Nouveaux jalons dans la sécurisation des réacteurs

TEPCo annonce avoir réussi à retirer des derniers blocs de béton qui obstruaient l’accès des robots à l’enceinte de confinement du réacteur n°2. Comme ils étaient fixés dans le sol, il n’a pas été possible de le retirer avec des engins télécommandés. Ce sont donc des travailleurs qui ont conduit les engins sur place, après avoir installé des panneaux pour atténuer le rayonnement. (Voir le schéma et les photos mis en ligne par TEPCo). Le débit de dose ambiant était tout de même de l’ordre de 4 à 6 mSv/h. C’est beaucoup quand on sait que la limite moyenne à ne pas dépasser est de 20 mSv par an pour les travailleurs. La plus forte dose prise lors de ces opérations serait de 2,5 mSv.

La compagnie doit encore décontaminer les lieux et trouver un moyen de faire baisser le débit de dose. Il y en a pour plusieurs mois.

Du côté du réacteur n°1, TEPCo annonce avoir terminé de retirer le toit. Elle a mis des photos en ligne. Elle avait commencé en juillet dernier à retirer les 6 panneaux qui formaient la canopée. Il lui a fallu tant de temps à cause du scandale des poussières radioactives lors du déblaiement du haut du réacteur n°3. (Voir notre synthèse de mars 2015 à ce propos). La compagnie va retirer quelques débris qui gène les opérations d’aspersion d’agent fixant les poussières, puis les panneaux latéraux. Le retrait des débris en vue d’accéder aux combustibles de la piscine ne devrait pas commencer avant la mi-2016.

Le riz de Fukushima continuera à être contrôlé systématiquement

Depuis 2012, les autorités régionales de Fukushima contrôlent chaque sac de riz de 30 kg produit dans la région et destiné au marché. Pour cela, elles ont acheté 202 chaînes de mesure dédiées pour un coût total de 4 milliards de yens (30 millions d’euros) environ. Les dépenses de fonctionnement, quant à elles, s’élèvent à 5 milliards de yens (37 millions d’euros) par an en comptant les salaires. Plus de 10 millions de sacs de riz sont contrôlés par an. Comme la confiance des consommateurs n’est pas revenue, ce contrôle systématique se poursuit pour la moisson 2015, même si la situation s’améliore.

En 2012, 71 sacs avaient dépassé la limite de mise sur le marché fixée à 100 Bq/kg. C’était 28 en 2013 et 2 en 2014. Dans ce dernier cas, les deux sacs n’étaient pas destinés au marché mais à l’auto-consommation. Il y a encore de nombreuses rizières où la culture n’a pas repris. C’est le cas, en particulier, des zones évacuées. Les quelques expériences menées ont pour seul but de tester les niveaux de contamination résiduelle.

A Naraha, où l’ordre d’évacuer a été levé le mois dernier, la moisson du riz planté à titre expérimentale a eu lieu devant les médias, avec le maire et la mascotte du village. Si les résultats s’avéraient bons, la culture du riz pourrait reprendre. Cependant, seulement 6% des agriculteurs qui produisaient du riz avant 2011 comptent en planter en 2016.

 

La contamination de l’eau à la centrale en septembre 2015

Les mois passent et se ressemblent : toujours les mêmes problèmes avec l’eau contaminée.

En amont des réacteurs, mais en aval des cuves de stockage, la contamination en tritium de l’eau pompée pour être rejetée en mer a encore battu quelques records. Dans le puits n°9, elle est montée à 330 Bq/L le 10 septembre, puis 340 Bq/L le 17 septembre. C’est moins que la limite de rejet que TEPCo s’est fixée à 1 500 Bq/L. En revanche, dans le puits voisin n°10, la contamination a tritium a aussi battu des records avec 2 100 Bq/L le 21 septembre, puis 2 300 Bq/L le 28 septembre. TEPCo compte sur la dilution pour que le rejet respecte les règles.

Au pied des cuves de la zone G, la contamination en tritium de la nappe phréatique a aussi battu un record avec 9 800 Bq/L le 17 septembre, dans le puits G2. Le lendemain, c’est le puits voisin qui bat son propre record, avec 3 600 Bq/L, puis 4 400 Bq/L le 19 septembre. Puis, une série de records successifs sont battus dans le puits G2, avec 10 000 Bq/L le 21 septembre, 17 000 Bq/L le 24 septembre, 19 000 Bq/L le 26 septembre et 20 000 Bq/L le 27 septembre.

