L’impact sanitaire de la catastrophe de Fukushima

Article écrit pour Les cahiers de Global Chance n°37, juin 2015

Les promoteurs de l’énergie nucléaire mettent souvent en avant que la catastrophe de Fukushima n’a tué personne. Les plus scrupuleux, précisent que personne n’est décédé directement à cause des radiations. Mais plus de 100 000 personnes ont tout perdu à cause de ces radiations : lieu de vie, travail, lien social… L’évacuation d’urgence a aussi provoqué des décès directs et indirects. Les conditions de vie des réfugiés sont difficiles et les familles qui vivent en territoire contaminé se font beaucoup de soucis.

Selon le rapport d’enquête parlementaire sur l’accident nucléaire au Japon, il y avait 850 patients dans les 7 hôpitaux et cliniques situés dans un rayon de 20 km autour de la centrale de Fukushima daï-ichi, dont 400 sérieusement malades avec un besoin de soins réguliers ou alités (Voir The National Diet of Japan, The official report of The Fukushima Nuclear Accident Independent Investigation Commission, 2012). Tous ont été évacués en urgence. A l’hôpital de Futaba cela a été particulièrement dramatique.

Les victimes de l’évacuation

La commission d’enquête parlementaire explique que « de nombreux habitants dans les environs de l’usine ont reçu l’ordre d’évacuer sans pour autant recevoir d’information précise. Ignorant la gravité de l’accident, ils pensaient devoir s’éloigner pendant quelques jours seulement et ne sont donc partis qu’avec le strict nécessaire. Les ordres d’évacuation ont été maintes fois révisés, les zones d’évacuation ont ainsi été élargies, à l’origine d’un rayon de 3 km, puis à 10 km et plus tard, à 20 km, en 24 heures. Chaque fois que la zone d’évacuation s’élargissait, les résidents étaient invités à déménager à nouveau. Certaines personnes évacuées ne savaient pas qu’elles avaient été déplacées vers des sites avec des niveaux élevés de radiations. Les hôpitaux et les maisons de soins situés dans la zone des 20 km ont eu beaucoup de difficultés pour assurer le transport des malades et pour trouver un accueil ; 60 patients sont morts en mars, du fait de complications liées à l’évacuation. »

Les hôpitaux et maisons de retraite situés à moins de 20 km de la centrale de Fukushima daï-ichi ont dû improviser pour évacuer leurs patients et pensionnaires. Le personnel ne savait pas qu’il en avait la charge en cas d’accident nucléaire, surtout quand la structure était éloignée de la centrale. Une évacuation jusqu’à 20 km n’avait jamais été envisagée. Un seul hôpital avait un plan qui s’est révélé être inutile car irréaliste. Pour quatre centres, l’évacuation a été beaucoup plus tardive que celle des habitants des environs. Le personnel médical a rapidement manqué. Les premiers décès sont liés à l’utilisation de moyens de transport inappropriés : des bus sont venus chercher les patients pour un trajet qui a duré des heures. Dans le cas de l’hôpital de Futaba, le trajet faisait 230 km et a duré plus de 10 heures. Et les centres d’accueil n’étaient pas équipés pour accueillir des réfugiés ayant besoin de soins lourds.

Une fois dans les centres d’accueil d’urgence, les personnes les plus fragiles ont vu leurs conditions se détériorer. Une étude (Nomura S, Gilmour S, Tsubokura M, Yoneoka D, Sugimoto A, et al. (2013) Mortality Risk amongst Nursing Home Residents Evacuated after the Fukushima Nuclear Accident: A Retrospective Cohort Study. PLoS ONE 8(3): e60192) a examiné les risques de mortalité liés à l’évacuation des personnes âgées de cinq maisons de retraite de la ville de Minami-Sôma dans la préfecture de Fukushima. Le taux de mortalité était 2,7 fois plus élevé après l’accident qu’avant. Cette étude, menée sur 328 personnes âgées, qui résidaient dans 5 maisons de retraite à Minami-Sôma et qui ont toutes été évacuées, parfois à plus de 200 à 300 km en bus, a montré que 75 d’entre elles sont décédées en moins d’un an, ce qui est plus élevé que la normale, calculée sur les 5 années précédentes. Il y a aussi disparité entre les maisons de retraite : trois ont évacué rapidement leurs résidents, dès le début de la catastrophe, sans l’aide du gouvernement, et l’accueil s’est fait dans de mauvaises conditions. Les soins n’étaient pas toujours disponibles à l’arrivée. Les deux autres ont attendu deux semaines avant d’évacuer les résidents dans de meilleures conditions et avec une mortalité moindre. L’évacuation rapide a entraîné une augmentation d’un facteur 4 à 5 du nombre de décès.

