop forte. Pour le fabricant, c’est comme avoir aspergé de l’eau. Suite aux problèmes, TEPCo a repris les procédures normales à partir d’octobre 2013, sans rien dire à personne. Pas vu pas pris. Les mauvaises pratiques auront duré presque un an ! La compagnie n’a pas été punie, mais s’est excusée pour l’inquiétude provoquée.

Cette affaire a entraîné un « glissement du calendrier » des travaux sur le réacteur n°1. Il est donc difficile de savoir quand les autres piscines seront vidées. Au-delà des piscines, il y a le combustible fondu qui a percé la cuve des réacteurs et qu’il faut continuellement refroidir en l’arrosant. TEPCo ne sait pas où il est exactement. La réduction de la menace que représentent les réacteurs accidentés va prendre des décennies. Après, la compagnie pourra envisager le démantèlement. Se pose aussi le problème des déchets radioactifs pour lesquels le Japon n’a aucune solution à proposer.

En attendant, l’environnement plus ou moins proche de la centrale nucléaire peut à nouveau être fortement contaminé suite à un accident. Que se passera-t-il en cas de forte secousse ou de nouveau tsunami ? Même sans accident, il est fort probable qu’il y ait encore des rejets intempestifs qui viennent s’ajouter aux rejets de routine. Chikurin, le laboratoire citoyen monté à Tôkyô avec le soutien de l’ACRO, a mis au point une méthode de prélèvement des poussières facile à mettre en œuvre à l’aide d’un simple linge suspendu. Elle a été comparée à des méthodes plus lourdes, avec préleveur automatique et filtre, et donne des résultats comparables.

Ces rejets inquiètent les habitants qui ne sont pas prêts à rentrer, même si, officiellement, ce ne sont plus ces retombées radioactives qui auraient contaminé le riz de Minami-Sôma. Mais les autorités n’ont aucune autre explication.

Le retour des populations

Il y a encore officiellement presque 120 000 personnes évacuées à cause de la pollution radioactive. L’indemnisation coûte cher aux autorités qui avancent l’argent à TEPCo. Elles rêvent donc d’une catastrophe réversible avec un retour des populations. L’ordre d’évacuer a été levé dans deux districts et l’indemnisation se tarira un an plus tard.

Le gouvernement a divisé la zone évacuée en trois sous-zones en fonction du débit de dose. Il prévoit un retour rapide dans celle où l’exposition est inférieure à 20 millisieverts par an. Cela correspond à la limite fixée pour l’évacuation en 2011. A l’époque, le Japon s’était vanté d’avoir choisi la valeur la plus basse des recommandations internationales. Mais la phase d’urgence est terminée depuis longtemps. Il est alors recommandé de fixer des niveaux de référence dans la partie basse de l’intervalle de 1 à 20 mSv/an.

Le Japon est en train de comprendre que la transition entre la situation d’urgence et la gestion à long terme des territoires contaminés est complexe. Comment passer d’un intervalle d’exposition maximale autorisée situé entre 20 et 100 mSv à la partie basse de l’intervalle de 1 à 20 mSv ? Les radioéléments comme le césium décroissent lentement. Le débit de dose moyen n’a diminué que de 40% en moyenne la première année au Japon et les travaux de décontamination se sont révélés très décevants.

Le Japon a bien adopté un retour à une limite de 1 mSv/an, mais sans donner de calendrier. La politique actuelle de retour des populations dans les zones évacuées est toujours basée sur une limite annuelle de 20 mSv/an choisie au moment de l’évacuation. Cette limite n’avait pas été acceptée par beaucoup au moment de l’urgence et elle n’est toujours pas acceptée pour le retour. Ainsi, de nombreuses personnes ne souhaitent pas rentrer, surtout quand il y a de petits enfants. Mais si le Japon adoptait une limite de retour plus basse, les populations non évacuées ne comprendraient pas et se sentiraient abandonnées.

Ces doses annuelles sont estimées en supposant que les personnes passent en moyenne 8 heures par jour dehors et 16 heures par jour à l’intérieur où l’exposition serait réduite de 60%. Ainsi, 1 mSv par an correspond à 0,23 microsievert par heure quand on ajoute le bruit de fond naturel de 0,04 microsievert par heure. Cela peut être mesuré directement avec un radiamètre. 20 mSv se traduisent par une limite de 3,8 microsieverts par heure par la même méthode. C’est cette valeur qui a été utilisée pour l’évacuation. Et c’est encore elle qui est retenue pour le retour.

Face à cette situation complexe, les autorités pensent avoir trouvé la parade : distribuer à chacun des « glass-badges », c’est à dire des dosimètres individuels, pour apprendre à vivre en territoire contaminé et limiter l’exposition en faisant attention. Il est alors possible d’avoir une dose reçue moins élevée que celle estimée précédemment. La ville de Daté s’est fixé une limite à 5 mSv mesurés par ces « glass-badges » et le maire met en avant le succès de l’opération.

Tous les élus ne sont pas convaincus et le conseil municipal a organisé, en janvier 2015, un séminaire avec un représentant de l’association Fukurô-no-kaï et le fabriquant du dosimètre, Chiyoda Technology. Lors de la réunion, le représentant associatif a souligné les limites de la méthode : il importe de protéger chacun. On ne peut pas se contenter de moyenne, comme le font les autorités. Par ailleurs, ces dosimètres sous-estiment la dose quand on vit dans un environnement entièrement contaminé. Lors de la réunion, le directeur de Chiyoda Technology a reconnu les faits et s’est excusé de ne pas l’avoir signalé. Suite à la parution d’un compte-rendu dans la presse, le site Internet de la compagnie reconnaît que les dosimètres sous-estiment la dose reçue de 30 à 40%. L’IRSN, qui a sélectionné ces dosimètres en France et accompagne le maire de Daté dans le cadre d’Ethos in Fukushima, n’aurait pas jugé utile d’apporter cette information ? (Suite à la parution de cet article, l’IRSN nous a demandé d’apporter une précision rectificative).

Pas étonnant que les habitants hésitent à rentrer. Est-ce cela l’avenir que l’on veut proposer à ces enfants ? Tout contrôler, ne pas s’aventurer au-delà des zones non décontaminées… Selon l’Agence de la reconstruction, qui a sondé les habitants des territoires évacués de la province de Fukushima entre août et octobre 2014, seulement 19,4% des habitants de Namié originaires d’une zone où l’ordre d’évacuer va être levé, car l’exposition externe y est inférieure à 20 mSv par an, veulent rentrer. C’est 14,7% dans la même zone à Tomioka. Il s’agit souvent des personnes les plus âgées.

Pour les zones de « non-résidence », où l’exposition externe avant les travaux de décontamination est comprise entre 20 et 50 mSv par an, ces pourcentages descendent à 16,6% pour Namié et 11,1% pour Tomioka. Enfin, pour les zones classées en « retour difficile » car l’exposition externe avant décontamination y est supérieure à 50 mSv par an, 17,5% des personnes concernées à Namié espèrent pouvoir rentrer un jour. C’est 11,8% pour Tomioka.

Il faut donc s’adapter. Avant la catastrophe, il y avait 5 lycées dans les 8 communes évacuées du district de Futaba avec 1 500 élèves. Les cours continuent dans les villes refuge, mais il n’y avait plus que 337 élèves inscrits en mai 2014, juste après la rentrée scolaire. Un nouveau lycée va ouvrir à Hirono à la rentrée prochaine, en avril 2015, à la place des 5 lycées abandonnés qui fermeront officiellement en avril 2017. Il y aura un pensionnat car les enfants vivent loin du futur lycée.

Deux cliniques qui étaient en zone évacuée, dans le district d’Odaka à Minami-Sôma et à Namié, vont licencier le personnel car les indemnisations de TEPCo s’arrêtent. Seuls les directeurs restent en poste pour trouver une façon de rouvrir. 45 personnes dans chaque clinique vont perdre leur emploi. Deux autres cliniques ont déjà fermé définitivement après la catastrophe nucléaire. Minami-Sôma espère lever l’ordre d’évacuer en avril 2016 et Namié en 2017. S’il n’y a plus de services de soins, le retour sera plus difficile.

Les autorités se doivent de laisser le choix aux populations quant à leur retour, sans discrimination, et les aider à refaire leur vie, quel que soit le lieu de résidence choisi. Au-delà du rétablissement de conditions de vie digne, se pose, à plus long terme, le problème du devenir des territoires et des immenses volumes de déchets radioactifs.

Les déchets radioactifs

Que ce soit en territoires évacués ou en zone contaminée, les déchets radioactifs issus des travaux de décontamination s’accumulent. A Fukushima, il devrait y en avoir 30 millions de mètres cube. Les autorités veulent les entreposer sur un site de 16 km2 qui entoure la centrale de Fukushima daï-ichi dans les communes d’Ôkuma et Futaba. Pour vaincre la réticence des habitants, les autorités se sont engagées, par la loi, à reprendre ces déchets au bout de 30 ans pour les stocker définitivement en dehors de la province de Fukushima. Qui peut croire qu’il sera possible de trouver un site et de transporter à nouveau 30 millions de mètres cube ? Le nombre de voyages en camion pour apporter ces déchets se compte aussi en millions. Si les autorités locales ont donné leur accord, les propriétaires des terrains refusent de vendre ou même de louer. Le processus est bloqué. Un sondage effectué en avril 2014 a montré que 82,7% des habitants de Fukushima ne croient pas à cette fable des 30 ans. Le gouvernement n’a donné aucune piste sur la façon dont il compte s’y prendre.

Dans les autres provinces aussi la situation est bloquée. Le gouvernement a trouvé des sites de stockage définitif cette fois-ci mais les riverains et les maires des communes proches s’y opposent. Ils ont barré l’accès aux ingénieurs venus étudier les terrains.

Même en temps normal, il est difficile de trouver un site d’accueil pour les déchets radioactifs. Après un accident de grande ampleur, c’est encore plus difficile car les populations ont moins confiance dans les autorités et le volume de déchets est beaucoup plus grand. Le gouvernement maintient sa politique traditionnelle qui consiste à « décider, annoncer et défendre ». Le précédent ministre de l’environnement avait expliqué que l’argent viendrait à bout des réticences. Les faits lui donnent tord. L’accord des élus locaux ne suffit pas.

En attendant, les déchets s’accumulent partout. Il y a plus de 54 000 sites d’entreposage temporaire. A Iitaté, par exemple, ils couvrent un tiers des 800 hectares de surfaces agricoles. Souvent, le bail pour l’utilisation du terrain arrive à échéance sans qu’il y ait de solution en vue. Dans les zones non évacuées, les maires et les populations ne veulent pas garder les déchets et souhaitent leur départ au plus vite. Des enfants ont été vus jouer sur ces montagnes de sacs radioactifs. Parfois, l’emballage ne tient pas.

La catastrophe au quotidien

Au-delà de ces défis insurmontables, tout le parc nucléaire japonais est à l’arrêt complet depuis septembre 2013. Seuls quatre réacteurs ont vu leur dossier de sûreté validé et il n’y aura probablement pas de redémarrage avant l’été. D’un autre côté, 5 réacteurs anciens devraient être officiellement arrêtés définitivement. Ce n’est qu’un début. Dans ce contexte, le gouvernement peine à définir sa politique énergétique, même s’il s’est engagé à rendre sa copie avant la conférence sur le climat de Paris.

Mais ce sont surtout les populations qui souffrent. Il y a encore 120 000 évacués de la catastrophe nucléaire qui ne savent de quoi leur avenir sera fait. Beaucoup vivent encore dans des préfabriqués peu confortables. Les familles sont parfois éclatées. Que faire quand les indemnisations s’arrêteront ? Dans les territoires contaminés, les enfants ne jouent plus dehors.