Au pied des réacteurs, la contamination de l’eau souterraine peut être beaucoup plus élevée. De nombreux records sont régulièrement battus. Le puits de contrôle n°1 mérite l’attention. Le 3 août, la contamination en strontium-90 bat un record à 2 800 Bq/L. Ce même, jour, il y aurait 2 600 Bq/L en bêta total, alors que le strontium est un émetteur bêta. Cela ne perturbe pas TEPCo d’afficher des résultats aberrants. Dans le puits voisin, TEPCo annonce 520 000 Bq/L pour le strontium-90, 33 900 Bq/L en césium et… 500 000 Bq/L en bêta total. Il y a d’autres cas suspects. La compagnie comprend-elle ce qu’elle publie ou se contente-t-elle d’être “transparente” pour lutter contre les “rumeurs néfastes” ?

La contamination bêta totale affichée pour le puits n°1 continue de monter : le 31 août, c’est 3 800 Bq/L, puis 3 900 Bq/L le 7 septembre et 4 700 Bq/L le 10 septembre. Le 14 septembre, on arrive à 6 000 Bq/L et 6 100 Bq/L le 17, 6 800 Bq/L le 21 septembre. Il finit le mois, le 28, à 7 300 Bq/L.

L’eau de pluie peut aussi être chargée en tritium : 320 Bq/L dans les cuves. L’eau qui s’écoule en surface, depuis les cuves de la zone H4, où il y a eu une fuite par le passé, a battu deux records successifs de la contamination bêta total : 150 Bq/L le 10 septembre et 280 Bq/L le 12 septembre. Elle finit dans le port, comme les eaux souterraines.

Dans le port, le long du rivage, il y a eu plusieurs records de battu allant jusqu’à 152 Bq/L pour le césium le 7 septembre.

A l’embouchure du port, la contamination en césium de l’eau de mer a connu quelques soubresauts. Elle a dépassé 3 Bq/L le 8 septembre, alors qu’elle est généralement inférieure au Bq/L. Les mesures ont été interrompues pendant quelques jours suite aux intempéries. Il y a eu un autre pic le 18 septembre avec plus de 4 Bq/L suivi par un plateau à environ 3 Bq/L et une nouvelle interruption. Puis, la contamination reste relativement élevée plus de 2 Bq/L jusqu’à la fin du mois. La pollution radioactive n’est donc pas piégée dans le port comme le prétend l’exploitant.

Enfin, les poissons pêchés dans le port continuent à être fortement contaminés : de 93 à 1 390 Bq/kg. Au large, à moins de 20 km de la centrale, la situation s’améliore : aucun poisson ne dépasse la limite de mise sur le marché, fixée à 100 Bq/kg. La valeur la plus élevée est de 53 Bq/kg. TEPCo donne aussi 5 résultats de la contamination en strontium-90 de poissons pêchés au large. Elle est beaucoup plus faible que celle en césium.

Toutes les données du mois de septembre sont ici en ligne.

TEPCo va augmenter ses capacités de stockage de l’eau contaminée

TEPCo a une capacité de stockage de 950 000 m3 pour l’eau contaminée ou partiellement décontaminée, mais cela pourrait ne pas suffire car il y a déjà 700 000 m3 d’utilisés. Il y a toujours 300 m3 par jour d’eau souterraine qui pénètrent dans les sous-sols des réacteurs accidentés où ils se mélangent à l’eau de refroidissement fortement contaminée. Le stock continue donc à croître à un rythme que TEPCo n’arrive pas à juguler. Le mur gelé mis en place en amont tarde à être efficace. La compagnie se voit donc contrainte à ajouter 20 cuves d’une capacité de 700 m3 chacune avant la fin de l’année fiscale, qui se termine en mars 2016.

Il faut voir cette annonce comme un aveu d’échec pour le mur gelé. Quant au pompage de l’eau souterraine au pied des réacteurs, pour la rejeter en mer après décontamination, il est encore trop tôt pour en mesurer l’effet.

Des milliers de pages de documents internes à la NRA et des vidéos ont fui

L’Agence de Régulation Nucléaire, la NRA, ne sait pas comment ces documents ont fui. 58 volumes, soit un total de 3 800 pages, et 60 heures de vidéo ont été reconnus comme authentiques par l’Agence. Il s’agit de documents utilisés pour la formation interne.

