La centrale nucléaire de Fukushima daï-ichi est devenue un énorme déchet nucléaire à ciel ouvert. L’eau est le principal ennemi des déchets radioactifs. L’Andra l’a appris à ses dépens au centre de stockage de la Manche : les déchets entreposés en plein air pendant des années ont pris l’eau, qui est devenu radioactive et a contaminé durablement les nappes phréatiques.
L’Acro, qui surveille régulièrement les cours d’eau de la Hague avec les riverains, a montré que la pollution en tritium (hydrogène radioactif) du Grand Bel ne baisse pas comme prévu. Ce qui laisse penser que le centre de stockage continue à alimenter la nappe phréatique, même si les déchets sont enterrés sous une couverture étanche qui fait la fierté de l’Andra. Mais une partie du centre de stockage n’a pas de fond et la pollution en tritium sera suivie par d’autres radioéléments dans l’avenir.
Même l’Andra a fini par reconnaître que “dès 300 ans, les colis et les ouvrages n’ont aucune fonction de sûreté” et a un modèle de stockage représentatif sur 10.000 ans. A partir de 50.000 ans, elle n’est sûre de rien ! Que prévoit-elle pour l’avenir ? Rien de moins que le transfert vers les eaux d’iode 129, chlore 36, strontium 90, nickel 63… suivis au-delà de 3000 ans par le plutonium. Rassurez-vous, à des niveaux “acceptables”.
A Fukushima, c’est beaucoup plus grave, car tout baigne dans l’eau : après la fusion de trois cœurs de réacteur, le combustible usé, extrêmement radioactif, n’est plus protégé par une gaine métallique. L’eau qui est aspergée pour que la fusion ne reprenne pas devient donc aussi très radioactive et s’enfuit dans les sous-sols où elle contamine tout.
De l’eau radioactive dans la nappe phréatique ?
Les sous-sols de la centrale ont déjà débordé, entraînant une fuite dans l’océan. Depuis, TEPCo pompe l’eau, tente tant bien que mal de la décontaminer et de la dessaler, puis en réinjecte une partie dans les réacteurs pour les refroidir. Mais elle a fait les comptes et cela ne colle pas. Il y avait 121.000 tonnes d’eau en juin, avant le démarrage de l’épuration. TEPCo a calculé qu’il ne devrait plus y en avoir que 60.000 tonnes… et il y en a 98.000 tonnes. Et de soupçonner qu’entre 200 à 500 tonnes d’eau souterraine par jour pénètre dans les sous-sols des réacteurs 1 à 4. Ce que ne dit pas la compagnie, c’est que les échanges avec la nappe phréatique doivent avoir lieu dans les deux sens et que la pollution se répand.
TEPCo pompe et décontamine 1 000 tonnes par jour actuellement. Elle en injecte 550 tonnes pour refroidir les réacteurs. S’il en pénètre 500 tonnes supplémentaires des nappes phréatiques, le niveau ne peut pas baisser. Le typhon Roke, le quinzième de l’année, a déversé des trombes d’eau sur la centrale la semaine dernière et le niveau est monté de 44 cm en 24 heures dans les sous-sols du réacteur n°1, un peu moins dans les autres. Cela n’a pas débordé, mais la situation reste fragile.
Le système de refroidissement, prétendument en “circuit fermé”, est visible sur une vidéo mise en ligne par TEPCo : il y a des kilomètres de tuyaux et des pompes de camions de pompier ou autre pour faire fonctionner le tout. Un nouveau tsunami, et il faut tout recommencer.
Comme elle s’est engagée à ramener la température des réacteurs sous les 100°C pour limiter la vapeur d’eau qui dégage de la radioactivité dans l’atmosphère, la compagnie ne peut pas réduire la quantité d’eau injectée. Elle veut même l’augmenter. Quant à envisager de colmater les fuites, c’est impossible avant des années à cause de la forte radioactivité…
Une barrière entre les réacteurs et la mer
Bref, cette situation va perdurer. TEPCo veut donc construire une barrière souterraine entre les réacteurs et la mer pour contenir les fuites et empêcher un transfert vers le milieu marin. Elle construit aussi une structure métallique sur le réacteur n°1, visible sur la webcam pour empêcher l’eau de pluie de pénétrer. Les autres réacteurs devraient suivre.
La centrale n’est pas non plus à l’abri d’une nouvelle secousse qui peut endommager sérieusement les structures fragilisées par les précédents séismes, le tsunami et les explosions hydrogène. D’ailleurs, TEPCo vient de découvrir une poche d’hydrogène dans des tuyaux du réacteur n°1. Une nouvelle explosion n’est donc pas à exclure, même si la compagnie se veut rassurante.
Malgré cela, les autorités espèrent déclarer bientôt que la centrale est “stabilisée” et permettre aux personnes évacuées de rentrer chez elles.Alors que pour de nombreuses personnes il faudrait élargir la zone d’évacuation. Il y a deux raisons d’éloigner les habitants : la menace de nouveaux rejets massifs en cas d’aggravation soudaine et la contamination des territoires. Les populations, évacuées ou non, n’en peuvent plus et ne savent pas quand ce cauchemar va se terminer. Celles qui sont parties se demandent si elles rentreront un jour. Celles qui sont restées se demandent si elles ne feraient pas mieux de partir. Dans les zones contaminées mais non évacuées, il y a déjà beaucoup de familles éclatées : les enfants seuls ou les enfants et la mère ont été éloignés volontairement. Sans aide gouvernementale, d’autres n’ont pas le choix et doivent rester.
La nécessité d’une mesure de la radioactivité
Face à une telle situation, malheureusement durable, l’accès à la mesure de la radioactivité est primordial. On ne compte plus les initiatives en ce sens. Des universitaires sont en train de finaliser une cartographie dans un rayon de 80 km autour de la centrale. Un groupe Facebook a fait analyser de nombreux échantillons de sol de Tokyo… On trouve sur Internet de nombreux relevés de débit de dose ambiant fait par les autorités ou des amateurs.
L’Acro est en contact avec plusieurs projets de laboratoires indépendants pouvant distinguer la pollution radioactive de la radioactivité naturelle. Dans certains cas, nous avons juste fourni du conseil technique. Dans d’autres nous avons installé le laboratoire, testé et qualifié les détecteurs, formé les utilisateurs. Afin de favoriser l’entraide technique et la coopération nous avons aussi initié un réseau. Et pour que ces projets soient pérennes, nous avons lancé une souscription pour ouvrir un laboratoire aussi sophistiqué que le nôtre sur place qui prendrait le relais du soutien technique que nous fournissons actuellement. Cela en collaboration étroite avec les associations avec lesquelles nous sommes en contact depuis de très nombreuses années.