Et il y a les cancers de la thyroïde qui sont source d’inquiétude. L’université médicale de Fukushima, mandatée par les autorités, a ausculté une première fois la thyroïde de 368 000 enfants. Parmi eux, 86 enfants avaient un cancer confirmé et 23 autres suspecté. Des examens complémentaires sont en cours. Il y a un cas qui s’est révélé être bénin après l’intervention chirurgicale. Le taux d’occurrence observé est beaucoup plus élevé à Fukushima qu’ailleurs au Japon ou dans d’autres pays. En effet, cela fait environ 30 cas sur 100 000 enfants, contre 1,7 cas sur 100 000 enfants à Miyagi.

Les autorités médicales affirment cependant que ce n’est pas lié à la catastrophe nucléaire, mais au dépistage systématique. Si c’est le cas et que les cancers ne se seraient pas déclarés avant des années, fallait-il effectuer les interventions chirurgicales ? Les cancers papillaires de la thyroïde ne se développent pas toujours et les enfants auraient peut-être pu vivre longtemps en bonne santé avec leur glande. Une fois opérés, ils ont une cicatrice au cou et certains doivent prendre des médicaments toute leur vie. Des experts critiques réclament donc que les autorités régionales, qui mènent ce programme, rendent publiques les informations relatives à la glande après chirurgie et au niveau de progression du cancer. L’université de Fukushima refuse pour préserver la confidentialité des données patients et les autorités régionales n’ont pas le pouvoir d’accéder au dossier médical.

Les autorités régionales de Fukushima ont entamé la deuxième vague de dépistage du cancer de la thyroïde chez les 385 000 enfants de la province. 8 enfants sur 75 000 chez qui l’on n’avait pas détecté de cancer lors de la première échographie sont suspectés d’avoir un cancer après un deuxième examen. Parmi eux, il y a un cas confirmé. Les 7 autres vont subir d’autres examens médicaux. Ils avaient entre 6 et 17 ans au moment des rejets radioactifs massifs. Les tumeurs font entre 6 et 17,3 mm. Ces enfants étaient classés dans les catégories A lors du premier dépistage, signifiant « pas de problème ».

Par ailleurs, sur les 75 000 enfants ayant subi une deuxième échographie de la thyroïde, 611 sont classés B et vont subir des examens complémentaires. Parmi eux, 441, ou 72,2%, avaient été classés A lors de la première campagne. Le nombre de cas de cancer pourrait malheureusement augmenter encore… L’inquiétude des populations est donc sans fin.

La catastrophe ne fait que commencer

Force est de constater que la catastrophe ne fait que commencer. Les défis auxquels fait face le pays sont immenses. Même en temps normal, il n’est pas simple de démanteler une installation nucléaire ni de trouver une solution pour les déchets. Les fuites d’eau contaminée sont difficiles à colmater dans un environnement si hostile. Les problèmes sont exacerbés après une catastrophe et des populations souffrent. Mais ni TEPCo ni le gouvernement n’ont changé. Les excuses répétées n’y changent rien. Selon un sondage récent, 71% des habitants de Fukushima ne sont pas satisfaits par la gestion de la crise par le gouvernement et TEPCo.

La compagnie fait preuve de négligences si elle n’est pas contrôlée strictement. Les quelques exemples présentés ici affectaient l’extérieur du site et sont donc connus. Il y a beaucoup d’autres problèmes qui restent internes. Des ouvriers ont, par exemple, actionné le mauvais interrupteur et mis en marche une pompe de secours qui a déversé de l’eau contaminée dans un sous-sol. Il leur a fallu plus d’un mois pour se rendre compte de la bourde. Deux ouvriers sont décédés en janvier et la compagnie a dû revoir toute la sécurité des travailleurs. Dans de telles conditions, comment peut-elle prétendre pouvoir exploiter du nucléaire à sa centrale de Kashiwazaki-Kariwa ?

Quant au gouvernement, il est toujours dans sa stratégie « décider, annoncer, défendre » qui laisse peu de place à la concertation alors qu’il lui faudrait être plus à l’écoute des populations et inventer de nouvelles formes de démocratie plus participatives. Car les initiatives citoyennes sont nombreuses et ne demandent qu’à être reconnues et encouragées. Dans les années à venir, de nouvelles difficultés vont surgir avec la fin de l’indemnisation des victimes sans que les problèmes ne soient réglés.

Toutes ces informations sont détaillées sur le site Fukushima.eu.org

Révision des plans d’urgence nucléaire

L’Autorité de Régulation Nucléaire, la NRA en anglais, est en train de revoir les plans d’urgence en cas d’accident. Une première révision a déjà eu lieu, mais elle continue en ce sens et a mis en place un groupe de travail sur le traitement médical des personnes qui en ont besoin afin de proposer de nouvelles lignes directrices aux élus locaux.

Jusqu’à présent, les plans d’urgence se focalisaient sur le traitement des personnes fortement irradiées après l’accident qui était survenu à Tôkaï-mura en 1999. Mais en 2011, ce sont les personnes malades qui ont été les plus en danger, faute de soins dans les lieux d’accueil. Le personnel médical va donc être déployé sur les lieux d’accueil.

Les personnes fortement irradiées seront envoyées vers le National Institute of Radiological Sciences à Chiba ou vers de grands hôpitaux universitaires. Les hôpitaux et cliniques de proximité accueilleront les malades peu contaminés voire pas du tout. Ils devront donc être équipés de matériel de détection et de décontamination des patients, ainsi que du matériel de protection du personnel médical.

Rappelons qu’au moment de l’évacuation à Fukushima plusieurs hôpitaux et cliniques ont refusé des patients par crainte de leur contamination. Ce ne devrait plus être le cas.

La NRA va d’abord travailler avec la province d’Aomori avant d’étendre ses prescriptions aux autres provinces concernées.

En ce qui concerne l’évacuation des populations, cela s’arrête à 30 km de la centrale dans les plans actuels. La NRA réfléchit aux recommandations pour les personnes vivant au-delà, car les évacuations ont eu lieu jusqu’à 45 km à Fukushima, avec une limite assez élevée. La NRA va demander à ces populations de rester à l’abri chez elles pendant la phase d’urgence. La détermination les zones concernées sera faite par simulation numérique, qui fut un échec en 2011. Par ailleurs, les rejets massifs avaient duré plus d’une dizaine de jours. Il est impossible de rester à l’abri si longtemps. Et la protection diminue rapidement avec le temps. Les prescriptions françaises limitent la mise à l’abri à une demi-journée car les enfants peuvent être à l’école et les parents séparés sur leur lieu de travail.

Les nouvelles lignes directrices sont soumises à l’avis du public pour une période d’un mois.

Evacuation : doses limites et normes

Dans sa publication n°109, la Commission internationale de protection radiologique (CIPR), recommande que, dans le contexte des plans d’urgence, les autorités nationales fixent des niveaux de référence à partir desquels il faut évacuer entre 20 et 100 millisieverts (mSv). Le Japon s’est vanté d’avoir choisi la valeur la plus basse de l’intervalle proposé pour fixer sa limite d’évacuation au début de la catastrophe de Fukushima.

Cette recommandation internationale ne concerne que la phase d’urgence. Cependant, en cas d’accident majeur, une contamination de l’environnement peut persister pendant une période prolongée se comptant en décennies, affectant ainsi durablement la vie des personnes concernées. La CIPR recommande que l’exposition à long terme aux contaminations résultant d’une situation d’urgence soit considérée comme une exposition à une « situation existante ».

La Commission ajoute qu’il n’y a pas « de frontières temporelles ou géographiques prédéfinies qui délimitent la transition d’une exposition à une situation d’urgence à une situation existante. En général, les niveaux de référence utilisés lors des situations d’urgence ne sont pas acceptables comme références à long terme car les niveaux d’exposition correspondant ne sont viables ni socialement, ni politiquement. Ainsi, les gouvernements et/ou les autorités compétentes doivent, à un certain moment, définir des niveaux de référence pour gérer l’exposition aux situations existantes, typiquement dans la partie basse de l’intervalle de 1 à 20 mSv/an recommandé par la Commission. »

La phase d’évacuation d’urgence lors des premiers jours de la catastrophe s’est faite sur des critères géographiques uniquement, avec des cercles concentriques autour de la centrale nucléaire, sans la moindre référence aux doses. L’évacuation au-delà du cercle de 20 km, ordonnée le 22 avril 2011, s’est faite tardivement et les habitants avaient un mois pour partir. Il ne s’agissait plus d’urgence, mais de “situation existante”. La limite de 20 mSv/an fixée à ce moment correspond donc à la valeur la plus haute des recommandations internationales !

Par ailleurs, la CIPR recommande que cette limite diminue avec le temps pour revenir à la limite “normale” de 1 mSv/an. Mais elle ne donne aucune contrainte sur la vitesse à laquelle il faut baisser les limites. Les radioéléments comme le césium décroissent lentement. Le débit de dose moyen n’a diminué que de 40% en moyenne la première année au Japon et les travaux de décontamination se sont révélés très décevants.

Dans sa publication n°111 dédiée aux conséquences à long terme d’un accident nucléaire majeur, la CIPR n’est pas très explicite : « les autorités nationales peuvent prendre en compte les circonstances et aussi profiter de l’agenda du programme de réhabilitation pour adopter des valeurs de référence intermédiaires qui conduisent à une amélioration progressive de la situation ».

Quel retour ?

Pour le moment, le Japon a adopté un retour à une limite de 1 mSv/an, mais sans aucun calendrier. La politique de retour actuelle dans les zones évacuées est toujours basée sur une limite annuelle de 20 mSv/an choisie au moment de l’évacuation. De nombreuses personnes ne souhaitent pas rentrer, surtout quand il y a de petits enfants. Mais si le Japon adoptait une limite de retour plus faible, les populations non évacuées ne comprendraient pas et se sentiraient abandonnées.

Aux Etats-Unis, la réglementation impose l’évacuation des populations quand l’exposition peut dépasser 20 mSv durant la première année, puis 5 mSv ou moins la seconde année. L’objectif à long terme est de garder une dose inférieure à 50 mSv sur 50 ans. Ces doses concernent l’exposition aux radioéléments déposés sur les sols et autres surfaces.

On ne mesure pas facilement la dose sur un an. Les autorités japonaises ont estimé qu’en moyenne, les personnes passent 8 heures par jour dehors et 16 heures par jour à l’intérieur où l’exposition serait réduite de 60%. Ainsi, 1 mSv par an correspond à 0,23 microsievert par heure quand on ajoute le bruit de fond naturel de 0,04 microsievert par heure. Cela peut être mesuré directement avec un radiamètre.

20 mSv se traduisent par une limite de 3,8 microsieverts par heure par la même méthode. C’est cette valeur qui a été utilisée pour l’évacuation. Et c’est encore elle qui est retenue pour le retour…

Un zonage complexe

Le gouvernement a divisé le pays en plusieurs zones :dans un rayon de 20 km autour de la centrale, tout le monde a été évacué, quelle que soit la contamination. Entre 20 et 30 km, les habitants ont d’abord été confinés, puis il leur a été recommandé de partir. Là où la pollution induit une exposition externe inférieure à 20 mSv/an, les habitants sont invités à rentrer après avoir effectué des travaux de décontamination. Dans les faits, ils ne sont pas tous rentrés, loin de là.

Dans un rayon de 20 km, le gouvernement a désigné les zones où la contamination externe est inférieure à 20 millisieverts par an, en zones de préparation au retour. Il les décontamine en priorité et tente d’y rétablir les services pour permettre le retour des populations. Là encore, dans les deux communes où il y a eu levée de l’ordre d’évacuer, le taux de retour est faible.

Au-delà des 20 km, si le débit de dose ambiant est supérieur à 3,8 microsieverts par heure, et donc l’exposition annuelle est supérieure à 20 millisieverts, il y a eu ordre d’évacuer, comme nous l’avons déjà mentionné. Les territoires concernés ont été subdivisés en deux sous zones, en fonction de la pollution des sols. Là où l’exposition externe peut dépasser 50 millisieverts par an, il s’agit d’une “zone de retour difficile”.