L’université médicale de Fukushima ( Asahi, Death rates spike among elderly evacuees from Fukushima, January 11, 2013) est arrivée à des conclusions similaires : il y a eu 2,4 fois plus de décès chez les personnes âgées lors des 8 mois qui ont suivi la triple catastrophe que durant la même période en 2010. Le pic de décès était en avril-mai 2011, avec un facteur 3. Ces statistiques ont été obtenues à partir des rapports transmis par 34 institutions d’accueil pour personnes âgées situées dans la zone d’évacuation de 20 km autour de la centrale de Fukushima daï-ichi. Sur les 1 770 pensionnaires, 295 sont décédés avant la fin octobre 2011. 32 autres ont été tués par le tsunami. A titre de comparaison, il y a eu 109 décès durant la même période en 2010. 40% des décès enregistrés sont dus à une pneumonie, alors que cette maladie est généralement responsable du décès de 10% des personnes âgées de plus de 65 ans. Ce sont donc les conditions d’accueil dans les centres d’hébergement de secours qui sont mises en cause.

Au final, à la date du 4 mars 2015, il y a officiellement 1 867 décès liés directement ou indirectement à l’évacuation de Fukushima pour lesquels les familles ont reçu une indemnisation financière. Ce chiffre inclut les décès directs déjà mentionnés, ceux liés au manque de soins, les suicides… C’est plus que les 1 603 décès directs liés aux séismes et tsunami à Fukushima. Sur l’ensemble du Japon, les séisme et tsunami ont entraîné 18 475 décès directs et disparitions. A titre de comparaison, le nombre de décès post-catastrophe est de 450 dans la province d’Iwaté et de 909 dans celle de Miyagi, qui sont, avec Fukushima, les trois provinces les plus touchées par le tsunami. Certaines familles se sont vues refuser ce statut de décès post-catastrophe et ont fait appel. Le journal local, le Fukushima Minpo, a recensé 46 demandes de réévaluation du dossier. Il n’y a pas de règles claires pour trancher.

Une contamination durable de l’environnement

L’accident du 11 mars 2011 a contaminé de vastes territoires pour des décennies. Il a fallu un mois aux autorités pour admettre qu’il s’agissait d’un accident de niveau 7 sur l’échelle INES et deux mois à TEPCo pour admettre que c’était dû à la fusion complète de trois cœurs nucléaires. Selon les estimations, la quantité de césium rejeté dans l’atmosphère varie entre 10 et 40% de ce qui a été émis lors de l’accident de Tchernobyl. En revanche, 80% est allé vers l’océan. Les autorités ont ordonné l’évacuation de toute la population dans un rayon de 20 km. Elles avaient confiné les habitants entre 20 et 30 km, puis leur ont conseillé d’évacuer. Comme le césium est retombé bien au-delà de ces distances, elles ont ordonné l’évacuation des territoires les plus contaminés en avril 2011, jusqu’à 45 km de la centrale. Puis, à proximité de plusieurs points chauds, il a été conseillé de partir. De tels points chauds ont été découverts jusqu’en septembre 2011.

De nombreuses cartes de la contamination sont disponibles en ligne. Il y a celles des autorités faites par hélicoptère regroupées sur un site internet. Il y a aussi celles basées sur des prélèvements effectués par un consortium d’universités et la Japan Atomic Energy Agency, l’équivalent du CEA français. Cela s’est traduit par la carte d’évacuation ci-dessous. La zone la plus contaminée, où l’exposition externe peut dépasser 50 mSv/an, est qualifiée de « zone de retour difficile » par les autorités. Les zones où il n’y aura pas de retour n’ont pas été clairement établies pour le moment, sauf pour le site de stockage des déchets radioactifs prévu sur 16 km2 tout autour de la centrale de Fukushima daï-ichi. Et même là, les autorités ont promis de reprendre les 25 millions de m3 de déchets au bout de 30 ans pour les stocker définitivement en dehors de la province de Fukushima. Personne n’y croit.

La commission d’enquête parlementaire explique qu’un « total de 146 520 habitants ont été évacués suite aux ordres du gouvernement ». Il faut encore ajouter les « évacués volontaires » qui sont partis d’eux-mêmes car ils n’acceptaient pas la limite d’évacuation fixée par les autorités, considérée comme trop élevée. Ils étaient environ 60 000 en octobre 2012.

evacuation

L’IRSN a estimé que si la limite d’évacuation avait été divisée par deux comme il l’aurait été préconisé en France, c’est à dire si elle était fixée à 10 mSv/an au lieu de 20 mSv/an, il aurait fallu évacuer 70 000 personnes supplémentaires et une partie de la capitale régionale située à plus de 50 km. La surface où l’exposition externe dépassait 1 mSv/an en 2011 représente environ 13 000 km2 (Estimation grossière établie par le quotidien Asahi : Estimated 13,000 square km eligible for decontamination, October 12, 2011).

