Fukushima+10 : Contamination radioactive de la poussière d’aspirateur – une étude du laboratoire citoyen Chikurin

En attendant la mise en place du laboratoire citoyen d’analyse de la radioactivité, l’ACRO a, lors des deux premières années de la catastrophe nucléaire, effectué de nombreuses mesures dans des échantillons envoyés du Japon. Tous les résultats sont en ligne. Parmi les échantillons très variés analysés, il y a eu, notamment, des poussières d’aspirateur.

A l’occasion du dixième anniversaire de la catastrophe de Fukushima, le laboratoire citoyen Chikurin a effectué une nouvelle campagne d’analyse de la contamination radioactive des poussières d’aspirateur dans 153 maisons. Tous les résultats sont en ligne en japonais. Cette étude est en complément d’autres projets de surveillance citoyenne de la radioactivité auxquels Chikurin est aussi associé :
– la cartographie de la contamination des sols par le réseau Minna no data
– le relevé des débits de dose ambiants par le Fukuichi Environmental Radiation Monitoring Project.
Ce projet a pour but d’évaluer la contamination intérieure en mesurant la concentration en césium dans la poussière des aspirateurs domestiques, 10 ans après l’accident nucléaire. L’exposition des habitants par inhalation de ces poussières vient s’ajouter aux autres expositions à la radioactivité.

Les résultats sont disponibles dans ce tableau en japonais où les sites sont classés du plus contaminé au moins contaminé. Ils peuvent aussi être visualisés sur cette carte qui indique la zone proche de la maison, de sorte que les personnes ne puissent pas être identifiées :

 

Les maisons numérotés 1, 3 et 7 dans le tableau sont situées dans la zone dite de retour difficile et personne n’y habite depuis 2011. Les résultats sont donnés à titre indicatif. La contamination la plus élevée, dans la maison 1, est de 45 000 Bq/kg.

Dans 5 maisons habitées, situées dans les quartiers Haramachi de Minamisôma et Komiya d’Iitaté-mura, la contamination dépasse 8 000 Bq/kg, qui est le seuil fixé après la catastrophe à partir duquel un déchet doit être géré comme un déchet radioactif. Le niveau le plus élevé, dans la maison n°2 située à Minami-Sôma, est de 29 000 Bq/kg.

Le seuil de libération fixé à 100 Bq/kg pour des matériaux issus du démantèlement des installations nucléaires est dépassé pour des poussières prélevées dans des maisons situées dans les provinces de Fukushima, Ibaraki, Niigata, Chiba, Miyagi, Iwaté et Tôkyô.

Les maisons 29 et 30, situées respectivement dans les provinces d’Ibaraki et de Niigata, ont une contamination de l’ordre de 1 100 Bq/kg, qui est élevée par rapport aux autres maisons environnantes. Mais dans les deux cas, les habitants sont originaires de Minami-Sôma et ont probablement emporté des poussières radioactives lors de leur déménagement et de leurs allées et venues.

Ces poussières domestiques peuvent être inhalées par les habitants et rester bloquées dans les alvéoles pulmonaires. En effet, seule une faible partie du césium est soluble. Comme décrit dans ce document en japonais, des linges en lin ont été déposés en haut de placards ou armoires dans des maisons pour collecter de la poussière. Ils ont ensuite été rincés, et l’eau de rinçage filtrée, avant d’être analysée pour déterminer la part soluble du césium dans les poussières. Il en ressort qu’environ 75 % ou plus du césium de la poussière à l’intérieur n’est pas soluble dans l’eau. Cela signifie qu’il y a une forte possibilité que du césium non soluble reste dans les alvéoles pulmonaires pendant une longue période lorsque de petites particules de poussière domestique sont inhalées.

Chikurin demande que cette voie d’exposition soit prise en compte et conteste la façon dont les doses sont évaluées pour permettre le retour dans les zones évacuées.

Une grande bibliothèque va être construite à Ôkuma

La commune d’Ôkuma est presque entièrement classée en zone dite de “retour difficile”. L’ordre d’évacué y a été levé dans une toute petite partie, en 2019. Et la zone devant la gare, qui a rouvert, doit être aussi réhabilitée. Cela fait partie de la politique de reconquête, quels qu’en soient les coûts.

Selon le Fukushima Minpo, les autorités veulent maintenant construire un complexe scolaire à dans le district d’Ogawara d’Ôkuma, de la crèche au collège, auquel serait associé une grande bibliothèque pouvant abriter 50 000 livres. Le complexe, dont une maquette a été dévoilée, devrait ouvrir en avril 2023. Y aura-t-il des habitants et des enfants pour en profiter ?