Cette zone la plus contaminée couvre 337 km2 sur 7 communes. 24 000 habitants y habitaient. Tout autour de la centrale de Fukushima daï-ichi, dans les communes de Futaba et d’Ôkuma, le gouvernement veut installer un centre d’entreposage des déchets radioactifs sur 16 km2. Il n’y aura donc pas de retour possible.

Enfin, là où l’exposition est comprise entre un et vingt millisieverts par an, au-delà des 20 km, il n’y a pas eu d’ordre d’évacuer, même si de nombreuses personnes sont parties d’elles-même. En revanche, il y a décontamination à la charge des communes. Plusieurs provinces sont concernées.

La dernière carte officielle des zones évacuées est ici en anglais.

Que s’est-il passé à Fukushima ?

Résumé des évènements, ACRO.eu.org.

L’accident de fusion du cœur est le plus craint par l’industrie nucléaire. Il y en a eu trois simultanément à la centrale de Fukushima daï-ichi en mars 2011. Comment en est-on arrivé là ?

Les combustibles nucléaires usés dégagent de la chaleur, beaucoup de chaleur et doivent être continuellement refroidis. Après le tremblement de terre d’une magnitude exceptionnelle et le tsunami qui ont frappé le Nord Est du Japon le 11 mars 2011, il y eu perte de l’alimentation électrique et de l’alimentation en eau. Les combustibles des trois réacteurs en fonctionnement ce jour là n’ont pas pu être refroidis et ont fondu. Ils ont percé leur cuve et se seraient partiellement écoulés au niveau du radier en béton. Le dégagement de vapeur a fait augmenter la pression et a endommagé la cuve et l’enceinte de confinement. Il y a eu de forts rejets radioactifs lors de la dépressurisation des réacteurs et des fuites non contrôlées. Des explosions hydrogène ont détruit les bâtiments réacteurs.

Contrairement aux cœurs des réacteurs, les piscines d’entreposage des combustibles usés ne sont pas confinées. En cas de fusion, les conséquences sont beaucoup plus graves. C’est pourquoi les piscines ont été à l’origine d’une grosse frayeur. Une réplique sismique aurait pu les fissurer et rendre impossible le refroidissement. En cas d’incendie ou de relargage de grande ampleur, les employés n’auraient pas pu
accéder au site pour tenter de contrôler les réacteurs. Heureusement, cela n’a pas eu lieu.

Dans de telles circonstances, il convient de saluer le courage des employés de la centrale qui ont fait le maximum pour éviter le pire dans une situation de désastre. Outre les problèmes personnels qui devaient les frapper dans ces circonstances, les personnels ont pris des risques. De plus, les conditions matérielles dans lesquelles ils sont intervenus au tout début étaient déplorables : deux repas par jour, pas de couchage correct, stress…

Fin décembre 2014, 40 000 travailleurs étaient passés sur le site de la centrale. Ils sont de l’ordre de 7 000 par jour actuellement, avec une très forte majorité de sous-traitants. Dans les premiers jours, ils n’avaient pas de dosimètre individuel. Seul le chef d’équipe en avait et il n’était pas forcément le plus exposé. Il a fallu un scandale médiatique pour que d’autres centrales en envoient.

Tout est allé très vite : pour le réacteur n°1, il y a eu fusion complète du cœur, rejets radioactifs massifs et explosion hydrogène en moins de 24 heures. La journée la plus inquiétante a été le mardi 15 mars. Selon le premier ministre de l’époque, TEPCo voulait évacuer la centrale, ce que la compagnie dément. Cela aurait entraîné une catastrophe d’une ampleur beaucoup plus grande.

L’exploitant a longtemps estimé que 70% du combustible du réacteur n°1 était endommagé. Ce chiffre était de 33 et 25% pour les réacteurs n°2 et 3. Il a fallu attendre le mois de mai 2011 pour que TEPCo, l’exploitant, finisse par admettre qu’il y avait eu la fusion des trois cœurs. Ni les autorités japonaises, ni les organismes d’expertise internationaux comme l’AIEA n’ont contredit la compagnie.

Pour refroidir les combustibles TEPCo a versé de l’eau, beaucoup d’eau, par divers moyens. Rendue très radioactive au contact du « corium », le cœur fondu, elle s’est accumulée dans les sous-sols des réacteurs où elle a fini par déborder en mer en avril 2011. La compagnie était face à un dilemme : si elle arrêtait de verser de l’eau, la fusion risquait de reprendre, accompagnée de rejets radioactifs et si elle continuait, cela fuyait vers l’océan. La compagnie a donc pompé l’eau des sous-sols après avoir colmaté la fuite, mais le compte n’y est pas. Elle doit pomper 400 m3 d’eau contaminée en plus de ce qu’elle injecte à cause des infiltrations de la nappe phréatique. Presque quatre ans plus tard, l’eau contaminée, qui continue à s’accumuler, reste un problème majeur. TEPCo a tenté plusieurs solutions pour réduire les infiltrations et les fuites en mer, sans grand succès pour le moment. Le stock est gigantesque, de l’ordre de 400 000 m3, que la compagnie tente de décontaminer partiellement pour pouvoir le rejeter en mer.

Des rejets massifs dans l’environnement

Ces évènements ont entraîné la dispersion de gaz et particules radioactifs qui ont contaminé la centrale et une partie du Japon. Les hommes ne peuvent pas travailler dans les réacteurs où il y a eu une fusion du cœur car le débit de dose y est trop élevé. Sur le site de la centrale, il faut des équipements de protection spécifiques. Enfin, la population a été évacuée dans un rayon de 20 km autour de la centrale et jusqu’à 45 km sous les rejets. Mais, 80% de la radioactivité est allée vers l’océan.

Les populations riveraines ont été évacuées, d’abord dans un rayon de 3 km, puis 10 et enfin 20 km en fonction de l’évolution. Et cela dans des conditions extrêmement difficiles, avec plusieurs évacuations successives ou sous les retombées radioactives. Elles ont d’abord été confinées entre 20 et 30 km, puis invitées à partir. Des ordres d’évacuation tardifs ont entraîné le déplacement de populations supplémentaires jusqu’en septembre 2011 pour certains points chauds. Le seuil fixé par les autorités, de 20 mSv/an pour l’irradiation externe, correspond à la limite des travailleurs du nucléaire en France et est appliquée aux enfants. C’est inacceptable pour de nombreuses familles et celles qui en ont les moyens ont fui par elle même, sans indemnisation.

L’évacuation d’urgence des personnes vulnérables a été la plus dramatique entraînant de nombreux décès. Ce fut le cas, par exemple pour l’hôpital de Futaba où 50 patients sont décédés durant les premiers jours.

Le gouvernement japonais rêve que ce soit une catastrophe réversible avec un retour des populations. Il a engagé un immense chantier de décontamination de larges portions de territoires. Mais pour le moment, il n’existe aucune technique efficace ni de lieu d’entreposage des déchets radioactifs générés. La limite de dose pour le retour reste fixée à 20 mSv/an, ce qui est inacceptable. Beaucoup ont décidé de ne pas rentrer, surtout quand il y a de jeunes enfants.

Internet et les réseaux sociaux ont joué un rôle très important pour répondre à la quête d’informations. De nombreuses associations locales, souvent intitulées “Sauvons nos enfants”, ont aussi été créées dans tout le pays. Elles ont d’abord permis d’échanger sur les problèmes liés à la radioactivité, les conflits qui en résultaient dans la famille, les mesures à prendre pour protéger les enfants et faire pression sur les élus locaux pour décontaminer les écoles, refuser les débris du tsunami, contrôler les repas servis à la cantine, et, à Fukushima, demander un élargissement de l’évacuation, au moins pour les enfants et les femmes enceintes.

L’accès à la mesure de la radioactivité a été un des grands enjeux pour les populations. L’ACRO, laboratoire associatif français créé après la catastrophe de Tchernobyl et basé à Hérouville St Clair, s’est fortement investi pour venir en aide aux populations japonaises. Cela s’est traduit par l’analyse de presque 600 échantillons les plus variés en provenance du Japon et à la création d’un laboratoire de mesure sur place.

 

Fukushima 3 ans après : le Japon peine à sortir la tête de l’eau

ACRO.eu.org

Le gouvernement japonais s’apprête, pour la première fois, à lever l’ordre d’évacuer dans le hameau de Miyakoji à Tamura à partir du 1er avril 2014. Il y avait 358 âmes (117 familles) avant la catastrophe et les travaux de décontamination sont officiellement terminés depuis juin 2013. Les habitants peuvent rentrer pour réparer leur maison, et même dormir sur place s’ils le souhaitent.

Cependant, la décontamination n’a eu lieu qu’à proximité des habitations et lieux de vie. Dès que l’on s’éloigne un peu de ces îlots où le gouvernement souhaite que les populations reviennent s’installer, les niveaux de radioactivité restent élevés. Le gouvernement a pourtant dépensé des sommes folles à cette fin. Dans les territoires évacués, ce sont les majors du BTP, sans aucune expérience spécifique, qui ont remporté les marchés et qui sous-traitent le travail. Au plus bas du mille-feuilles de la sous-traitance, les salaires ont été ponctionnés à chaque niveau et les conditions de travail sont souvent déplorables. Outre l’embauche de SDF qui a défrayé la chronique, le ministère du travail a relevé des infractions à la législation du travail dans 40% des cas.

La pénurie de main d’œuvre n’arrange pas les choses. Il n’y a pas de solution pour les déchets radioactifs engendrés qui s’accumulent partout dans des sacs en plastique en attendant mieux. Des entreprises ont été prises sur le fait alors qu’elles rejetaient des déchets dans les rivières ou un peu plus loin dans la forêt.

Cela étant, même en travaillant correctement, force est de constater que, comme autour de Tchernobyl, la décontamination à grande ampleur est simplement impossible. Il y a 70% de montagne et de forêt dans la province de Fukushima.

Les habitants sont partagés quant à leur retour à Miyakoji. Certains espèrent que les entreprises du bâtiment seront moins hésitantes à venir y travailler. D’autres sont contents pour l’agriculture : trois familles ont repris les cultures et espèrent que cette décision leur permettra de lutter contre les « rumeurs néfastes ».

D’autres, surtout avec des enfants, demandent une décontamination plus poussée. Lors d’un retour en famille, un habitant a expliqué que ses enfants sont allés jouer dans des zones non décontaminées, sans le savoir. Il demande donc que les parents soient consultés et leur point de vue pris en compte avant de lever l’ordre d’évacuer. En vain. Sa décision est prise, il ne rentrera pas.

L’expérience conduite dans ce hameau aura valeur de test. Six autres communes devraient suivre cette année.

A Hirono, situé à une trentaine de kilomètre de la centrale, les habitants ont d’abord été confinés avant d’être encouragés à partir. Le conseil à l’évacuation a été levé 6 mois plus tard et l’indemnisation s’est arrêtée au bout d’un an, en août 2012. Pourtant peu d’habitants sont rentrés. La population de plus de 5 000 personnes avant le 11 mars 2011, est actuellement de 1 352. L’économie locale ne repart pas. De nombreux magasins, restaurants restent fermés. En revanche, environ 2 500 travailleurs à la centrale de Fukushima daï-ichi y résident dans des dortoirs, hôtels et autres hébergements. La municipalité a donc pour projet de développer l’accueil des travailleurs. Le retour ne sera, pour le moment, autorisé que dans la partie “la moins contaminée” des territoires évacués, où l’exposition externe est inférieure à 20 millisieverts par an. Cette même limite avait été fixée pour délimiter les zones où il a été ordonné d’évacuer en avril 2011. En temps normal, la limite pour les populations est à 1 mSv/an pour l’ensemble des voies d’exposition. La valeur de 20 mSv/an en moyenne est celle pour les employés qui interviennent en zone contrôlée dans l’industrie nucléaire.