A proximité de la centrale, la pollution des sols est très élevée et il n’y aura pas de retour possible avant longtemps. L’agriculture est encore interdite dans les zones évacuées, sauf à titre expérimental et plusieurs aliments ne peuvent être vendus sur le marché ailleurs. C’est particulièrement le cas des plantes sauvages et du gibier. L’accident a aussi entraîné le plus fort rejet radioactif en mer. Il y a un facteur 20 entre l’estimation de TEPCo et celle de l’IRSN, plus élevée. Quelle que soit l’estimation, ce rejet à lui seul aurait entraîné le classement au niveau 5 de l’accident sur l’échelle INES. Mais, comme la centrale fait face à l’immense Océan Pacifique avec deux forts courants marins, le Kuroshio et le Oyashio, il y a eu une dilution rapide. Actuellement, au large, la contamination de l’eau de mer est très faible. En revanche, les sédiments marins le long du littoral sont fortement marqués et la faune qui en dépend est contaminée via la chaîne alimentaire. La pêche est interdite dans un rayon de 20 km autour de la centrale et au-delà, limitée à une cinquantaine d’espèces contre 200 environ avant la catastrophe. Les sédiments de la Baie de Tôkyô, presque fermée, ont aussi été significativement contaminés par le lessivage des sols.

C’est sur le site de la centrale qu’il y a les plus fortes contaminations et les rejets dans l’environnement continuent, que ce soit dans l’atmosphère ou dans la mer. Certains sont dus à la négligence, comme ces poussières rejetées lors du démantèlement de la partie haute du réacteur n°3 faute d’avoir aspergé des résines fixatrices. TEPCo est aussi à la peine avec l’eau contaminée qu’elle n’arrive pas à confiner. Les nappes phréatiques sur le site sont fortement contaminées et s’écoulent vers l’océan (Sur ces rejets, lire, ACROnique de Fukushima, Des défis insurmontables, 5 mars 2015).

Des déplacés qui souffrent encore

La catastrophe nucléaire s’installe dans la durée. En 2015, il y a encore officiellement 120 000 personnes évacuées. Parmi elles, 79 000 ont été forcées à partir et les autres sont des déplacés « volontaires » qui n’acceptent pas de vivre en territoire contaminé. 46 000 déplacés vivent en dehors de Fukushima, dans toutes les provinces du Japon. De plus en plus de personnes déplacées refont leur vie là où elles sont maintenant. D’autres ne savent pas quel sera leur avenir. Les liens sociaux avec leur voisinage ou leurs amis ont parfois été rompus. Même à l’intérieur des familles ; Fukushima est une zone rurale avec beaucoup de maisons où il y avait plusieurs générations sous un même toit. Ce qui n’est pas possible dans les logements provisoires. Parfois, les plus anciens restent et les plus jeunes partent pour protéger les enfants des radiations.

Selon une étude commandée par les autorités régionales et reprise par les médias japonais en avril 2014, 50% des familles évacuées sont encore séparées et 67,5% ont un membre qui souffre de stress physique et mental. En janvier et février 2014, la région a envoyé un questionnaire à 62 812 familles vivant à Fukushima ou ailleurs et a reçu 20 680 réponses, dont 16 965 (82%) sont originaires des zones évacuées. Les 18% restants (3 683 familles) sont parties de leur propre décision. Il y a un doute pour 32 familles. 48,9% des familles qui ont répondu disent vivre séparées depuis la catastrophe. Pour 15,6% des familles, l’éclatement familial est sur plus de 3 lieux. Les raisons de la séparation sont multiples : logements provisoires trop petits pour accueillir tout le monde, volonté de protéger les plus jeunes ou de se rapprocher d’une école ou encore du travail pour certains membres de la famille… Certaines personnes se retrouvent seules, inquiètes pour leur avenir. 50% des familles disent que certains de leurs membres ont des troubles du sommeil ou ont perdu leur joie de vivre. Enfin, 34,8% des réponses signalent une aggravation des maladies chroniques qui les affectent (Voir Asahi, Survey: Half of Fukushima evacuee households split up; distress rife in families, April 29, 2014 et Mainichi, Almost half of evacuated Fukushima households split up by disasters still divided: poll, April 29, 2014)

Les familles qui ne sont pas parties et vivent en territoire contaminé s’inquiètent aussi pour leur avenir et celui de leurs enfants. En effet, la limite d’évacuation a été fixée à 20 mSv/an, ce qui correspond à la limite de dose des travailleurs en France. Cette même limite est appliquée pour le retour des populations, même pour les nouveaux nés. Le gouvernement s’était engagé à décontaminer toutes les zones où l’exposition externe dépasse le millisievert par an, qui est la limite annuelle à ne pas dépasser en temps normal. Il est supposé que les habitants passent 8 heures par jour à l’extérieur et 16 heures à l’intérieur où l’exposition externe est réduite de 60%. Mais les travaux de décontamination ne donnent pas les résultats attendus. Les autorités ont donc décidé de changer la façon d’évaluer les doses. Un dosimètre est fourni aux habitants et les données relevées. En faisant attention, il est possible de prendre moins d’un millisievert par an là où le calcul grossier prédit plus. Et donc, il n’est pas besoin de décontaminer autant !

