La revue Géographie et culture publie un passionnant numéro spécial intitulé « Désastres et alimentation : le défi japonais ». Plusieurs articles, traduits du japonais en français, sont en libre accès.
Un premier article souligne l’importance de la mesure de la radioactivité pour rendre « visibles » les radiations. Il montre comment les communautés locales ont cartographié la pollution et se sont approprié les résultats. Il explique aussi comment les agriculteurs ont pris l’initiative de mener plusieurs expériences pour déterminer les coefficients de transfert de la pollution des sols aux plantes. Les agriculteurs bio qui ont une pratique de l’expérimentation et de l’observation ont été pionniers. L’entraide et l’échange ont été primordiaux car « même un producteur qui a trente ans d’expérience ne peut cultiver le riz que trente fois. » Mais l’article pointe aussi les limites : seuls les agriculteurs les plus âgés souhaitent retourner dans les territoires évacués.
Un second article aborde l’agriculture biologique dans le cadre des teikei (AMAP) qui a été profondément bouleversée par la catastrophe nucléaire. La première année, ces agriculteurs ont cultivé à titre expérimental, pour savoir et comprendre. Ils avaient une forte inquiétude. La relation de confiance qui s’est bâtie au cours des années a parfois permis de surmonter la crise, parfois pas. Et certains abonnés sont partis. Dans les zones évacuées, le mouvement parviendra-t-il à survivre alors que d’autres agriculteurs s’orientent vers la culture hors-sol pour redynamiser les territoires.
La revue propose des portraits de quelques paysans et acteurs du système teikei après la catastrophe de Fukushima.
Justement, un dernier article aborde la réaction des consommateurs et souligne l’improvisation complète des autorités durant les premières semaines de la catastrophe nucléaire. L’article classe la population japonaise en trois groupes, un dit passif, qui a peu ou pas modifié ses habitudes alimentaires, et deux actifs. Le premier groupe a d’avantage cherché à ne pas savoir afin de réduire l’anxiété. Quant aux actifs, certains, minoritaires, ont privilégié les aliments en provenance des régions touchées afin de les soutenir et d’autres ont eu la démarche inverse afin de se protéger dans un contexte de crise de confiance. Et de souligner que « c’est en définitive au gouvernement japonais d’assurer cet équilibre difficile à trouver entre la sûreté alimentaire, les intérêts économiques et la défense des paysans, tandis que de leur côté, les distributeurs, qui sont essentiellement responsables devant leur clientèle, sont prêts à mettre en place des normes plus sévères, malgré la désapprobation officielle du gouvernement ».
Et de conclure que « c’est donc un nouveau rapport au territoire qui se profile, exacerbé par la crise alimentaire. Il laisse entrevoir au Japon des conséquences majeures, à toutes les échelles, sur les relations entre l’homme, son milieu et son alimentation. » En effet, encore maintenant, malgré la multiplication des contrôles, les produits alimentaires de Fukushima ont du mal à se vendre.
Plus concrètement, du riz avait été cultivé de façon expérimentale dans le district de Sakata de la commune de Namié l’an dernier, comme entièrement évacuée, et les contrôles ont montré que la contamination en césium est inférieure à 5 Bq/kg, ce qui est bien inférieur à la limite de mise sur le marché fixée à 100 Bq/kg. L’annonce a été faite le 31 janvier dernier à Nihonmatsu où la municipalité s’est installée.
Les habitants sont autorisés à retourner chez eux durant la journée à Sakata mais pas à y passer la nuit. La culture a eu lieu sur 1,2 hectares de rizières décontaminées au préalable. Le riz ne sera pas commercialisé mais utilisé lors d’évènements de promotion des produits agricoles de Fukushima organisés par les autorités.
Cette année, l’expérience devrait être étendue et la commune espère commercialiser la moisson 2015.
La coopérative de pêche de Sôma – Futaba a repris la pêche à la morue à titre expérimental. 21 chalutiers ont pris la mer le 5 février dernier et ont ramené plus de 5 tonnes de morue et 15 autres espèces de poissons. Après un contrôle de la radioactivité, la pêche sera vendue sur le marché de gros de Hokuriku, côté Mer du Japon.
La morue devrait être la 58ième espèce pour laquelle la pêche a repris après l’accident nucléaire.