En cas d’urgence, la CIPR, qui établit les recommandations internationales en matière de radioprotection, écrit, dans sa publication 109, que le niveau de référence doit être fixé entre 20 et 100 mSv, au total ou par an. Les autorités japonaises, qui ont retenu la limite de 20 mSv/an pour déclencher l’évacuation des populations, se sont vantées d’avoir adopté la limite basse de la fourchette recommandée par la CIPR. Pourtant, le 22 avril 2011, lorsque les autorités ont ordonné l’évacuation des zones contaminées à plus de 20 mSv/an situées au-delà des 20 km, on n’était déjà plus dans la phase d’urgence.

Pour le retour, on est face à ce que la CIPR appelle une situation d’exposition existante. Il faut donc se référer à sa publication 111 qui recommande que les niveaux de référence soient fixés dans la limite basse de l’intervalle 1 – 20 mSv/an. L’ARN, l’autorité de sûreté nucléaire japonaise, dans son avis, a ajouté qu’il s’agissait d’un objectif à long terme, tout en se gardant bien de donner un calendrier.

Quand le gouvernement se défausse sur les populations

L’idée des autorités, qui n’ont pas réussi à faire baisser de façon significative les risques d’irradiation, malgré d’importantes dépenses pour tenter de décontaminer, est donc de distribuer des dosimètres et radiamètres afin que les habitants adaptent leur mode de vie de façon à réduire la dose externe reçue. Elles espèrent ainsi que les habitants arriveront à être à des niveaux proches de 1 mSv/an. En ce qui concerne les habitants qui n’ont jamais été évacués, mais qui vivent en territoire contaminé, la situation est moins claire. Ou pour ceux qui sont partis d’eux-mêmes, sans aucun soutien. Le gouvernement va-t-il distribuer les mêmes appareils de mesure ? La NRA recommande de ne pas les oublier, sans pour autant proposer le même programme.

Le gouvernement, qui a un devoir régalien de protéger les populations, se décharge ainsi de sa responsabilité. C’est malheureusement inévitable après une catastrophe nucléaire. Mais si les populations doivent prendre en charge leur radioprotection, elles doivent être aidées et soutenues, comme le rappelle la NRA. Et surtout, elles doivent pouvoir participer au processus de décision, tant au niveau individuel que collectif. Il ne doit avoir aucune discrimination entre les personnes qui décident de rentrer et celles qui décident de refaire leur vie ailleurs. L’avis de la NRA reconnaît ce droit à choisir, ce qui ne semblait pas être le cas du gouvernement qui envisageait de donner plus d’indemnités à ceux qui rentrent. Les conditions du retour doivent aussi être débattues démocratiquement.

Dans les faits, ce sont surtout les personnes âgées qui veulent retourner chez elles, alors que les familles avec enfants évitent de le faire dans la mesure du possible. Cela signifie une nouvelle organisation collective, car toute la vie sur place va s’en trouver affectée pendant longtemps.

Comme le gouvernement a refusé d’abaisser la limite d’évacuation, il ne peut pas choisir une limite plus basse maintenant pour le retour, car les personnes non évacuées ne comprendraient pas ! Il n’est plus possible de leur demander de partir sans justifier le fait d’avoir attendu 3 ans. Bref, le gouvernement avait parié sur une décontamination efficace et il est donc coincé maintenant. Les recommandations de la CIPR sont difficilement applicables, à cause de la mauvaise articulation entre la phase d’urgence et la phase post-accidentelle. Elles supposent que l’on peut faire baisser significativement la pollution radioactive.

Il y a d’autres zones où la contamination entraînerait une exposition comprise entre 20 et 50 mSv/an. Le gouvernement espère que les travaux de décontamination permettront de rabaisser les doses correspondantes sous la limite de 20 mSv pour permettre le retour des populations. Les zones où l’exposition externe dépasse les 50 mSv/an, sont pudiquement classées en zone de retour “difficile”. L’accès y est interdit.

Impact sanitaire

La population a complètement perdu confiance dans la parole des autorités. Les dernières statistiques sur les cancers de la thyroïde chez les enfants inquiètent. Il y a 75 cas diagnostiqués, dont 33 confirmés après intervention chirurgicale, sur 254 000 enfants contrôlés. Au total, 375 000 enfants ont droit à une échographie de la thyroïde pour dépistage. Il y a déjà beaucoup plus de cas de cancer de la thyroïde que ce à quoi on s’attendait. Les autorités maintiennent qu’elles ne pensent pas que ce soit lié à la catastrophe nucléaire, avec toujours le même argument : à Tchernobyl, l’apparition des cancers est apparue 4 à 5 ans après la catastrophe. Mais il n’y avait pas eu un tel dépistage systématique et la découverte des cancers y a été plus tardive.

Personne ne croit ces affirmations qui se veulent rassurantes. Et si ce n’est pas la catastrophe nucléaire qui est en cause, pourquoi le gouvernement n’étend-il pas le dépistage à tout le pays ?

Trois ans après la triple catastrophe, il y a encore 267 000 réfugiés, dont 100 000 vivent dans des logements préfabriqués. Les autorités régionales de Fukushima recensent encore 136 000 réfugiés dont la vie reste difficile. De nombreuses familles sont disloquées. Quand elles vivaient à plusieurs générations sous un même toit, elles n’ont pas trouvé à se reloger ensemble. La recherche d’un nouvel emploi a aussi conduit à des séparations. Les personnes les plus fragiles payent un lourd tribut : le nombre de décès officiellement liés à l’évacuation à Fukushima est maintenant de 1 656. C’est beaucoup comparé aux deux autres provinces touchées par le tsunami : l’évacuation des côtes a entraîné 434 décès à Iwaté et 879 à Miyagi. 90% des personnes décédées à cause du stress et des mauvaises conditions de vie avaient plus de 66 ans.

La reconnaissance officielle du lien avec l’évacuation intervient quand la famille réclame une indemnisation, après validation par une commission ad-hoc. Parmi les causes de décès prématuré, il y a le manque de soin, le suicide, l’isolement… Cette procédure avait été mise en place après le séisme de 2004 à Niigata. A l’époque, il n’y a plus eu de décès post-catastrophe après un mois. Avec la catastrophe nucléaire, cela continue après presque trois années. A titre de comparaison, le séisme et tsunami ont provoqué 1 607 décès ou disparus à Fukushima et environ 18 500 sur tout le Japon.

Les populations vivant dans les territoires contaminés s’organisent pour survivre. On fait venir la nourriture de loin, on mesure la radioactivité, on fait contrôler la thyroïde par des laboratoires indépendants nouvellement créés… Le laboratoire Chikurin que l’ACRO a soutenu est bien parti. La demande d’analyse ne diminue pas.

Il a contrôlé récemment des vêtements et a trouvé un T-shirt de Fukushima avec 65 Bq/kg en césium après lavage. Il y avait 93 Bq/kg dans des vêtements de sport, toujours après lavage. La demande pour les analyses d’urine reste forte.

TEPCo mauvais payeur

TEPCo rechigne toujours à indemniser les réfugiés car cela devrait lui coûter 4 900 milliards de yens (35 milliards d’euros). Il s’agit probablement d’une estimation optimiste car la compagnie ne maîtrise pas le calendrier de retour des populations. Outre les indemnisations liées au stress à hauteur de 100 000 yens par personne et par mois (715 euros), elle compense aussi la perte de revenu qu’elle veut arrêter à partir de février 2015, sous le prétexte que le marché de l’emploi s’est amélioré. Cela va à l’encontre des instructions du comité gouvernemental qui stipule que TEPCo doit payer aussi longtemps que les revenus restent inférieurs à leur niveau d’avant la catastrophe.

Quant à ses propres employés qui ont retrouvé à se loger, elle a suspendu les indemnités liées au stress reçues par tous les membres de la famille et a même réclamé le remboursement de celles déjà versées ! Ainsi, une famille avec deux enfants, qui vivait dans une zone maintenant classée en « retour difficile », a eu droit, comme les autres habitants de ces régions, de demander une somme forfaitaire correspondant à 5 années d’indemnisation à partir de juin 2002 afin de les aider à refaire leur vie. Elle a reçu 24 millions de yens. Puis TEPCo a envoyé une demande de remboursement de plus de 30 millions de yens (214 000 euros) sous le prétexte que cette famille avait trouvé à se reloger à partir de l’été 2011. Elle n’est donc plus considérée comme “évacuée”. Les autres résidents non employés par TEPCo, originaires des mêmes zones, n’ont pas reçu de demande remboursement. Pourtant, les familles des travailleurs de TEPCo souffrent autant que les autres. Elles ont des frais similaires pour racheter ce qui a été abandonné lors de l’évacuation : meubles, vêtements…

Au 31 décembre 2013, ils étaient 31 383 travailleurs à être passés sur le site de la centrale de Fukushima daï-ichi. Une grande majorité sont des sous-traitants : 800 compagnies y interviennent. Les nombreux niveaux de sous-traitance, les mauvaises payes, les conditions de travail très difficiles, font qu’il est difficile de trouver une main d’œuvre qualifiée et motivée. Avec les nombreux chantiers de décontamination, 50 000 travailleurs sont concernés. Il y a 25% plus d’offres d’emploi que de demandes à Fukushima. La pègre japonaise en profite parfois pour le recouvrement de dettes : les victimes sont forcées de travailler à la centrale ou dans la décontamination et une partie du salaire est confisqué.

L’eau reste le cauchemar de TEPCo

A la centrale de Fukushima daï-ichi, trois ans après la fusion de trois cœurs de réacteur nucléaire, l’accident le plus grave, l’eau reste le principal cauchemar de TEPCo. Elle doit arroser continuellement les combustibles fondus pour éviter qu’ils ne se remettent à chauffer et dispersent des gaz et aérosols radioactifs.

L’eau de refroidissement, après s’être fortement contaminée au contact des combustibles, s’écoule de la cuve et de l’enceinte de confinement, percées, dans les sous-sols inondés. Elle rejoint ensuite les sous-sols des bâtiments réacteur, turbine et toutes les galeries souterraines.

TEPCo avait creusé la falaise pour mettre ses réacteurs au niveau de la mer. Cela lui a été fatal. Les sous-sols sont sur le passage des écoulements souterrains. Avant la catastrophe, la compagnie devait pomper 1 000 m3 d’eau souterraine par jour pour éviter les infiltrations. Maintenant, 400 m3 pénètrent chaque jour dans les sous-sols et se mélangent à l’eau contaminée. TEPCo doit pomper cette eau et la mettre dans des cuves pour éviter qu’elle ne se déverse directement en mer. Les cuves s’accumulent et la place vient à manquer. Les 600 autres mètres cube quotidiens s’écoulent en mer. TEPCo estime, à la louche, que la moitié se contamine au passage. Et c’est comme cela depuis les premiers jours de la catastrophe, même s’il a fallu attendre l’été 2013 pour que la compagnie et les autorités japonaises admettent l’évidence.

Par conséquence, la contamination de l’eau des nappes phréatiques atteint des records : jusqu’à 3,1 millions de becquerels par litre en bêta total dans le puits 1-16. Ces données sont récentes car TEPCo se trompait depuis le début sur la mesure de la radioactivité quand la contamination s’élevait : ses détecteurs saturaient et sous-estimaient la pollution ! Elle a découvert l’erreur de débutant durant l’été 2013 mais ne l’a rendue publique qu’au tout début 2014. L’autorité de régulation nucléaire (ARN) a tancé la compagnie car les résultats de mesure sont à la base de la prise de décision. De telles erreurs sont simplement inadmissibles.