Le quotidien Asahi a publié, le 26 décembre 2014, une interview d’un psychanalyste de l’université de Fukushima qui a travaillé auprès des mères de famille de la province. Il a noté que 24% d’entre elles sont dépressives alors que ce taux est généralement de 15% au Japon. Il y a une corrélation entre la dépression et l’inquiétude envers l’impact des radiations sur les enfants. De fortes différences de comportement demeurent entre les familles : la nourriture vient parfois d’ailleurs, les enfants ne sont pas autorisés à jouer dehors. Dans d’autres familles, aucune précaution particulière n’est prise. Mais même dans ce cas là, les mères se font du souci pour l’avenir de leurs enfants. La radioactivité est devenue un sujet dont on ne parle plus. Il y a la crainte d’être critiqué par les autres en cas d’opinion divergente.

Du côté des enfants, cela se traduit par une augmentation de la corpulence. Le fait qu’ils ne jouent plus dehors y est sûrement pour beaucoup. Dès 2012, les statistiques du ministère de l’éducation mettent en évidence une hausse du nombre d’enfants en surpoids, c’est à dire pesant au moins 20% de plus que la moyenne. C’est encore un problème actuellement. En 2014, par exemple, 15,07% des enfants âgés de 9 ans étaient en surpoids. C’est 8,14% au niveau national.

D’autres problèmes de santé sont signalés, sans être pris au sérieux. L’exemple le plus caricatural est probablement le cas des saignements de nez. Une célèbre série de Manga, Oïshimbo (美味しんぼ, qui signifie gourmet) a représenté un reporter qui saigne du nez après être allé à la centrale de Fukushima daï-ichi. Cela a provoqué un tollé. Comme l’impact des radiations sur de tels maux bénins n’a jamais été étudié, les autorités n’ont rien à dire. Elles se sont contentées d’accuser l’auteur de colporter des « rumeurs néfastes ». Mais, Katsutaka Idogawa, l’ancien maire de Futaba, qui est dessiné dans le manga, maintient les propos qui lui sont attribués : son nez a souvent saigné au début de la catastrophe, presque tous les jours. Il explique qu’il en est de même pour de nombreuses autres personnes à Fukushima. Il est donc hors de question, pour lui, de démentir ces faits. La série de Manga a été suspendue alors qu’elle existait depuis 1983.

Pour de nombreux parents, voir leur enfant saigner du nez devient donc source d’inquiétude. S’il est sensible aux radiations, cela signifie-t-il qu’il risque de développer une maladie plus grave dans l’avenir ?

Suivi sanitaire

Face aux inquiétudes pour la santé, les autorités régionales ont mandaté l’université médicale de Fukushima pour faire un suivi sanitaire de la population et des enfants en particulier. Les résultats sont disponibles en ligne en anglais.

L’université a d’abord envoyé un questionnaire aux deux millions d’habitants de Fukushima pour reconstituer la dose prise lors des rejets massifs qui ont duré plus d’une dizaine de jours. Le taux de retour était de 23% au 31 octobre 2012, ce qui est peu. Pour beaucoup, il y a une défiance envers les autorités. De plus, les habitants veulent être protégés et non pas servir de cobaye. Pour les personnes évacuées, il y a de nombreuses autres préoccupations. L’université en déduit, qu’en excluant les travailleurs du nucléaire, la plus forte dose externe reçue par la population durant les quatre premiers mois serait de 25 mSv. Plus de 99% de la population aurait reçu moins de 5 mSv et 66,1% moins de 1 mSv, qui est la limite annuelle en temps normal.

La dernière publication de résultats, qui date du 12 février 2015, met en avant que le taux moyen d’anomalies congénitales et autres anomalies chez les nouveaux nés de Fukushima entre 2011 et 2013 est d’un peu plus de 2%, ce qui est dans l’intervalle de variation de la moyenne nationale. Plus précisément, il était de 2,85% en 2011, 2,39% en 2012 et de 2,35% en 2013. Il n’y pas de différence significative entre les différentes parties de Fukushima. La moyenne nationale était de 2,34% en 2012. Il n’y a donc pas d’impact mesurable sur le taux d’anomalies congénitales.