Ce ne serait pas la première fois que des documents internes fuient. En mars dernier, une cinquantaine de pages dédiées à l’usine de “retraitement” de Rokkashô se sont retrouvés en ligne. L’origine de la fuite avait alors pu être découverte : la compagnie en charge de la traduction en anglais avait sous-traité le travail… Cette fois-ci, cette compagnie assure n’y être pour rien.

Kyûshû Electric veut redémarrer un deuxième réacteur à partir du 15 octobre

La compagnie Kyûshû Electric veut débuter les opérations de redémarrage du réacteur n°2 de sa centrale de Sendaï à Kagoshima à partir du 15 octobre prochain. Il devrait commencer à alimenter le réseau électrique un mois plus tard, si tout va comme prévu.

Un exercice de crise de quatre jours est en cours depuis le 1er octobre, mais il est uniquement interne à l’installation. Il n’est toujours pas prévu d’évaluer les plans d’urgence externes qui concernent les populations environnantes.

Ce réacteur est déjà chargé en combustible, depuis la fin septembre. Le réacteur n°1 de cette même centrale produit de l’électricité qui est injectée sur le réseau depuis le 10 septembre dernier. Il ne devrait pas y avoir d’autre redémarrage de réacteur avant plusieurs mois.

Le Citizens’ Nuclear Information Center fête ses quarante ans

Citizens’ Nuclear Information Center (CNIC), une des principales organisations anti-nucléaires au Japon, fête ses quarante ans cet automne. Il effectue un important travail de décryptage et de contre-expertise et d’information. Il édite une lettre d’information en anglais et forme aussi des militants dans une démarche de sciences citoyennes.

Le niveau de stress des mères de famille de Fukushima ne baisse plus

Le Centre d’Etudes Phychologiques Post-Catastrophe de l’Université de Fukushima évalue le niveau de stress des enfants et mères de famille de Fukushima. Pour cela, il utilise un indicateur qui varie de 0 à 3. Loin de Fukushima, dans les provinces de Hyôgo et de Kagoshima, le niveau moyen est de 1,06 à 1,08 pour les mères. 35% des personnes qui ont répondu à l’enquête s’y sont déclarés déprimées.

A Fukushima, le niveau moyen de stress des mères est beaucoup plus élevé : il est de 1,36 à 1,39, comme en 2014. En 2011, il était de 1,63. C’est 1,48 à Sôma et 1,29 à Iwaki. Et c’est chez les mères évacuées qu’il est le plus élevé, avec un niveau moyen de 1,85. En plus de la radioactivité, il y a les conditions de vie plus difficiles et les incertitudes face à l’avenir. Voir les témoignages récemment publiés. 67% des personnes évacuées à cause de la catastrophe nucléaire se disent déprimées. C’est 45% dans la ville de Fukushima.

Dans le sud de Miyagi, particulièrement touché par les retombées radioactives, le niveau de stress des mères varie de 1,40 à 1,42, comme à Fukushima.

Le Centre a entamé un programme “anti-stress” pour aider ces mères qui consiste en des réunions en petits groupes avec des experts pour échanger.

Du côté des enfants, le niveau moyen de stress est de 0,66 à 0,75 dans la ville de Fukushima, en fonction de la classe d’âge. Il monte jusqu’à 1,06 chez les enfants évacués et est de 0,42 à 0,44 loin de la catastrophe.

L’Organisation Internationale pour les Migrations se penche sur les déplacés de la catastrophe nucléaire au Japon

Le dernier numéro des Policy Brief Series de l’Organisation Internationale pour les Migrations se penche sur les déplacés de la catastrophe nucléaire au Japon (rapport au format pdf). Le rapport, rédigé par Reiko Hasegawa, qui est déjà l’auteur de l’étude DEVAST, critique la politique gouvernementale japonaise et fait une série de recommandations.

Le rapport insiste sur la distinction qui est faite entre les déplacés qui ont reçu un ordre de partir et les déplacés “volontaires” qui ne bénéficient pas des mêmes droits. Pour ces derniers, il n’y a même pas de statistiques officielles. Il a été souvent question de ce problème sur ce blog.