Du côté des cuves, l’inquiétude demeure : 750 d’entre elles, construites à la va-vite avec des joints bon marché – la compagnie rogne sur tous les budgets car elle est en faillite – ne tiendront pas longtemps. Durant l’été 2013, l’une d’entre elle a fui pendant un mois avant que TEPCo ne s’en rende compte. Elle a perdu 300 m3 d’eau très fortement contaminée qui a pollué les sols, la nappe phréatique et atteint l’océan.

Un muret de 30 cm entourait la dalle sur laquelle repose les cuves afin de retenir les fuites éventuelles. Mais comme l’eau de pluie s’y accumulait, les vannes d’écoulement étaient maintenues ouvertes. Cela ne servait donc à rien !

Depuis, toutes les vannes ont été fermées, les contrôles renforcés, l’eau de pluie accumulée est contrôlée avant d’être rejetée. En cas de dépassement des limites, elle est stockée. Ces nouvelles mesures n’ont pas empêché une nouvelle fuite en février 2014. 100 m3 d’eau fortement contaminée ont débordé.

L’eau contaminée est allée dans une cuve déjà pleine, qui a débordé, au lieu d’aller dans la cuve à remplir. Trois vannes de transfert, qui auraient dû être fermées, étaient ouvertes. La jauge de la cuve à remplir ne montrait aucune arrivée d’eau. Et une alarme a été ignorée. Il a fallu 9 heures, suite à cette accumulation d’erreurs humaines, pour découvrir la fuite.

Les cuves continuent d’être construites au rythme d’une tous les deux jours. Outre le manque de place, la radioactivité bêta induit un rayonnement X qui peut entraîner une multiplication par 8 du débit de dose par endroits. Il n’était pas pris en compte avant que TEPCo ne se fasse rappeler à l’ordre par l’Autorité de Régulation Nucléaire.

TEPCo est à la peine avec sa nouvelle station de traitement des eaux contaminées ALPS, supposée retirer 62 radioéléments et résoudre ses problèmes. L’unité, initialement prévue pour septembre 2012, est toujours en cours de test. Elle devrait avoir une performance de 750 m3 par jour, mais la réalité est plus proche de 560 m3 par jour à cause des nombreux arrêts de maintenance et de contrôle. Elle génère aussi d’énormes quantités de déchets radioactifs pour lesquels il n’y a pas de solution.

Elle ne retire pas le tritium. Les 400 000 tonnes (ou m3) d’eau contaminée dans les cuves contiennent 817 TBq (817 000 milliards de becquerels) de tritium. Il y aurait aussi 58 TBq dans les sous-sols des bâtiments réacteur et turbine. Cela fait donc un total de 875 TBq. Comme l’autorisation de rejet annuelle pour la centrale avec 6 réacteurs est de 22 TBq, le stock de tritium représente donc 40 années de rejets au maximum autorisé. Même si la station de traitement ALPS devait marcher, TEPCo devra revoir à la hausse ses autorisations de rejet si elle veut se débarrasser de l’eau traitée dans l’océan. Ce n’est pas gagné.

Les travaux de démantèlement avancent pour le réacteur n°4 où des êtres humains peuvent y travailler. Ce ne sera pas le cas pour les trois autres réacteurs où il y a eu une fusion du cœur. Les risques d’irradiation y sont trop élevés. Le retrait des combustibles de la piscine va bon train et devrait être terminé cette année, à l’exception de 3 assemblages endommagés bien avant la catastrophe. TEPCo ne sait pas comment s’y prendre. Dans la piscine du réacteur n°1, ce sont 70 assemblages sur 292 qui sont endommagés, soit presque le quart.

Les deux autres réacteurs non accidentés de la centrale, les n° 5 et 6, ont été finalement mis à l’arrêt définitif par TEPCo, sur ordre du premier ministre. Quant aux 4 réacteurs de la centrale de Fukushima daï-ni, située à 12 km plus au Sud, leur sort n’est pas encore officiellement fixé, bien qu’ils ne redémarreront jamais. Les autorités locales ont été claires à ce sujet.

Toujours zéro réacteur en fonctionnement

C’est un secret de polichinelle : une partie importante des 48 réacteurs nucléaires restant ne redémarrera jamais, même si aucune autre compagnie ne s’est encore résignée à décider l’arrêt définitif. Un nouveau référentiel de sûreté est en place depuis le 8 juillet 2013 et il n’y a eu que 17 demandes d’autorisation de redémarrage pour le moment. Plusieurs se sont déjà fait retoquer. Les autres sont toujours à l’instruction. Les investissements pour les remettre aux nouvelles normes sont massifs. Le quotidien Asahi est arrivé à la somme de 1 620 milliards de yens (12 milliards d’euros).

Il n’y a pas que les réacteurs qui posent problème : les nouvelles règles imposent un plan d’évacuation pour toute la population dans un rayon de 30 km. De nombreuses communes ne sont pas prêtes. En attendant, tout le parc japonais, qui produisait 30% de l’électricité du pays, est arrêté sans que personne ne puisse donner de date de redémarrage.

La catastrophe vient à peine de commencer. Le Japon n’est pas près de sortir la tête de l’eau. L’ACRO, qui suit au jour le jour les évènements sur son site Internet, peut en témoigner : il ne s’est pas encore passé un jour sans que la presse japonaise ne parle de l’accident nucléaire et de ses conséquences. Peu de sujets de société peuvent se targuer d’un tel impact. Des citoyens ont dû prendre les choses en main. En s’emparant de la mesure de la radioactivité, ils ont obligé les autorités et les producteurs à s’y mettre aussi et ont généralisé les contrôles. Les cartes de la pollution sont maintenant bien établies et il n’y a plus de scandale alimentaire dû à la vente d’aliments dépassant les normes. En revanche, le processus décisionnel est toujours verrouillé. Il est indispensable de démocratiser les choix relatifs à la protection des populations.

TEPCo, quant à elle, a prétendu avoir tiré les leçons de la catastrophe et amélioré sa culture de sûreté. Elle se targue d’être à nouveau en mesure d’exploiter des réacteurs nucléaires à sa centrale de Kashiwazaki-Kariwa (Niigata). Celle-là même qui avait été fortement secouée en 2007. Pourtant, les erreurs grossières sur la mesure de la radioactivité ou sur la gestion de l’eau contaminée à Fukushima montrent que c’est loin d’être cas. Personne n’a songé à lui interdire d’exploiter du nucléaire, comme on retire le permis à un chauffard.

Le nucléaire déclinant au pays du soleil levant

ACRO.eu.org

Le 15 septembre 2013, à peine plus de deux ans et demi après le déclenchement de la catastrophe de Fukushima, le Japon va se retrouver à nouveau sans aucun réacteur nucléaire en fonctionnement. La dernière fois, c’était le 5 mai 2012. Personne ne peut dire jusqu’à quand cette situation va perdurer. Un dossier de demande de redémarrage a été déposé pour 12 réacteurs et 5 ont déjà été rejetés. Il ne reste que 7 réacteurs en course… sur 50. Cela ne fait pas beaucoup. Comment en est-on arrivé là ?Avant la catastrophe de Fukushima, le Japon comptait 54 réacteurs nucléaires de production qui fournissaient environ 30% de l’électricité du pays. 10% venaient des énergies renouvelables, essentiellement de l’hydraulique, et le reste des énergies fossiles.

Le séisme du 11 mars 2011, a entraîné l’arrêt de 14 réacteurs, dont 4 ont été complètement détruits. Le Japon ne compte plus que 50 réacteurs officiellement. En mai 2011, le premier ministre de l’époque a demandé la fermeture de la centrale de Hamaoka, proche d’une faille sismique. En cas d’accident, ce sont les principales voies de communication entre l’Est et l’Ouest du pays qui auraient été coupées. Puis, les autres réacteurs ont été arrêtés normalement, les uns après les autres, après 13 mois d’exploitation.

Sans énergie nucléaire au printemps 2012, la question était à l’époque de savoir si le pays pourrait passer l’été, quand la demande est la plus forte à cause de la climatisation. Le gouvernement a pensé qu’avec des stress-tests demandés aux exploitants, il n’y aurait pas de problème pour redémarrer les réacteurs. Ce n’était qu’une affaire de quelques mois. Mais c’était sans compter sur la population et les plus grandes manifestations qu’a connues le pays depuis les années 70.

Le gouvernement est passé en force et a autorisé, en juillet 2012, le redémarrage de deux réacteurs de la centrale d’Ôï, dans le Kansaï, région où le nucléaire compte pour 40% de l’électricité consommée. Il n’a pas pu en redémarrer plus, au grand dam des exploitants. Et il s’est finalement avéré que le Japon aurait pu se passer de ces deux réacteurs sans coupure. Ce sont eux qui sont à nouveau arrêtés en septembre 2013, après 13 mois de fonctionnement.

Entre-temps, le gouvernement a mis en place une nouvelle autorité de sûreté nucléaire, indépendante, qui est entrée en fonction en septembre 2012. Cette Agence de Régulation Nucléaire (NRA en anglais) se distingue de son prédécesseur, la NISA, complètement inféodée au ministère de l’industrie et à l’industrie nucléaire et qui a été discréditée par la catastrophe de Fukushima.

Cette nouvelle agence s’est rapidement attelée à la tâche de rédiger un nouveau référentiel de sûreté, qui a finalement été adopté le 8 juillet 2013. Elle prétend qu’il s’agit des règles les plus strictes au monde… qui ne sont respectées par aucun réacteur japonais !

Il y a dix compagnies d’électricité au Japon, qui se sont partagées le territoire avec un monopole dans leur zone. Neuf d’entre elles exploitent, ou plutôt exploitaient, des centrales nucléaires. Elles sont toutes dans le rouge, sauf deux. Les deux compagnies qui s’en sortent sont celles qui n’ont pas ou peu de nucléaire. Les autres doivent payer le maintien de leur parc nucléaire, les emprunts et la production d’électricité de substitution. Elles payent donc une partie de la production presque deux fois et ne la vendent qu’une fois.

Elles sont donc pressées de relancer leurs réacteurs, les bénéfices primant sur la sûreté. Mais ce n’est pas si facile. Contrairement à l’Europe où, tous les dix ans, les exploitants du nucléaire doivent investir dans leurs centrales pour les mettre en conformité avec les dernières exigences, au Japon, tout comme aux Etats-Unis, les normes de sûreté qui s’appliquaient sont celles en cours au moment de la mise en service et cela, pour toute la durée de vie de la centrale.

Pour les réacteurs les plus vieux, le fossé est si grand qu’il ne sera pas possible de les remettre aux nouvelles normes. Il y a, par exemple, 13 réacteurs avec des câbles électriques inflammables. C’était toléré avant Fukushima, c’est interdit maintenant. Et comme il y a des milliers de kilomètres de câbles dans un réacteur, il est peu vraisemblable qu’il soit économiquement viable de les changer.

Il y a aussi deux sortes de réacteurs au Japon, des réacteurs à eau sous pression (REP, ou PWR en anglais) et des réacteurs à eau bouillante (REB, BWR en anglais). Tous doivent désormais être équipés d’un filtre à particules radioactives pour limiter les rejets en cas d’accident, mais les REP bénéficient d’un délai de grâce de 5 ans, car leur enceinte de confinement est plus grande.

Au final, des dossiers de demande de redémarrage n’ont été déposés que pour 12 réacteurs durant l’été 2012, tous des REP, et le gouvernement vise 10% d’électricité d’origine nucléaire à moyen terme. Le dossier de la centrale de Tomari de Hokkaïdô Electric s’est déjà fait retoqué car il est incomplet. Les données sur le système refroidissement en cas d’accident concernaient un autre système que celui en place. Encore des ingénieurs qui connaissent bien leurs machines… Celui de Takahama aussi, car Kansaï Electric a sous-estimé la hauteur du tsunami qui pourrait la frapper. Elle est bonne pour rehausser la digue, ce qui prend du temps. Il n’y a plus que 7 dossiers en cours d’évaluation par la NRA, pour 50 réacteurs. Le gouvernement était encore bien optimiste avec ses 10%.