Ce sont les cancers de la thyroïde qui attirent toute l’attention et les résultats sont très controversés. Pour rassurer la population, un dépistage systématique a été effectué chez tous les jeunes de la province de Fukushima. Initialement, les examens par échographie devaient commencer en 2014 car aucun effet n’était attendu avant. Mais l’inquiétude des parents a poussé les autorités à commencer dès 2011.

Les premières échographies ont révélé que 35% des enfants examinés avaient un kyste inférieur à 20 mm ou un nodule inférieur à 5 mm sans être cancéreux. Ce sont les kystes qui prédominent. Ces résultats ont créé une forte inquiétude. Une campagne de dépistage a donc été menée dans d’autres provinces japonaises non affectées par les retombées radioactives. Les résultats étaient identiques et la polémique est retombée.

En revanche, l’apparition de cancers de la thyroïde chez les enfants inquiète.

Des cancers de la thyroïde plus nombreux qu’attendu

Les derniers résultats publiés à la date le 12 février 2015 montrent que des échographies de la glande thyroïde ont été réalisées chez 368 000 jeunes Japonais de la région de Fukushima. Après un premier dépistage, 109 d’entre eux ont été diagnostiqués avec un cancer de la glande thyroïde définitif ou soupçonné. Parmi eux, 86 cas ont été confirmés après un acte chirurgical et un cas s’est révélé être bénin. Le taux d’occurrences observé est beaucoup plus élevé à Fukushima qu’ailleurs au Japon ou dans d’autres pays. En effet, cela fait environ 30 cas sur 100 000 enfants, contre 1,7 cas sur 100 000 enfants dans la province voisine de Miyagi.

Les autorités médicales affirment cependant que ce n’est pas lié à la catastrophe nucléaire, mais au dépistage systématique. Si c’est le cas et que les cancers ne se seraient pas déclarés avant des années, fallait-il effectuer les interventions chirurgicales ? Les cancers papillaires de la thyroïde ne se développent pas toujours et les enfants auraient peut-être pu vivre longtemps en bonne santé avec leur glande. Une fois opérés, ils ont une cicatrice au cou et certains doivent prendre des médicaments toute leur vie. Des experts critiques réclament donc que les autorités régionales, qui mènent ce programme, rendent publiques les informations relatives à la glande après chirurgie et au niveau de progression du cancer. L’université de Fukushima refuse pour préserver la confidentialité des données patients et les autorités régionales n’ont pas le pouvoir d’accéder au dossier médical (Lire à ce sujet : Mizuho Aoki, Experts question Fukushima thyroid screening, The Japan Times, Jul 31, 2014)

Les autorités régionales de Fukushima ont entamé la deuxième vague de dépistage du cancer de la thyroïde chez les 385 000 enfants de la province. 8 enfants sur 75 000 chez qui l’on n’avait pas détecté de cancer lors de la première échographie sont suspectés d’avoir un cancer après un deuxième examen. Parmi eux, il y a un cas confirmé. Les 7 autres vont subir d’autres examens médicaux. Ils avaient entre 6 et 17 ans au moment des rejets radioactifs massifs. Les tumeurs font entre 6 et 17,3 mm. Ces enfants étaient classés dans les catégories A lors du premier dépistage, signifiant « pas de problème ». Les autorités continuent à affirmer que ce n’est pas lié à la catastrophe nucléaire.

Par ailleurs, sur les 75 000 enfants ayant subi une deuxième échographie de la thyroïde, 611 sont classés B et vont subir des examens complémentaires. Parmi eux, 441, ou 72,2%, avaient été classés A lors de la première campagne. Le nombre de cas de cancer pourrait malheureusement augmenter encore… L’inquiétude des populations est donc sans fin. D’autres résultats ont été publiés depuis la rédaction de cet article.

Une faible contamination interne

La situation est très différente entre le Japon et la Biélorussie ou l’Ukraine. Au Japon, les populations les plus exposées ont été évacuées plus rapidement qu’en URSS. Par ailleurs, le contrôle de la nourriture a été assez strict dès le début, même si l’improvisation a conduit à la mise sur le marché d’aliments dépassant les normes dans les premiers mois de la catastrophe. En conséquence, la contamination interne est faible.

L’ACRO a, dès les premiers mois, effectué des contrôles sur les urines d’enfants japonais. Si, au début, toutes les urines étaient marquées à Fukushima, les niveaux détectés restaient faibles. Pour la somme des césiums 134 et 137, la contamination ne dépassait pas 4 Bq/L. Les données accumulées par Chikurin, le laboratoire mis en place avec le soutien de l’ACRO au Japon, confirment cette observation. A titre de comparaison, des analyses d’urines effectuées par l’ACRO en 2004 sur des enfants biélorusses en vacances en Normandie ont mis en évidence des niveaux de contamination en césium-137 pouvant dépasser 60 Bq/L (Voir : Evaluation de la contamination des enfants de Biélorussie et Du rôle de la pectine dans l’élimination du césium dans l’organisme).

