Quelle politique énergétique pour le Japon ?

Alors que le premier ministre a dissout la chambre basse pour profiter de la faiblesse actuelle de l’opposition, l’avenir du nucléaire est redevenu un argument de campagne. L’agence Reuters montre l’évolution du mix électrique au Japon avec une forte augmentation des énergies fossiles depuis l’arrêt quasi-complet du parc nucléaire qui a fait suite à l’accident à la centrale de Fukushima daï-ichi. Les autorités espèrent une remontée du nucléaire, avec une part du charbon qui va rester au-dessus du niveau d’avant la catastrophe. Les objectifs de l’accord de Paris seront difficiles à atteindre.

Sans surprise, la Commission pour l’Energie Atomique, recommande, dans un livre blanc, que l’énergie nucléaire produise au moins 20% de l’électricité à l’horizon 2030. C’est moins de 2% actuellement ! Selon l’agence AP, la Commission reste assez vague sur les moyens à mettre en œuvre pour arriver à un tel objectif et s’attache à minimiser l’impact de l’accident à Fukushima. Le rapport soutient aussi le développement de la politique de réutilisation du plutonium extrait des combustibles usés, bien qu’elle soit dans l’impasse, avec l’usine de retraitement qui n’a jamais démarré et l’abandon définitif du surgénérateur Monju. Le livre blanc compte sur le combustible MOx pour trouver un débouché au plutonium. Le but est d’atteindre 16 à 18 réacteurs autorisés à utiliser ce combustible, qui n’est pas recyclé après passage en réacteur. C’est complètement irréaliste. Quel est l’intérêt d’un tel rapport purement idéologique ? Cette commission serait plus utile en faisant des propositions réalistes, basées sur des faits, plutôt que de présenter les rêves du village nucléaire.

L’amélioration de la sûreté des réacteurs nucléaires est complexe à mettre en œuvre. En ce qui concerne les réacteurs à eau bouillante, comme à la centrale de Fukushima daï-ichi, l’autorité de régulation nucléaire, la NRA, envisage d’exiger un renforcement des mesures de sûreté. Selon l’Asahi, elle pourrait exiger la mise en place d’un système de refroidissement du bas de l’enceinte de confinement afin de réduire la chaleur et les gaz émis par le corium après un accident de fusion du cœur. Comme l’enceinte de confinement est plus petite que sur les réacteurs à eau sous pression, l’exploitant n’a pas d’autre option que de libérer des gaz pour éviter son explosion. TEPCo a installé un tel système à sa centrale de Kashiwazaki-Kariwa et prétend que c’est plus efficace que les filtres pour réduire les rejets.

Par ailleurs, cinq centrales nucléaires qui ont été autorisées à redémarrer pourraient voir leur système de refroidissement arrêté en cas d’éruption d’un volcan voisin. Il s’agit des centrales de Sendaï et de Genkaï exploitée par Kyûshû Electric, des centrales de Mihama et Ôï exploitées par Kansaï Electric et de la centrale d’Ehimé exploitée par Shikoku Electric. En effet, selon le Japan Times, des recherches récentes ont montré que la quantité de cendres rejetées pourrait être 100 fois plus élevée que ce qui était admis jusqu’à présent et boucher les filtres à air. Ainsi, en cas d’éruption, il n’y aurait plus d’électricité et les générateurs diesel de secours seraient inopérants, selon l’autorité de régulation nucléaire qui va imposer de nouveaux filtres. Ikata et Genkai sont les plus à risque.

Cela n’empêche pas les exploitants du nucléaire d’espérer une redémarrage rapide de leurs centrales qui leur ont coûté très cher. Kyûshû Electric annonce un redémarrage des réacteurs n°3 et 4 de sa centrale de Genkaï, dans la province de Saga, au printemps 2018. La compagnie aura alors 4 réacteurs en service, les 2 autres étant à la centrale de Sendaï dans la province de Kagoshima.

Le maire de Ôï, dont la commune dépend financièrement du nucléaire, a donné son feu vert au redémarrage des réacteurs 3 et 4 de la centrale du même nom. La compagnie a aussi obtenu l’assentiment du gouverneur et de l’assemblée régionale, bien que cela ne soit pas légalement exigé.

Quant à TEPCo et sa centrale de Kashiwazaki-Kariwa, outre le dossier de sûreté des réacteurs 6 et 7, elle devait convaincre de son aptitude à exploiter du nucléaire. Elle s’est engagée, comme le lui demandait la NRA, de renforcer la culture de sûreté en interne. C’est bien la moindre des choses avec l’accident à la centrale de Fukushima daï-ichi. La NRA a donc soumis son avis relatif à cette centrale à la consultation du public. Elle va aussi solliciter un engagement similaire du ministère de l’industrie qui supervise la compagnie, nationalisée depuis l’accident. Mais même si le processus réglementaire progresse, les élus locaux ne sont pas convaincus, comme le rapporte le Maïnichi. Le gouverneur de Niigata pense qu’il y faudra encore 3 à 4 ans pour faire la lumière sur l’accident à la centrale de Fukushima daï-ichi et évaluer les conséquences pour Kashiwazaki-Kariwa, un prérequis pour qu’il donne son accord. Même le maire de Kashiwazaki, dont la commune dépend financièrement de TEPCo, a demandé l’arrêt définitif des réacteurs 1 à 5.

Mais c’est sans compter sur les initiatives locales. Reuters parle de révolution silencieuse.

De nombreuses communes japonaises ont créé ou envisagent de créer des régies municipales pour vendre une électricité moins chère que celles des majors du secteur. L’agence Bloomberg, reprise par le Japan Times, présente le cas de Miyama sur l’île de Kyûshû. 20% des 38 000 habitants de la commune se fournissent désormais chez Miyama Smart Energy Co.. L’énergie d’origine renouvelable locale représente 30% de ses ressources. La mairie veut ainsi participer à la transition bas carbone et relocaliser l’économie. Une trentaine d’autres communes proposent un service similaire au Japon et 86 autres envisagent de faire de même, dont des grandes villes comme Kyôto, Sapporo ou Yokohama.

Reuters cite le cas de Higashi-Matsushima, détruite aux trois quart par le tsunami de 2011, qui a mis la transition énergétique au centre de son projet de reconstruction. Elle s’appuie sur une production locale et des réseaux décentralisés pour couvrir 25% des besoins de la commune. Le but est aussi d’être plus résilient en cas de catastrophe naturelle.

Depuis l’ouverture du marché de l’électricité il y a un an, les fournisseurs historiques d’électricité ont perdu 7,4% de leurs clients. C’est TEPCo qui a subi la plus grande perte, avec 10% de ses clients qui sont allés voir ailleurs.

L’utilisation de la biomasse est aussi en plein développement, avec plus de 800 projets pour une capacité totale de 12,4 GW, mais il y a un problème de ressources locales. Voir le graphique de Reuters. Toujours selon Reuters, l’ensemble de ces projets vont consommer 60 millions de tonnes de granulés alors que le Japon n’en produisait que 24 millions en 2014.