A un an des JO de Tôkyô, l’eau contaminée est-elle “sous contrôle” ?

L’été 2013 avait été marqué par des scandales à répétition concernant l’eau contaminée (lire notre synthèse rédigée à l’époque). En septembre 2013, le premier ministre japonais, Shinzô Abe, avait alors assuré au Comité International Olympique que la situation était “sous contrôle”. Cela avait suffit et les Jeux avaient été attribués au Japon. Six ans plus tard, à un an des J.O., qu’en est-il ?

TEPCo a créé un portail dédié à l’eau contaminée qui donne une information limitée aux stocks et pas aux flux. Il faut connaître la situation pour comprendre et fouiller le site pour trouver des données, qui ne sont parfois disponibles qu’en japonais.

Dans son dernier bilan sur les flux, TEPCo indique injecter 71 à 72 m3 par jour et par réacteur d’eau pour refroidir les coriums, ce mélange de combustible fondu et débris. Cette eau se contamine fortement et fuit vers les sous-sols des bâtiments réacteurs où elle se mélange à l’eau déjà présente et celle qui s’infiltre depuis les nappes phréatiques.

Pour un bilan de l’eau pompée dans les sous-sols, il faut aller consulter la dernière version d’un autre document. Les infiltrations d’eau souterraine et d’eau de pluie sont actuellement de 150 m3 par jour, qui viennent s’ajouter à l’eau de refroidissement. C’est monté à 250 m3 jour à la fin de la saison des pluies (mi-juillet).

Toute cette eau contaminée est pompée des sous-sols et décontaminée. Une partie est réinjectée pour le refroidissement et l’autre est stockée dans des cuves. Le document précédent indique que le stock d’eau traitée est de 1 048 270 m3 (retrait de 62 radioéléments par la station ALPS) auxquels il faut ajouter 90 948 m3 partiellement traités (seuls le strontium et césium ont été retirés). Il y a aussi 17 280 m3 d’eau dans les sous-sols des 4 réacteurs accidentés et 15 040 m3 dans deux autres bâtiments.

Le portail, quant à lui, indique qu’au 18 juillet dernier, le stock d’eau traitée stockée s’élevait à 1 145 809 m3. Sur le site, il y aurait 970 cuves : 129 avec de l’eau partiellement traitée et 827 avec de l’eau ayant subi un traitement complet.

Comme l’explique l’Asahi, TEPCo s’était engagée à réduire le volume d’eau des sous-sols, peu étanches, car elle est très contaminée. Elle présente aussi un risque en cas de nouveau tsunami. Mais les volumes ne diminuent pas et la compagnie n’a pas de solution à proposer. Elle se serait fait tancer lors de la réunion de juin dernier avec l’Autorité de régulation nucléaire.

Pour réduire les infiltrations, TEPCo a mis en œuvre plusieurs actions. Tout d’abord, elle pompe la nappe phréatique en amont des réacteurs. Elle pompe aussi à proximité, mais la contamination peut atteindre 13 000 Bq/L en bêta total selon les derniers résultats publiés par TEPCo. Une partie est partiellement décontaminée et rejetée en mer et l’autre est injectée dans les sous-sols pour être traitée avec l’eau la plus contaminée. TEPCo a aussi gelé le sol tout autour des quatre réacteurs accidentés, sur 1,4 km, afin de limiter les transferts. Mais le stock dans les cuves continue à s’accroître, sans solution pour le moment.

Officiellement il resterait plus que du tritium (hydrogène radioactif) dans cette eau traitée, qu’il est difficile de séparer et stocker. Mais TEPCo a fini par admettre que 80% du stock d’eau traitée avait une contamination résiduelle qui dépasse, en concentration, les autorisations de rejet en mer. La concentration en strontium, particulièrement radio-toxique, peut atteindre 600 000 Bq/L, ce qui est environ 20 000 fois plus que la limite autorisée. La compagnie parle maintenant d’effectuer un second traitement avant rejet en mer… En mai dernier, le gouvernement a proposé que l’eau reste dans les cuves plus longtemps que prévu, pour laisser passer les JO. Il n’y a pas eu de progrès depuis.

Il y a quelques données sur la contamination de l’eau dans les cuves. Il s’agit de moyennes par zone. On observe des dépassements de la concentration maximale autorisée pour le rejet pour le tritium, l’iode 129, le strontium-90 et le ruthénium-106.

Imaginons qu’une partie de l’eau soit traitée une deuxième fois et diluée pour réduire la concentration en tritium, combien de temps faudrait-il pour la rejeter en mer ? Si l’on se base sur les autorisations annuelles de rejet et l’inventaire de tritium, cela prendrait entre 40 et 150 ans, comme nous le disions en 2014. Un chercheur est arrivé à 17 ans, avec d’autres hypothèses. Selon le Maïnichi, Hiroshi Miyano a d’abord calculé que le stock d’eau contaminée au tritium, qui s’élève à plus d’un million de mètres cubes, passerait à 700 millions de mètres cubes après dilution pour obtenir une concentration inférieure à 1 500 Bq/L (limite utilisée actuellement pour les rejets en mer). Il ne s’est pas préoccupé, semble-t-il de la limite annuelle. Puis, il a pris en compte le débit des pompes des circuits de refroidissement des réacteurs 5 et 6, qui fonctionnent encore, pour arriver à 17 ans, en supposant qu’elles fonctionnent sans s’arrêter. Le ministère de l’économie, plus optimiste, avait estimé, en 2016, qu’il suffirait d’un peu plus de 7 années.

Comme les nappes phréatiques sont contaminées, il y a toujours un transfert de la pollution radioactive vers l’océan, qui est beaucoup plus faible qu’au début de la catastrophe. Au pied de la centrale, les dernières données de TEPCo mettent en évidence une contamination en césium de l’eau de mer qui peut atteindre 100 Bq/L pour le césium. Cela prouve qu’il y a encore des fuites vers l’océan. Mais cela se dilue rapidement. Un peu plus loin, des données trouvées sur le site de l’autorité de régulation nucléaire, montrent que l’on trouve du césium-137 et du tritium par endroits, mais à des concentrations très faibles. Encore plus au large, les dernières données sont ici. Les niveaux sont tout aussi faibles, voire plus faibles. Les sédiments marins, qui stockent le césium, sont, quant à eux, plus contaminés. Les dernières données publiées donnent des niveaux jusqu’à 210 Bq/kg de sédiments secs pour le césium-137.

Pour ce qui est de la contamination des poissons, cela dépend de l’espèce et de la zone de pêche. Dans le port devant la centrale accidentée, les derniers résultats publiés par TEPCo font état de plusieurs prises qui dépassent la limite de mise sur la marché fixée à 100 Bq/kg. Ces poissons ne sont pas destinés à la consommation humaine. Plus au large, toutes les prises contrôlées par TEPCo sont bien dans la limite. Les données du ministère de l’agriculture, de la pêche et de la foresterie sont ici. En 2019, aucun des animaux marins contrôlés n’a dépassé la limite de mise sur la marché.

Pour conclure, les transferts de contaminants vers l’océan ont été bien réduits depuis 2013 et l’annonce tonitruante du premier ministre. En revanche, la gestion de l’eau contaminée constitue toujours un énorme fardeau pour TEPCo, qui n’a pas de solution à proposer pour de nombreux problèmes. Il est donc difficile d’affirmer qu’elle est “sous contrôle”. En revanche, la communication est, elle, “sous contrôle”.