Les résultats des anthropogammamétries effectuées à grande échelle à Minami-Sôma vont dans le même sens. Cela s’explique par la concentration maximale fixée pour le césium dans l’alimentation qui est beaucoup plus basse que ce qui a été adopté en Europe après Tchernobyl. Elle est de 100 Bq/kg au Japon. Cependant, l’autoconsommation échappe à ces restrictions et il y a des cas de contamination interne assez élevée.

Une étude s’est intéressée au régime alimentaire d’habitants de Fukushima qui se nourrissent de leur propre production. Certains avaient une forte contamination interne qui a diminué suite au changement de régime alimentaire. Les chercheurs ont suivi 9 habitants de Minami-Sôma qui avaient plus de 50 Bq/kg en césium 137 dans le corps. La contamination totale variait entre 3 230 et 15 918 Bq et induit une dose comprise entre 0,07 et 0,53 mSv par an. Cela vient s’ajouter à l’exposition externe. Ces habitants, âgés de 60 à 74 ans consomment tous des produits de leur jardin non contrôlés. Ils mangent aussi des champignons sauvages ou cultivés. Le plus contaminé a même mangé du sanglier sauvage et des poissons de rivière.

Suite à un changement de régime alimentaire, qui consiste surtout à éviter les produits connus pour être les plus contaminés, la charge en césium a été divisée par deux en trois mois. Au bout de 6 mois, elle était à moins d’un tiers de la contamination originelle.

Le problème majeur demeure l’exposition externe et la limite fixée pour le retour des habitants. La CIPR qualifie de « situation existante » la situation post-accidentelle à long terme. Dans sa publication 109, elle explique qu’il n’y a pas « de frontières temporelles ou géographiques prédéfinies qui délimitent la transition d’une exposition à une situation d’urgence à une situation existante. En général, les niveaux de référence utilisés lors des situations d’urgence ne sont pas acceptables comme références à long terme car les niveaux d’exposition correspondant ne sont viables ni socialement, ni politiquement. Ainsi, les gouvernements et/ou les autorités compétentes doivent, à un certain moment, définir des niveaux de référence pour gérer l’exposition aux situations existantes, typiquement dans la partie basse de l’intervalle de 1 à 20 mSv/an recommandé par la Commission. »

Mais comment passer d’un intervalle d’exposition maximale autorisée situé entre 20 et 100 mSv en situation d’urgence à la partie basse de l’intervalle de 1 à 20 mSv pour la « situation existante » ? Les radioéléments comme le césium décroissent lentement. Le débit de dose moyen n’a diminué que de 40% en moyenne la première année au Japon et les travaux de décontamination se sont révélés très décevants.

Dans sa publication 111, la CIPR n’est pas très explicite : « les autorités nationales peuvent prendre en compte les circonstances et aussi profiter de l’agenda du programme de réhabilitation pour adopter des valeurs de référence intermédiaires qui conduisent à une amélioration progressive de la situation ».

Pour le moment, le Japon a adopté un retour à une limite de 1 mSv/an, mais sans aucun calendrier. La politique de retour des populations actuelle est toujours basée sur la limite annuelle de 20 mSv/an choisie au moment de l’évacuation. De nombreuses personnes ne souhaitent pas rentrer, surtout quand il y a des enfants en bas âge. Mais si le Japon adoptait une limite de retour plus faible, les populations non évacuées ne comprendraient pas et se sentiraient abandonnées.

Anand Grover, Rapporteur spécial du Haut-Commissariat aux Droits de l’Homme de l’ONU précise que « les recommandations de la CIPR sont basées sur le principe d’optimisation et de justification, selon lesquelles toutes les actions du gouvernement doivent maximiser les bénéfices sur le détriment. Une telle analyse risque-bénéfice n’est pas en accord avec le cadre du droit à la santé, parce qu’elle donne la priorité aux intérêts collectifs sur les droits individuels. Le droit à la santé impose que chaque individu doit être protégé. De plus, de telles décisions, qui ont un impact à long terme sur la santé physique et mentale des populations, doivent être prises avec leur participation active, directe et effective. » Et d’ajouter que « la possibilité d’effets néfastes pour la santé existe avec les faibles doses de radiation. Cela implique de recommander aux personnes évacuées de ne retourner que quand la dose liée à l’irradiation a été réduite autant que possible à des niveaux inférieurs à 1 mSv par an. En attendant, le gouvernement doit continuer à fournir un soutien financier et une indemnisation à toutes les personnes évacuées de façon à leur permettre de décider par elles-mêmes de rentrer ou de rester évacuées. »

Comme nous l’avons déjà expliqué, cette limite de dose annuelle est estimée en supposant que les personnes passent en moyenne 8 heures par jour dehors et 16 heures par jour à l’intérieur où l’exposition serait réduite de 60%. Ainsi, 1 mSv par an correspond à 0,23 microsievert par heure quand on ajoute le bruit de fond naturel de 0,04 microsievert par heure. Cela peut être mesuré directement avec un radiamètre. 20 mSv se traduisent par une limite de 3,8 microsieverts par heure avec la même méthode. C’est cette valeur qui a été utilisée pour l’évacuation. Et c’est encore elle qui est retenue pour le retour.