Inversement, d’un tiers à la moitié du parc ne redémarrera probablement jamais. 17 réacteurs ont plus de 30 ans. Il n’est pas sûr qu’il vaille le coût d’investir pour les remettre à niveau. D’autres sont sur des failles qui sont maintenant considérées comme actives après un réexamen. C’est le cas pour la centrale de Tsuruga (Fukui) et probablement pour celle de Higashidori (Aomori). Et puis, TEPCo ne pourra jamais redémarrer les réacteurs de Fukushima qui n’ont pas explosé, même si la compagnie y songe encore.

Le gouvernement a aussi demandé aux autorités locales de mettre en place un plan d’évacuation de toute la population sur un rayon de 30 km autour de chaque centrale. A Tôkaï (Ibaraki), c’est quasiment mission impossible car la population se compte par million. Pour les pouvoirs locaux, c’est non.

TEPCo veut redémarrer au plus vite deux réacteurs de sa centrale de Kashiwazaki-Kariwa, fortement secouée lors du séisme de 2007. Mais, avec la légèreté avec laquelle elle se préoccupe de l’eau contaminée à Fukushima, il lui est difficile de convaincre qu’elle a amélioré sa culture de sûreté. Le gouverneur de la province de Niigata est fermement opposé au redémarrage de ces réacteurs tant que toute la lumière n’aura pas été faite sur l’accident nucléaire de Fukushima.

Plusieurs compagnies d’électricité sont donc dans une situation financière critique car elles ne pourront pas redémarrer de réacteur nucléaire avant longtemps, voire jamais.

En attendant, avec la libéralisation complète du marché de l’électricité à partir de 2016, la concurrence va être plus rude. De nombreux investissements se tournent vers les énergies renouvelables : en plus du solaire et du vent, l’exploitation de l’énorme potentiel géothermique du pays n’est plus tabou. Selon le ministère de l’industrie, une centaine de nouvelles compagnies se sont enregistrées pour vendre de l’électricité. 40% d’entre elles en produisent déjà.

Comme pour le moment tout projet de construction de nouvelle centrale nucléaire est gelé au Japon, le nucléaire est, de facto, déclinant au Japon, quelle que soit la couleur des partis au pouvoir. Le précédent gouvernement voulait arrêter le nucléaire à terme, mais relancer les réacteurs jugés sûrs par la NRA en attendant. Le nouveau gouvernement veut relancer le nucléaire et redémarrer les réacteurs jugés sûrs par la NRA en attendant, ce qui revient exactement au même.

Les deux s’accordent sur l’exportation de technologie nucléaire et le maintien des investissements dans le « retraitement » des combustibles usés et le surgénérateur Monju, même si l’usine n’a jamais fonctionné et que son lancement a connu 19 reports en plus de 5 ans. Le réacteur expérimental, quant à lui, n’a fonctionné que 240 jours depuis 1994 et ne pourra probablement jamais satisfaire les nouvelles normes de sûreté. Cette obstination n’est pas sans arrières pensées militaires et inquiète les Etats-Unis.

Le Japon ne peut pas importer d’électricité. Une moitié du pays est à 50 Hz et l’autre à 60 Hz, ce qui réduit drastiquement les échanges entre les deux parties. Il s’en est cependant sorti, grâce notamment aux économies d’énergie. Les émissions de CO2 de TEPCo par kilowattheure produit a augmenté, mais la quantité totale rejetée en 2012 est égale à celle rejetée en 2010. Les économies d’énergie ont compensé l’arrêt complet du parc nucléaire de la compagnie. En revanche, elle n’a pas réussi à baisser ses émissions conformément au protocole de Kyôto.

Selon le ministère de l’industrie, 9 des 10 compagnies d’électricité, n’ont pas réussi à remplir leurs objectifs de réduction de 20% de leurs émissions de CO2 par rapport à 1990, conformément aux engagements pris en 2007. La seule compagnie qui s’en tire, est celle d’Okinawa, qui n’a pas de nucléaire ! Chubu Electric, qui dépend peu du nucléaire, a réduit ses émissions de 12,9%. Chukoku Electric, de 13,4%. D’autres ont augmenté leurs émissions. Globalement, les 9 compagnies qui ont du nucléaire n’ont réduit, en moyenne, leurs émissions que de 2,6%. Ces compagnies produisent environ un tiers des émissions de CO2 du pays, mais le Japon va néanmoins satisfaire au protocole de Kyôto grâce aux échanges de quotas d’émission. Les compagnies d’électricité, quant à elles, rechignent à utiliser cette possibilité car elles sont dans le rouge.

Point sur la situation de l’eau contaminée à Fukushima

ACRO.eu.org

La catastrophe de Fukushima a déjà provoqué la plus forte pollution radioactive marine de l’histoire. C’était en avril 2011, l’eau contaminée du réacteur n°2 se déversait dans la mer via une galerie souterraine qui débordait. En mai 2011, ce fut le tour du réacteur n°3.

TEPCo a estimé à 520 m3 d’eau très radioactive, soit 4 700 térabecquerels (1 terabecquerel représente un million de millions de becquerels) ou 20 000 fois l’autorisation de rejet annuel la fuite d’avril. Plus précisément, il y avait 2 800 terabecquerels d’iode-131, 940 térabecquerels de césium 134 et autant de césium 137. Ce seul rejet mériterait d’être classé au niveau 5 ou 6 de l’échelle internationale INES. L’IRSN avait estimé que c’était 20 fois plus.

Pour refroidir les combustibles fondus TEPCo injecte en continu de l’eau dans les réacteurs. Si elle s’arrête, les combustibles se remettent à chauffer et des gaz radioactifs peuvent être émis. Cette eau se contamine et s’écoule dans les sous-sols des bâtiments réacteurs et dans tout un enchevêtrement de galeries souterraines. Les bâtiments turbine voisins sont aussi inondés.

Au début, TEPCo arrosait sans trop se préoccuper du devenir de l’eau. Des ouvriers mal protégés ont pataugé dans une flaque fortement contaminée, entraînant la plus forte dose reçue à ce jour. Et puis les niveaux ont commencé à monter et l’eau a débordé dans la mer. Une course contre la montre s’est alors engagée : colmater tant bien que mal la fuite pour arrêter le déversement en mer et pomper l’eau des sous-sols, la traiter et la réinjecter.

L’océan a aussi reçu 80% des rejets aériens, encore plus massifs.

Des chercheurs de la Japan Agency for Marine Earth Science and Technology ont prélevé du plancton en 10 points du Pacifique au large de la centrale de Fukushima, de Hokkaïdô à Guam, et ont trouvé une contamination systématique en césium 134 et 137. La contamination la plus élevée en césium 134 est de 8,2 à 10,5 Bq/kg et la plus basse, de 1,9 Bq/kg. Il faut ajouter le césium 137 : 14,9 Bq/kg pour l’échantillon le plus contaminé. Les échantillons ont été prélevés moins d’un an après la catastrophe, en janvier-février 2012, de 500 à 2 100 km de la centrale.

Une pollution marine persistante 

Presque deux ans et demi plus tard, l’océan reste fortement contaminé sur de centaines de kilomètres, malgré la présence de forts courants marins (voir les dernières données officielles concernant les sédiments marins et l’eau de mer). L’eau de pluie lessive les sols, avant de se retrouver dans les rivières et se rejeter en mer, et contribue, elle aussi, à la pollution marine. C’est particulièrement flagrant dans la baie de Tôkyô, où l’eau de mer est aussi contaminée qu’à quelques dizaines de kilomètres de la centrale. Des chercheurs ont aussi découvert des points chauds dans des dépressions, où la contamination en césium peut être 5 fois plus élevée que dans les environs immédiats. Les sédiments de l’embouchure de l’Abukuma, située à Miyagi à 70 km de la centrale, y sont plus de deux fois plus contaminés que dans les environs.

Toute la faune des fonds marins se contamine au contact des sédiments. Puis, cela remonte la chaîne alimentaire. Une partie des ressources halieutiques est donc touchée et les pêcheurs n’en peuvent plus d’attendre de pouvoir reprendre leurs activités. Un bar, avec plus de 1 000 Bq de césium par kilogramme, a été pêché en juillet dernier au large d’Ibaraki, province limitrophe, au Sud de Fukushima. C’est plus de 10 fois la limite fixée par les autorités.

Mais à proximité de la centrale, la situation est toute autre : aussi bien l’eau que les sédiments sont contaminés à des niveaux beaucoup plus élevés qu’au large. Les poissons qui vivent dans le port devant la centrale et y sont piégés par les filets mis en place par TEPCo peuvent atteindre des centaines de milliers de becquerels par kilogramme pour le césium. Pour l’ACRO et pour de nombreux experts, c’est le signe que les fuites ne se sont jamais arrêtées, même si les niveaux ne sont pas comparables à ceux d’avril 2011. Des publications scientifiques tentent d’en estimer l’ampleur.

La présence de tritium dans l’eau de mer au pied de la centrale est aussi une preuve indéniable que cela fuit. Le tritium, hydrogène radioactif, ne s’accumule pas dans les sédiments, contrairement au césium, et se disperse rapidement. Il n’est pas apporté par les rivières. La seule origine possible est la centrale. Et les données ne manquent pas.

Mais TEPCo a toujours nié que la centrale de Fukushima daï-ichi continue à fuir en mer et les autorités japonaises ne l’ont pas contredite.

L’eau contaminée, le cauchemar de TEPCo

Au printemps 2011, pour éviter de nouveaux débordements vers la mer, TEPCo a fait mettre en place, dans l’urgence, une station de traitement des eaux contaminées des sous-sols des bâtiments réacteur. Elle ne retire essentiellement qu’une partie du césium et le sel. Cette station a connu de nombreux déboires au début, puis elle a été remplacée par des unités plus durables. L’eau traitée est ensuite réinjectée pour refroidir les réacteurs. TEPCo parle de « circuit fermé ».

L’eau des sous-sols des réacteurs est très contaminée : 5,4 millions de Bq/L pour les deux césiums dans le réacteur n°1 et 53 millions de Bq/L dans le réacteur n°2 (prélèvement du 22 mai 2013). Les niveaux sont similaires dans d’autres bâtiments. A la sortie de l’installation de traitement des eaux, il reste du césium 137, jusqu’à 2 700 Bq/L au niveau de l’unité de désalinisation. Il y a d’autres éléments radioactifs, comme de l’antimoine 125 ou du tritium. La contamination bêta totale y atteint encore presque 100 millions de Bq/L.

Mais la compagnie s’est rapidement aperçue que le compte n’y était pas : 400 m3 d’eau souterraine pénètrent chaque jour dans les sous-sols et viennent se mélanger à l’eau qui s’est contaminée au contact des combustibles qui ne sont plus protégés par une gaine métallique. La compagnie doit donc pomper ces 400 m3 quotidiennement en plus des 300 m3 qu’elle injecte pour refroidir les réacteurs. Ainsi, jours après jours, ces 400 m3 s’accumulent et TEPCo ne sait plus où mettre les cuves de stockage. Elle doit ajouter une cuve de 1 000 m3 tous les deux jours.

Au 7 mai, il y avait 290 000 m3 d’eau contaminée dans 940 cuves, plus environ 94 500 m3 dans les sous-sols. TEPCo veut atteindre une capacité de stockage de 700 000 m3 d’ici 2015, mais ne sait pas encore où elle va mettre les cuves.

A tout cela s’ajoutent les boues de traitement qui constituent des déchets très radioactifs à vie longue sans solution.

Le dernier bilan disponible est ici.

Par manque de place, TEPCo a aussi installé des réservoirs souterrains sous la ligne à haute tension qui empêche d’y mettre des cuves. Mais ils ont rapidement fui et elle a dû les vider. Les capacités de stockage sont tout juste suffisantes. En cas de grave problème sur des cuves, TEPCo n’a pas de solution de secours.