Ôkuma avait une bibliothèque municipale avec 100 000 livres avant la catastrophe nucléaire, située dans zone très contaminée. La commune a reçu près de 2 000 livres depuis.

Rétractation de deux articles scientifiques controversés

Deux articles scientifiques publiés en 2017 avaient fait polémique car des données sur des doses prises par des habitants de Daté avaient été utilisées sans leur consentement. Et les auteurs s’étaient trompé dans leur interprétation, comme nous l’avions rapporté en janvier 2019. Les deux articles scientifiques en question ont finalement été rétractés durant l’été 2020 par leurs auteurs. Cela aura pris du temps, mais la polémique est définitivement close. Voici les liens vers le premier et le deuxième articles rétractés avec l’avertissement de l’éditeur et le billet de retractation watch.

L’erreur d’interprétation des données a induit une sous-estimation de la dose reçue sans que cela ne choque les auteurs, puisque c’était conforme à leur a priori idéologique. Une sur-estimation les aurait alerté ! Et comme l’explique ce billet, un troisième article scientifique était prévu par ces mêmes auteurs sur la relation entre la dose externe et la dose interne reçues par les habitants de Daté, mais il n’a jamais été publié car les résultats ne correspondaient pas à ce qui était attendu. On peut donc avoir des doutes sur la qualité scientifique des autres articles de ces auteurs concernant la catastrophe de Fukushima.

Un autre problème est que l’un des deux auteurs des articles rétractés, Ryûgo Hayano, était fréquemment invité et mis en avant par l’IRSN et le CEPN car il disait que ces deux organismes voulaient entendre… Il a notamment été invité à des rencontres lycéennes à Cherbourg en Cotentin en mars 2019, en connaissance de cause puisque la polémique sur ses articles avait déjà éclaté ! Et d’un autre côté, l’IRSN n’a pas hésité à licencier une chercheuse car les résultats de ses recherches à Fukushima ne cadraient pas avec les préjugés de ses supérieurs hiérarchiques.

Cancers de la thyroïde : interview de Hisako Sakiyama

La dernière livraison du Asia-Pacific Journal publie une interview passionnante de Hisako Sakiyama, qui a été chercheuse et membre de la commission d’enquête parlementaire sur la catastrophe nucléaire de Fukushima (NAIIC). Elle a aussi fondé, avec Ruiko Muto, le Fonds 3.11 pour les enfants atteints d’un cancer de la thyroïde en 2016. Cette interview, menée en juin 2018 par Katsuya Hirano et Hirotaka Kasai, a été mise à jour en août 2020. Nous reprenons ici, en français, des extraits relatifs aux cancers de la thyroïde.

Hirano : Au début, certains chercheurs ont […] affirmé que le nombre de cas [de cancers de la thyroïde] augmente simplement en raison d’un dépistage plus systématique avec des échographies, de sorte que le nombre élevé de cas est dû à la nouvelle technologie de dépistage et n’est pas lié à l’exposition aux radiations de la catastrophe nucléaire. Dites-moi ce que vous en pensez.

Sakiyama : Lors de la première campagne de dépistages, 116 enfants au total, sur les quelque 300 000 enfants testés, ont été suspectés d’avoir un cancer de la thyroïde. C’est un taux de cancer de la thyroïde des dizaines de fois supérieur à la normale sur une période de deux ans. Pourtant, ces chercheurs continuent de rejeter le lien entre cette incidence exceptionnellement élevée de cancer de la thyroïde chez les enfants et l’exposition aux radiations, et insistent sur le fait qu’elle est le résultat d’un “dépistage massif”.

En fait, alors que seulement 10 % de la première série de dépistages avait été effectuée, le Dr Yamashita Shunichi avait déjà remarqué que les taux de cancer avaient augmenté, avec 3 cas confirmés et 10 cas suspects. Il a donc dû trouver une explication à ces résultats. Il a annoncé que cela était dû à “l’effet du dépistage massif” et non à une épidémie. Je crois que l’annonce a été faite le 11 mars 2013, lors d’une réunion annuelle de la NRC (Commission américaine de régulation nucléaire) aux États-Unis.

Hirano : Ce qui signifie que le Dr Yamashita et ses collègues ont œuvré dès le début pour établir un discours, même dans les instances internationales, selon lequel la catastrophe de Fukushima n’avait pas d’impact sanitaire.

Sakiyama : Exactement. C’était une discussion dont l’issue était prévisible. La décision avait déjà été prise avant même que les projections n’aient commencé. Même après qu’il soit devenu évident que les taux d’incidence du cancer de la thyroïde dans les zones touchées étaient plusieurs dizaines de fois supérieurs à la moyenne nationale, ils ont insisté sur le fait que cela était dû aux effets du dépistage systématique.