Face à cette situation complexe, les autorités pensent avoir trouvé la parade : distribuer à chacun des « glass-badges », c’est à dire des dosimètres individuels, pour apprendre à vivre en territoire contaminé et limiter l’exposition en faisant attention. Il est alors possible d’avoir une dose reçue moins élevée que celle estimée précédemment. La ville de Daté s’est fixée une limite à 5 mSv par an mesurés par ces « glass-badges » et le maire met en avant le succès de l’opération. En outre, les dosimètres indiquent une dose inférieure à celle mesurée par un radiamètre de 30 à 40% sans que cela ait été expliqué aux populations concernées. Le fabriquant affirme que les données des glass-badges sont plus justes, mais ce sont celles des radiamètres qui ont servi de référence depuis le début (Voir ACROnique de Fukushima, Fukushima : des défis insurmontables, 5 mars 2015).

A long terme, les doses prises par les populations s’accumulent et ne seront donc plus négligeables. Il est difficile, voire impossible de prévoir l’impact.

Du côté des travailleurs

Selon les dernières statistiques publiées, qui datent du 31 janvier 2015, 41 170 personnes ont travaillé sur le site de la centrale de Fukushima daï-ichi. Dans les premiers mois, la limite de dose a été montée à 250 mSv. Officiellement, 6 personnes l’ont dépassée. Mais il n’y avait pas un dosimètre par personne durant les premières semaines car ils avaient été noyés par le tsunami. Seul le chef d’équipe en portait un et il n’a pas été forcément le plus exposé. Il a fallu un scandale médiatique pour que des dosimètres soient expédiés depuis d’autres centrales nucléaires. Ces chiffres officiels sont donc à prendre avec recul. Par ailleurs, la contamination interne a été contrôlée très tardivement et certains intervenants sont injoignables. TEPCo est toujours à la recherche de 10 personnes qui sont intervenues entre mars et juin 2011 (De nouvelles statistiques ont été publiées depuis la rédaction de cet article).

En mars 2014, le ministère de la santé a révélé que TEPCO avait sous-estimé la contamination interne de 142 personnes en 2011. L’augmentation moyenne de la dose reçue est de 5,86 millisieverts. Une personne est ainsi passée de 90,27 à 180,10 millisieverts, ce qui représente une hausse de 89,83 millisieverts. C’est plus que les 100 mSv à ne pas dépasser sur 5 ans : cette personne aurait dû arrêter ses activités à la centrale. Cela n’a pas été le cas. Deux autres dépassent la limite annuelle de 50 mSv. Sur ces 142 personnes, il y a 24 employés de TEPCo. Les 118 autres sont des sous-traitants employés par 18 compagnies différentes.

Le gouvernement a vérifié l’exposition de 1 536 personnes sur les 7 529 qui sont intervenues en mars – avril 2011. Cela fait plus d’une personne sur 9 pour qui il y a eu sous-estimation ! En juillet 2013, le ministère de la santé avait déjà trouvé que les doses reçues par 642 personnes sur 1 300 avaient été sous-estimées.

Depuis le 16 décembre 2011, ce sont de nouveau les limites normales qui sont retenues : 100 mSv sur 5 ans (ou 20 mSv/an en moyenne sur 5 ans), sans dépasser 50 mSv/an. Depuis cette date, 174 travailleurs ont atteint cette limite et ne peuvent plus travailler dans le nucléaire tant que les 5 ans ne se sont pas écoulés. Sur les 14 000 travailleurs enregistrés actuellement, 2 081 ont déjà reçu une dose comprise entre 50 et 100 mSv. Ils sont généralement affectés à des tâches moins exposées pour pouvoir rester plus longtemps sur le site.

Mais avec le temps, ils vont être de plus en plus nombreux à atteindre les 100 mSv. D’autant plus que les travaux de démantèlement des parties les plus irradiantes n’ont pas encore commencé. Il y a la reprise des combustibles de la piscine du réacteur n°3, par exemple, qui devrait bientôt commencer. Même si la grosse partie du travail se fera avec des engins télécommandés, il faudra que des hommes s’approchent par moments pour installer le matériel de démantèlement.