En faillite, la compagnie choisit toujours la solution la moins onéreuse. Cela lui a été fatal avec les réservoirs. Les premières cuves, 337 dont 280 remplies, sont considérées comme “temporaires” car elles ne peuvent être utilisées que pendant 5 ans. TEPCo devra commencer à les remplacer au printemps 2016, si elles tiennent bien comme prévu.

Dans un tel contexte, l’eau contenue dans les sous-sols, les différentes tranchées et galeries souterraines constituent pour la compagnie un stockage gratuit auquel elle ne veut pas toucher. Admettre que cela fuit l’obligerait à pomper et à ajouter des cuves… Pourtant, les nappes phréatiques sont en contact direct avec les sous-sols puisque l’eau y pénètre. Comment penser que les échanges ne se font pas dans les deux sens et que les nappes ne se contaminent pas ?

Des promesses de solution

Pour faire face à la situation, TEPCo a envisagé plusieurs pistes. Elle a fait développer par Toshiba une station de traitement des eaux contaminées beaucoup plus performante que celle utilisée actuellement. Répondant au doux nom de “ALPS”, elle devrait retirer 62 radioéléments, contre deux actuellement (voir le document de présentation). Avec trois lignes pouvant traiter chacune 250 m3 par jour, elle espère enfin pouvoir faire face à la situation. Mais, initialement prévue pour septembre 2012, l’installation n’est toujours pas fonctionnelle. Après quelques mois de test, la corrosion a entraîné des fuites minimes et, en juillet 2013, elle a dû être suspendue. Toujours du pas cher… et un nouveau report de 4 mois. Voir des photos de la corrosion.

Cette station ne retirera pas tout et la contamination en tritium de l’eau traitée, de l’ordre de 1 à 5 millions de becquerels par litre, dépasse les autorisations de rejet fixées à 60 000 Bq/L. TEPCo veut donc diluer l’eau avant de la rejeter en mer… Les autorisations de rejet en tritium sont aussi limitées à 22 térabecquerels par an, ce qui est largement insuffisant. Comment TEPCo et les autorités vont-elles s’y prendre ?

La station ALPS ne retire pas non plus le carbone 14, pourtant présent dans les rejets des installations nucléaires en fonctionnement normal. Va-t-il aussi être entièrement rejeté ? Aucune donnée n’est disponible concernant cet élément difficile à mesurer.

La compagnie a aussi imaginé pomper l’eau souterraine en amont des réacteurs, avant qu’elle soit contaminée, pour la rejeter en mer. Elle espérait ainsi diminuer de 100 m3 par jour la quantité d’eau qui pénètre dans les réacteurs. Toujours cela de pris.

Lors d’un contrôle, TEPCo a mesuré du césium dans cette eau en amont, mais pas plus que ce l’on trouve dans l’eau des rivières. Les pêcheurs se sont opposés au rejet en mer et la situation est bloquée. Ils n’ont pas confiance en TEPCo, ce qui est compréhensible et légitime. D’autant plus que TEPCo s’y est reprise à trois fois avant de sortir un chiffre fiable. Pourquoi ne pas demander à un laboratoire tiers choisi par les coopératives de pêche de faire les contrôles dans les cuves tampon avant rejet en mer ? Que fait le politique à ce propos ? C’est pourtant son rôle. Un tel blocage aggrave les risques pour l’environnement.

Elle aussi commencé à injecter du silicate de sodium, ou verre liquide, dans le sol entre les réacteurs et la mer pour éviter les fuites en mer, pourtant officiellement inexistantes… En forant et en mesurant la contamination de l’eau souterraine, elle a découvert une contamination radioactive plus grave qu’imaginé.

Du déni à la reconnaissance officielle des fuites

Finalement, le 19 juin 2013, TEPCo a annoncé avoir détecté une très forte pollution radioactive dans un puits de forage situé à seulement 27 m du rivage. La contamination de la mer était inchangée. Les prélèvements dataient du 24 mai dernier et l’analyse tritium du 31 mai, mais les résultats n’ont été rendus publics que 3 semaines plus tard. TEPCo reste TEPCo… et explique que la mesure du strontium prend du temps. C’est vrai, mais rien ne l’empêchait de donner les premiers résultats plus tôt.

Dans ce puits, il y avait 1 000 Bq/L de strontium-90, particulièrement radio-toxique, ce qui ne manque pas d’inquiéter. Il y a aussi 500 000 Bq/L de tritium. Les données sont ici en anglais. On trouve aussi du ruthénium, en moindre quantité.

La compagnie a ensuite foré des puits supplémentaires à proximité qui ont montré une contamination systématique de l’eau souterraine entre les réacteurs et la mer. Une surveillance plus serrée de l’eau de mer fait aussi apparaître une contamination en tritium qui monte jusqu’à 3 100 Bq/L. Bref, difficile alors de nier les fuites en mer… mais il faudra encore attendre un mois pour que TEPCo l’admette.

Le 21 juin 2013, TEPCo publie un graphe, où l’on voit que la contamination de l’eau de mer en tritium dans le port dépasse les 100 Bq/L depuis le début de la catastrophe. En 2011, lors de la forte fuite en mer, la contamination était beaucoup plus élevée. On voit aussi une augmentation récente. Cela signifie que les fuites ont toujours existé ! Quant à la dernière mesure en strontium 90 dans l’eau de mer indiquée sur ce même document, elle date de novembre 2012 ! Rien depuis. Cet élément est pourtant très radiotoxique.

Le 27 juin, la NRA, la nouvelle autorité de sûreté nucléaire mise en place en septembre 2012, reconnaît enfin qu’elle suspecte fortement des fuites en mer depuis les réacteurs inondés. Et d’ajouter qu’il est dangereux de supposer que l’eau ne fuit pas.

Mais, il faudra attendre le 22 juillet, lendemain des élections sénatoriales, pour que TEPCo finisse par avouer, du bout des lèvres, qu’il y a bien des fuites en mer. Elle est arrivée à cette conclusion parce que la hauteur d’eau dans les nappes varie avec les marées et les précipitations. Mais rassurez-vous, la pollution reste dans la baie, selon TEPCo, et ne va pas au large ! «Les données sur l’eau de mer ne montrent pas d’augmentation anormale des taux de radioactivité». Il y a juste une pollution marine “normale”… Son document d’analyse, traduit en anglais, est disponible en ligne.

La variation des nappes phréatiques avec la marée prouve qu’il y a bien un contact entre l’eau souterraine contaminée et la mer. Ce fait est connu de TEPCo depuis janvier 2013, mais l’information n’est pas parvenue immédiatement au département environnement…

Le 26 juillet devant le tollé provoqué par son attitude, TEPCo reconnaît une « erreur de communication ». Elle ne voulait pas alarmer le public avec des hypothèses non confirmées… Est-ce bien qu’une erreur de communication ?

TEPCo a fini par reconnaître qu’elle savait qu’il y a des fuites depuis plus de deux ans. Comme les dépêches de la télévision publique japonaise ne restent pas longtemps en ligne, voici une copie d’écran. Le Japon a perdu deux ans sur ce sujet…

Solutions inadaptées 

Pour TEPCo, c’est la galerie souterraine, emplie d’eau contaminée, qui avait fui en avril 2011, qui fuit toujours, car le fond est en gravier. Cela ne vient pas des réacteurs…

L’eau de cette tranchée contient, entre autres, 750 millions de becquerels de césium 134 par litre, 1,6 milliard de becquerels de césium 137 par litre et 8,7 millions de becquerels de tritium par litre. Les résultats sont ici en anglais. Elle fait 5 000 m3. Il y aurait 6 000 m3 dans une autre tranchée voisine liée au réacteur n°3.

TEPCo a donc accéléré les travaux pour finir au plus vite sa barrière souterraine entre les réacteurs et la mer. Les ouvriers travaillaient de nuit, à cause de la chaleur, dans des conditions très difficiles. La compagnie a organisé un voyage de presse pour montrer combien elle réagissait vite et bien… et la barrière est terminée depuis le 9 août. Elle comptait aussi pomper l’eau de la tranchée, d’ici la fin août.

Mais on n’arrête pas un écoulement ! L’eau va contourner la barrière et rejaillir ailleurs. Cela ne fait que déplacer le problème. Pourquoi les autorités laissent faire ? De facto, le niveau de la nappe a commencé à monter (voir page 19 de ce document) et comme la barrière souterraine s’arrête à 1,8 m du niveau du sol, l’eau va passer par dessus. TEPCo l’a finalement reconnu. La pollution souterraine se déplace aussi. La contamination dans un puits, situé à 100 m du bâtiment turbine du réacteur n°2 et à 55 m de la mer, a aussi soudainement augmenté.

Dans le puits 1-5, TEPCo a mesuré 310 Bq/L pour le césium 134 alors qu’il y avait 21 Bq/L la semaine précédente. Pour le césium 137, c’est passé de 44 Bq/L à 650 Bq/L. Quant à la contamination bêta totale, elle est passée de 1 200 Bq/L à 56 000 Bq/L.

TEPCo ne serait-elle pas en train d’aggraver les choses ?

L’autorité de sûreté nucléaire japonaise a ordonné à TEPCo de vider rapidement la tranchée mise en cause. Mais l’eau va revenir. Après la fuite massive en mer d’avril 2011, TEPCo avait déclaré qu’elle allait sceller le passage entre le bâtiment turbine et des galeries souterraines afin de prévenir toute nouvelle fuite. C’est même écrit noir sur blanc dans feuille de route datée du 17 avril 2011. Mais elle n’a rien fait, comme l’a révélé l’Asahi. TEPCo n’a commencé les études qu’après avoir « découvert » les fuites récentes. C’est donc trop tard, et la compagnie met en avant des difficultés techniques pour se justifier.

De fait, l’eau contenue dans cette tranchée est stratifiée : il y a plus de pollution au fond que près de la surface. Pour le césium, qui s’amalgame aux particules fines, cela se comprend, mais pas pour le tritium qui reste liée à la molécule d’eau. Le fait qu’il y ait moins de tritium dans la partie haute, peut s’expliquer par le fait que l’eau y circule, contrairement à la partie la plus profonde. Ce qui signifierait que pomper, ne servirait à pas grand chose… « Il vaut mieux pomper même s’il ne se passe rien que de risquer qu’il se passe quelque chose de pire en ne pompant pas », disent les shadoks.

Un problème sans fin

Lors de la première réunion entre TEPCo et le groupe de travail ad-hoc mis en place par les autorités à propos des fuites en mer, la compagnie a dit que la quantité totale de tritium rejeté depuis mai 2011 est comprise entre 20 et 40 térabecquerels. Il est difficile d’évaluer une fuite souterraine et ce chiffre est peut-être farfelu. Cela lui permet d’affirmer qu’elle n’a pas dépassé son autorisation de rejet fixée à 22 térabecquerels par an pour le tritium.

C’est aussi beaucoup moins que ce qui est prévu pour l’usine de “retraitement” de Rokkashô si elle est mise en service un jour. Mais c’est 10 à 100 fois plus qu’une centrale nucléaire en fonctionnement normal.

Le 22 août, TEPCo a aussi fini par donner l’évaluation pour d’autres radioélements rejetés en mer depuis mai 2011 : 3 à 10 térabecquerels de strontium (3 000 à 10 000 milliards de becquerels) et de 4 à 20 térabecquerels de césium 137. C’est beaucoup plus que l’autorisation de rejet en mer fixée à 220 Gbq (220 milliards). Ce calcul est basé sur la contamination de la baie et l’hypothèse que le flux était continu.