Le rapport explique aussi que le gouvernement japonais ne fait pas référence aux textes internationaux de l’ONU relatifs aux déplacés intérieurs, qui leur garantiraient des droits. Par ailleurs, les déplacés du tsunami et du séisme sont pris en charge par l’Agence de reconstruction, et ceux de la catastrophe nucléaire, par le ministère de l’industrie. Ce dernier est toujours présent derrière l’Agence de reconstruction.

La “concertation” avec les populations sur l’avenir des territoires évacués, et la politique du retour, la seule envisagée par les autorités, se limite à des “réunions d’explication” (setsumeikai) à huis clos. Pas de médiateur ou d’expert indépendant. Les déplacés sont donc démunis face aux officiels gouvernementaux qui peuvent imposer leurs vues.

Le rapport fait une série de recommandations :

  • reconnaître aux évacués, le statut de personnes déplacées en interne au pays afin qu’ils bénéficient des garanties internationales à ce sujet ;
  • proposer le retour ou la réinstallation sur un pied d’égalité ;
  • permettre à des médiateurs et des experts indépendants des autorités de participer à la concertation ;
  • reconnaître les déplacés “volontaires” comme réfugiés nucléaire ;
  • admettre qu’il y a des controverses scientifiques à propos des faibles doses.

Par ailleurs, une fédération d’associations du barreau a, lors de son colloque national dédié aux droits humains, demandé au gouvernement de mieux protéger la santé des personnes déplacées. Elle réclame un suivi médical, un soutien psychologique et une aide au logement pour ceux qui ne souhaitent pas renter, mais ont toujours une maison à rembourser.

Le problème du plutonium au Japon

Le Japon veut absolument avoir une industrie plutonium, malgré les nombreux déboires accumulés. Son usine d’extraction du plutonium, dite de “retraitement”, à Rokkashô-mura (Aomori) n’a jamais pu démarrer. Après plus d’une vingtaine de reports, le gouvernement n’abandonne pas. Son surgénérateur, Monju à Fukui, n’a même pas pu fonctionner une année complète depuis sa mise en service en 1994. Il devrait créer plus de plutonium qu’il n’en consomme. Il devrait surtout permettre d’avoir du plutonium de qualité militaire.

Mais l’Agence de régulation nucléaire, la NRA, a suspendu tous les tests à Monju à cause de graves violations des règles du sûreté. Malgré cela, de nouveaux problèmes sont découverts à chaque inspection et la NRA a du mal à évaluer la sûreté du réacteur à cause du manque de rigueur dans la gestion des données. Lors d’une réunion qui a eu lieu le 30 septembre dernier, des commissaires de l’agence ont même expliqué que plus personne ne pouvait faire confiance à “l’exploitant”, la Japan Atomic Energy Agency. La situation est qualifiée de sérieuse par le président de la NRA. La suspension de toute opération est maintenue.

L’exploitant a répondu prendre au sérieux les exigences de la NRA et s’est engagé à améliorer ses procédures en mettant la priorité sur la sûreté. De la belle langue de bois, car les problèmes perdurent. Ce réacteur, sans avenir, et beaucoup plus dangereux qu’un réacteur classique, devrait être arrêté définitivement.

Malgré ces problèmes techniques, le gouvernement veut son plutonium, alors il s’acharne, quitte à renforcer les risques de prolifération. La fondation Carnegie Endowment for International Peace vient de publier un rapport (au format pdf) sur le plutonium au Japon dans lequel elle demande explicitement au pays de respecter son engagement à limiter sa production à ce qui peut être utiliser dans les réacteurs nucléaires. Et comme il n’y en a qu’un seul en fonctionnement, avec du combustible classique, il n’y a pas lieu d’extraire du plutonium actuellement. Mais comme les piscines de combustible usé sont proches de la saturation et que le gouvernement s’est engagé à faire tourner l’usine d’extraction, un tel engagement n’est pas tenable en interne. L’exploitant, qui doit rembourser ses emprunts, espère toujours pouvoir démarrer son usine et l’exploiter au maximum de ses capacités. Arrêter le “retraitement” aurait un impact énorme auprès des autorités locales d’Aomori et sur les finances publiques. Comment gérer ces contradictions ? Le gouvernement japonais est muet sur ces questions et cela inquiète ses voisins.

Ce rapport a été repéré par Enerwebwatch.