Là encore, certains chiffres doivent être pris avec recul. Il y a eu plusieurs scandales liés à des tricheries sur les doses. Les médias ont rapporté des pratiques douteuses : des dosimètres laissés dans la voiture ou déposés en un lieu moins irradiant. Des travailleurs avaient mis un cache en plomb autour de l’appareil. Plus de 90% des intervenants sont des sous-traitants, avec parfois plusieurs niveaux de sous-traitance. Leur statut précaire favorise la triche. Suite à ces scandales, TEPCo a renforcé ses contrôles et la situation s’est améliorée.

Récemment, la Radiation Effects Research Foundation, qui a suivi les personnes exposées aux bombes de Hiroshima et de Nagasaki, a décidé de suivre une première cohorte de 2 000 travailleurs qui sont intervenus la première année à la centrale accidentée de Fukushima daï-ichi car ce sont eux qui ont pris les plus fortes doses. Elle en a contacté 5 466 à Fukushima, mais seulement 704 auraient accepté, ce qui est beaucoup moins que les 2 000 espérés. 299 courriers auraient été retournés car l’adresse était erronée. Sur les 1 071 qui ont répondu, 295 ont refusé d’y participer. Certains ont justifié leur décision car il n’y a pas de prise en charge alors qu’ils doivent travailler. D’autres se sont plaint de la difficulté à accéder aux centres de soins où ils seront examinés. La fondation veut aussi reconstituer les doses prises. A terme, elle espère suivre 20 000 travailleurs.

Actuellement, environ 7 000 personnes triment chaque jour sur le site de la centrale de Fukushima daï-ichi. Il y a déjà eu plusieurs décès et blessés graves suite à des accidents. Au-delà du gigantesque chantier de stabilisation des réacteurs accidentés destiné à réduire leur menace puis celui de leur démantèlement, il y a aussi un immense chantier de décontamination dans toutes les zones où l’exposition externe peut dépasser 1 mSv/an.

Les chantiers de décontamination dans les territoires évacués sont sous la responsabilité directe du gouvernement. Les travailleurs doivent porter un dosimètre et la dose enregistrée ne doit pas dépasser 50 mSv par an comme pour les travailleurs du nucléaire et 100 mSv sur 5 ans. Des statistiques officielles sur les doses prises par plus de 26 000 travailleurs engagés sur ces chantiers avant 2014 viennent d’être rendues publiques (Radiation Effects Association, Communiqué du 15 avril 2015 (除染作業者等の被ばく線量等の集計結果を公表します) et document associé pour la presse (除染作業者等の被ばく線量等の集計結果について)). Aucun n’a dépassé 50 mSv en un an. La dose moyenne est de 0,5 mSv par an et 14,6% d’entre eux ont reçu une dose supérieure à 1 mSv/an, qui est la limite pour le public. La plus forte dose enregistrée est de 13,9 mSv en un an. Ils sont 34 à avoir dépassé 10 mSv.

Plus précisément, 11 058 personnes sont intervenues en 2011-2012. C’est à cette époque qu’il y a eu la plus forte dose enregistrée. En 2013, 20 564 personnes sont intervenues et la plus forte dose enregistrée était de 6,7 mSv, avec une moyenne de 0,5 mSv en un an. Ces statistiques, compilées par la Radiation Effects Association, qui dépend du gouvernement, donnent un nombre total de personnes inférieur aux chiffres avancés par le ministère de l’environnement en charge des travaux. Le ministère de la santé du Japon pense donc que cette association n’a pas réussi à enregistrer les doses de tout le monde.

Actuellement, 12 000 personnes par jour travaillent sur des chantiers de décontamination. Les travaux sont terminés dans quatre des onze communes évacuées. Selon l’inspection du travail de Fukushima, qui surveille les 1 152 compagnies engagées dans ces chantiers, il y a eu 800 violations du droit du travail enregistrées concernant la sécurité des travailleurs. Parfois, cela concerne l’absence de mesure du débit de dose ambiant avant les travaux ou le port de dosimètres. Il y a aussi eu plusieurs scandales médiatiques révélant de mauvaises pratiques allant jusqu’à l’emploi de SDF.

Conclusions

La catastrophe de Fukushima ne fait que commencer. Il est difficile de tirer un bilan sanitaire après seulement quatre années. Heureusement pour le pays, 80% des rejets atmosphériques sont allés vers l’océan. Les surfaces contaminées sont limitées. Un accident similaire au milieu des terres aurait eu un impact beaucoup plus élevé.

Malgré cela, cette catastrophe a déjà fait de nombreuses victimes. Elle a aussi complètement déstabilisé toute une région avec des conséquences économiques et sociales à long terme qui se répercutent sur tout le pays.

Toutes ces informations sont détaillées dans l’ACROnique de Fukushima, avec mise à jour quotidienne.

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