Le tribunal de Tôkyô a entendu les trois anciens dirigeants de TEPCo qui étaient en poste lors de la catastrophe nucléaire. Tsunéhisa Katsumata, le président, ainsi que Ichirô Takékuro et Sakaé Mutô, les vices présidents, sont accusés de négligence ayant entraîné la mort. Le procès a débuté en juin 2017 et une vingtaine de témoins ont déjà été entendus.
Les trois anciens dirigeants ont nié toute responsabilité dans l’accident lors de l’ouverture du procès, estimant qu’ils ne pouvaient pas l’anticiper. Il ressort pourtant des auditions de témoins que ces trois anciens dirigeants ont reporté sans cesse l’implémentation de mesures de protection renforcée contre les tsunamis. Selon un employé de TEPCo, un dirigeant de la compagnie aurait arrêté le projet de digue contre les tsunamis en 2008. Un autre a expliqué qu’après l’arrêt de la centrale de Kashiwazaki-Kariwa et ses 7 réacteurs en 2007, suite à un fort séisme, la priorité de la compagnie était d’éviter tout arrêt sur ses deux autres centrales nucléaires. Le rehaussement de la digue aurait entraîné un arrêt momentané des réacteurs.
Comme est venu l’expliquer un sismologue, les experts officiels avaient revu le risque sismique et de tsunami à la hausse et les exploitants du nucléaire aurait dû renforcer les protections contre ces agressions. Il y avait eu consensus à l’époque et si TEPCo avait pris les mesures nécessaires, l’accident aurait pu être évité. A Tôkaï, une nouvelle digue était en construction suite à la ré-estimation du risque sismique de 2002.
D’autres tribunaux ont déjà reconnu la responsabilité de TEPCo dans l’accident. Mais Sakaé Mutô a nié avoir reporté la décision de rehausser la digue en 2008, comme l’accusait un ancien employé. Il a expliqué avoir juste sollicité un avis extérieur car il y a beaucoup d’incertitudes dans les évaluations sismiques, ajoutant que c’était une pratique courante. Il n’aurait, de plus, jamais été informé qu’un tsunami pouvait détruire la centrale… et donc il a réfuté avoir, dans un premier temps, ordonné de rehausser la digue, avant de revenir sur cette décision.
Sakaé Mutô a commencé par s’excuser devant le tribunal pour le mal causé aux populations, avant de nier toute négligence. Selon lui, l’accident était imprévisible et il n’est donc pas responsable. Que valent ses excuses ? Ses deux comparses ont aussi continué à nier toute responsabilité.
Monsieur Takékuro était exactement sur la même ligne de défense que Sakaé Mutô. Il était “naturel”, pour lui de suspendre le renforcement des défenses anti-tsunami, le temps de consulter des experts. Et d’ajouter, qu’après avoir appris qu’une estimation donnait une hauteur de tsunami de 15,7 m, qu’il n’y avait aucun caractère d’urgence.
L’ancien président de la compagnie a été entendu le 29 octobre 2018. Comme les deux vice-présidents, il estime ne pas être responsable de la catastrophe nucléaire. Lui n’était que Président, sans autorité. Il ne s’occupait pas des affaires courantes et c’était au département de la sûreté de s’occuper des mesures de sûreté. Lui s’occupait des relations extérieures, entendez, du lobbying.
Au-delà du déni de leur responsabilité dans l’accident que la justice devra trancher, leurs excuses méritent d’être soulignées. Sakaé Mutô a présenté ses excuses : “aux nombreuses personnes qui ont perdu la vie, à leur famille ou à ceux qui ont dû quitter leur habitation, j’ai causé beaucoup de souffrance qui ne peut pas être exprimée par des mots, j’adresse mes excuses les plus sincères. Je suis désolé par ce qui s’est passé”. Voir le Maïnichi, par exemple. Tsunéhisa Katsumata, quant à lui, a déclaré : “Qu’en tant que que personne qui a servi comme président et président du conseil d’administration, j’adresse mes excuses pour avoir causé d’énormes problèmes à ceux qui ont perdu la vie, à leurs familles endeuillées et aux blessés” (Maïnichi).
Outre la contradiction entre le fait de plaider non-coupable et de s’excuser, ces mots sont une reconnaissance que de nombreux décès sont bien une conséquence de la catastrophe nucléaire. C’est important de le noter quand on voit fréquemment circuler que tous les décès sont dus au tsunami et que l’accident nucléaire, voire l’incident, c’est zéro mort. Et quand on évoque les nombreux décès engendrés par l’évacuation, ces mêmes personnes précisent qu’il ne s’agit pas de morts directs dus à l’exposition radioactive. Comme si les victimes des guerres n’incluaient que les personnes tuées par les armes. Ou que les victimes du réchauffement climatique se limitaient aux seuls décès par coup de chaud…