Le gouvernement japonais, quant à lui, a estimé, à la louche, que 300 m3 d’eau contaminée fuient quotidiennement vers l’océan. Pour cela, il part du fait que 1 000 m3 d’eau souterraine transitent quotidiennement sous la centrale. On sait que 400 m3 pénètrent dans les sous-sols des réacteurs et sont pompés par TEPCo, qui voit son stock augmenter jour après jour. Sur les 600 m3 restant, l’Agency for Natural Resources and Energy, du ministère de l’économie, estime que la moitié de cette eau devrait aller dans la mer sans être contaminée et que l’autre moitié est contaminée. Les autorités reconnaissent ainsi que la galerie du réacteur n°2 n’est pas la seule en cause et que les fuites peuvent venir de partout ! Un ministre a aussi déclaré que l’on ne pouvait pas exclure que les fuites en mer aient commencé dès les premiers jours de l’accident. Effectivement.

Pour faire face à la crise provoquée par la révélation de ces fuites, le gouvernement va financer la mise en place d’une autre solution et le ministre prétend que la fuite d’eau radioactive en mer passera à 60 m3/j environ et qu’il ne sera pas possible de faire mieux. Le projet retenu, dont il avait déjà été question en mai 2013, est de geler le sol tout autour des quatre réacteurs accidentés pour empêcher l’eau d’entrer et de sortir. Il s’agit d’une technologie onéreuse, qui est utilisée temporairement pour creuser des tunnels de métro par exemple. Qu’en est-il à long terme sur une longueur de 1,4 km et une profondeur de 30 m ? Quelle énergie cela va consommer ? Evidemment, certaines compagnies se frottent déjà les mains… L’idée a été proposée par Kajima, une des majors du BTP, qui estime le projet à 30 à 40 milliards de yens (300 millions d’euros). Le gouvernement veut montrer qu’il agit et fait des annonces suite à une crise. L’autorité de sûreté, quant à elle, attend de voir. C’est la première fois depuis le début de la catastrophe que le gouvernement s’engage et engage l’argent public ainsi.

Fuite sur une cuve classée au niveau 3 de l’échelle INES

(ajouté le 8 septembre 2013)

Le 19 août 2013,  TEPCo a trouvé, lors d’une patrouille, qu’une des cuves provisoires fuyait.  Il y avait 120 litres d’eau  fortement contaminée au pied.

TEPCo a mis en ligne les premiers résultats de mesure : en plus du césium à 146 000 Bq/L dans l’eau de la flaque près de la cuve, il y a du cobalt 60 (1 200 Bq/L), du manganèse 54 (1 900 Bq/L) et de l’antimoine 125 (71 000 Bq/L) pour les émetteurs gamma. Il y a aussi du tritium et strontium qui n’ont pas encore été mesurés, mais la contamination bêta totale (hors tritium) est de 80 millions de becquerels par litre. Cette avait déjà été partiellement “décontaminée”, c’est à dire qu’une grande partie du césium avait été retiré par le système SARRY.

Et quand elle a vidée la cuve, il manquait 300 m3, soit 300 000 litres qui se sont échappés dans la nappe phréatique et en mer. TEPCo a foré un puits à proximité et découvert une contamination de la nappe phréatique, ainsi que tout le long d’un drainage qui conduit à la mer. Les cuves sont pourtant entourées d’un muret qui sert de digue pour empêcher l’eau qui pourrait fuir de contaminer l’environnement. Mais comme l’eau de pluie s’y accumule et pourrait corroder le bas des cuves, les vannes sont laissées ouvertes pour permettre les écoulements…

TEPCo n’a pas publié la composition précise de l’eau de la cuve qui a fui. On sait juste que le césium avait été partiellement retiré par la station de traitement des eaux SARRY. La contamination bêta totale est de 80 millions de becquerels par litre (hors tritium). Les 300 m3 représentent tout de même 24 térabecquerels ! La NRA a officiellement classé la fuite sur l’échelle internationale INES après avoir reçu un feu vert de l’AIEA au niveau 3 qui correspond à un “incident grave”. Les autres incidents n’ont jamais été classés. La NRA va-t-elle désormais tout classer pour améliorer sa communication ou n’utiliser l’échelle qu’au cas par cas, quand elle l’estime utile ?

Lors du pompage, 10 m3 auraient fui en un jour, ce qui laisse supposer que la fuite a duré 30 jours environ… et qu’il a donc fallu un mois à TEPCo pour la découvrir ! Une dizaine de jours plus tard, un représentant de TEPCo a confirmé à la NRA, lors d’une réunion, que la fuite de la cuve avait déjà probablement commencé en juillet 2013. Il est arrivé à cette conclusion en regardant les doses enregistrées par les travailleurs qui passent 2,5 heures par jour dans une station relais radio située à 20 m du lieu de la fuite. Ces doses ont commencé à augmenter à la mi-juillet et la compagnie va analyser les données plus anciennes. Cette observation n’a, semble-t-il, pas mené TEPCo à rechercher la cause afin de diminuer les doses prises par les intervenants sur son site !

Comment une fuite d’une telle ampleur a pu durer un mois sans être découverte ? Cette affaire a permis de découvrir que TEPCo menait deux inspections par jour. Deux personnes faisaient chacune une ronde de 2 à 3 heures et avaient 450 cuves à contrôler. L’inspection était donc essentiellement visuelle avec de nombreux angles morts. Quelques mesures de la radioactivité étaient faites rapidement, mais pas consignées. Comment détecter un changement notable dans de telles conditions ? Comment faire la différence entre de l’eau de pluie et une fuite ?

Il n’y avait pas de jauge non plus et TEPCo ne peut même pas garantir que la cuve était bien pleine. En fait, plusieurs cuves sont reliées entre-elles au moment du remplissage. C’est le cas des cuves 5, 7, 8, 9 et 10 de la zone et la jauge est dans la cuve n°7. TEPCo a arrêté d’y injecter de l’eau contaminée quand la cuve n°7 était pleine et ne sait rien pour les autres, dont la n°5 qui a fui.

TEPCo a révélé fin août que la cuve qui a fui avait d’abord été installée sur un sol instable et que la dalle qui la supportait s’était fissurée et enfoncée de 20 cm lors d’un test, en juillet 2011. Cela aurait pu endommager la cuve et provoquer la fuite. La compagnie affirme que la cuve a été correctement démontée et remontée en septembre 2011 et qu’aucun problème n’avait été détecté. Elle a été à nouveau remplie en octobre 2011. TEPCo va vider les deux autres cuves provisoires qui ont aussi été déménagées après s’être aussi enfoncées dans le sol, même si aucune fuite n’y a été détectée. Toujours les économies de bout de chandelle sans se soucier du contenu excessivement dangereux.

TEPCo a depuis renforcé ses contrôles avec 4 rondes par jour et 96 inspecteurs impliqués. Ils ont découvert des débits de dose anormalement élevés et une autre fuite : le tuyau entre deux cuves gouttait. Ces anomalies n’avaient pas été vues car les précédents appareils de mesure saturaient à 100 mSv/h. C’est monté à 2 200 mSv/h à proximité d’une cuve !

Il y a 220 000 m3 d’eau contaminée dans des cuves provisoires similaires à celle qui a fui. L’étanchéité des cuves provisoires, en caoutchouc, n’a une durée de vie que de 5 ans. Elle pourrait vieillir plus vite sous l’effet des radiations. TEPCo ne peut pas les vider rapidement car elle n’a pas de solution de rechange pour l’eau. Elle va donc installer des jauges d’ici la fin novembre. Le niveau de l’eau pourra ainsi être contrôlé à distance et une alarme va sonner en cas de baisse. Actuellement, seulement 55 cuves provisoires sur 337 sont équipées de jauges qui ne peuvent pas être contrôlées à distance.

L’AFP souligne que TEPCo ne veut pas donner le nom du fabricant des cuves, mais que les médias l’ont trouvé : Tokyo Kizai Kogyo. Cette compagnie se retranche derrière les clauses de confidentialité pour refuser de répondre aux questions. Impossible d’avoir des détails sur les cuves, leur tenue à la corrosion, aux secousses etc etc… Il n’y a plus qu’à croiser les doigts pour que ces cuves tiennent le temps de leur remplacement.

Autant le problème de l’eau souterraine qui s’infiltre dans les sous-sols est complexe. Ils n’ont pas été conçus pour être transformés en piscine. Aussi bien le séisme que les explosions hydrogène ont dû les fissurer. La fuite de cette cuve, classée au niveau 3 de l’échelle INES, est un véritable scandale : elle aurait pu être évitée si TEPCo n’était pas aussi négligente avec la sûreté.

Conclusion

Peut-on conclure ? Le fait que la centrale fuit en mer est une évidence depuis longtemps. TEPCo a refusé de voir l’évidence car elle n’a pas de solution et ses finances sont à sec. Ce stockage souterrain dans les galeries, tranchées etc est bien pratique car il permet de faire des économies de cuves. Alors, pas vu, pas pris. Quand l’ampleur des fuites a changé, TEPCo a dû se résigner à admettre les faits. Mais c’est trop tard pour agir, elle aurait dû le faire avant.

Si l’on avait dit honnêtement aux pêcheurs qu’il y a 300 m3 d’eau radioactive qui s’écoulent dans l’océan et qu’en pompant 100 m3 par jour en amont de la centrale on espère pouvoir diminuer ces fuites, ils auraient accepté. Là encore, quelle perte de temps ! Cette pollution va venir s’ajouter aux rejets passés, retardant d’autant tout espoir de voir renaître les activités marines.

En reconnaissant officiellement les fuites, le gouvernement prépare aussi l’opinion à la suite : des rejets en mer contrôlés, qualifiés d’inévitables par l’autorité de sûreté nucléaire japonaise, qui viendront s’ajouter aux fuites.

Un collectif d’ONG et d’élus a demandé aux autorités de consacrer plus de moyens humains au problème des fuites, quitte à retarder l’instruction des dossiers de demande de redémarrage de quelques réacteurs nucléaires. Actuellement, d’après le Japan Times, 80 employés de la NRA travaillent sur les dossiers de sûreté des réacteurs et 42 sur la crise à Fukushima.

TEPCo qui, par le passé, n’avait pas hésité à falsifier des rapports de sûreté, reste TEPCo. Ces explications sur ses erreurs de communication ne sont pas recevables. Quand de la vapeur d’eau s’échappant du réacteur n°3 a été récemment découverte, TEPCo a immédiatement dit que c’était la pluie. Elle n’a pas attendu d’être sûre d’elle. Or ce n’était pas la pluie… Elle a reconnu par la suite qu’elle injecte 16 m3/h d’azote et qu’elle n’en récupère que 13 m3/h. Les 3 m3/h restant s’échappent par elle ne sait où. Et ces gaz sont radioactifs. (Voir page 11 de ce document en japonais).

Le rejet atmosphérique pour les trois réacteurs est de l’ordre de 10 millions de Bq/h (10 MBq/h). C’est ici en japonais. Il doit ne s’agir que du césium. Si l’on multiplie 24 h et 365 j, on arrive à presque 88 milliards de Bq/an (88 GBq/an). C’est beaucoup plus que les rejets aériens d’une centrale nucléaire en fonctionnement normal et même que les rejets aériens en césium de l’usine de retraitement de La Hague. Les graphes montrent que ces rejets sont stables depuis un an. TEPCo évalue l’impact sanitaire à la bordure du site à 0,03 mSv/an. Il n’est pas dit comment ils ont fait le calcul. C’est moins que ce qui dû à la contamination des sols au même endroit, mais ce serait jamais accepté pour une centrale en fonctionnement normal.

Le pire est peut-être devant nous. En cas de grave problème dans le stockage de l’eau contaminée, suite à un séisme par exemple, ce sera une nouvelle fuite majeure. La situation à la centrale reste très fragile : on se souvient qu’un rat a fait disjoncter 9 installations.

Mais TEPCo reste optimiste. Elle a publié une nouvelle version de sa feuille de route qui prévoit le retrait du corium (combustible fondu) à partir de 2020 pour les réacteurs 1 et 2, et 2021 pour le 3. C’est 18 mois plus tôt que pour la précédente feuille de route. On ne sait pas encore quel jour…