Cependant, au cours de la deuxième campagne de dépistages, ils ont commencé à voir certains résultats qui n’étaient pas normaux et qui ne pouvaient pas être expliqués par l’effet du dépistage systématique. À ce moment, certains de ces experts médicaux ont commencé à exprimer des inquiétudes quant à la possibilité d’un “sur-diagnostic”. Par “sur-diagnostic”, ils entendent l’examen de cas qui, autrement, ne provoqueraient pas de symptômes ou de décès au cours de la vie normale d’un patient. Mais ces inquiétudes ne venaient pas des cliniciens, mais d’épidémiologistes tels que le Dr Tsugane Shoichiro, directeur du Centre de recherche pour la prévention et le dépistage du cancer, Centre national du cancer du Japon, et le Dr Shibuya Kenji, professeur invité du département de politique de santé mondiale de l’École supérieure de médecine de l’Université de Tokyo.

Le Dr Tsugane a déclaré qu’en général, le cancer de la thyroïde a un pronostic approprié, mais qu’en sur-diagnostiquant les enfants, ils pourraient être soumis à des opérations chirurgicales inutiles. Cela finirait par leur laisser non seulement des cicatrices au cou, mais aussi entraîner une stigmatisation suite au fait qu’ils ont développé un cancer dû à une exposition aux radiations. Il a averti que cela affecterait probablement leur éligibilité à l’assurance cancer, et qu’ils pourraient être victimes de discrimination lors de leur mariage ou dans d’autres contextes pour avoir été exposés à des radiations. Il a fait valoir que l’examen des enfants n’avait que peu d’intérêt et a suggéré de réduire les dépistages du cancer de la thyroïde à Fukushima. En fait, c’est la politique officielle qui va maintenant dans cette direction avec la réduction de l’ensemble des dépistages de la thyroïde.

D’autre part, le Dr Suzuki Shinichi, professeur de chirurgie de la thyroïde à l’université médicale de Fukushima, qui a opéré la plupart des patients atteints d’un cancer de la thyroïde à l’université, a réfuté l’accusation de sur-diagnostic. Il a présenté à la Société japonaise de chirurgie thyroïdienne des preuves que parmi les 145 patients opérés, environ 78% avaient des métastases ganglionnaires et environ 45% présentaient une croissance invasive. Sur la base de ces faits, il a déclaré qu’un sur-diagnostic est peu probable.

Hirano : Il semble qu’ils s’approprient un discours sur la discrimination et les préjugés afin de confondre la question des radiations et du cancer, et de tout balayer sous le tapis.

Sakiyama : Exactement. Comme vous le savez, le Dr Yamashita est malheureusement une figure influente au sein de l’Association de la thyroïde. Au début, il disait qu’il était nécessaire de procéder à des dépistages du cancer de la thyroïde, mais aujourd’hui, il est devenu l’une des voix les plus fortes qui plaident pour une réduction du programme.

Une réunion internationale d’experts a eu lieu l’année dernière à Fukushima, et après cette réunion, le Dr Yamashita et le Dr Niwa, président de la Fondation pour la recherche sur les effets des rayonnements, ont fait une recommandation au gouverneur de la préfecture de Fukushima. Dans leur rapport intérimaire, les docteurs Yamashita et Niwa ont déclaré qu’il était difficile de trouver un lien entre les cancers découverts lors des dépistages et l’exposition aux radiations. Ils ont suggéré de réduire les dépistages, de ne pas les arrêter complètement mais de rendre la participation “volontaire”.

Une des justifications de ce choix est la théorie dite de la cancérogenèse des cellules thyroïdiennes du fœtus qui a été présentée par le Dr Takano Tōru de l’Université d’Osaka. Selon lui, les jeunes enfants développent un risque plus élevé de cancer de la thyroïde parce que les cellules tumorales de la thyroïde sont dérivées directement des cellules fœtales de la thyroïde, qui n’existent que chez les fœtus et les jeunes enfants, et que les cellules fœtales possèdent des caractéristiques cancéreuses ; cependant, les tumeurs de ces cellules fœtales immatures chez les jeunes diminuent pendant la petite enfance et cessent complètement de croître après l’âge moyen. Le pronostic est donc excellent et le processus ne progresse pas pour provoquer des décès par cancer.

Au contraire, a-t-il poursuivi, si vous développez un cancer de la thyroïde à un âge moyen ou avancé, les cellules tumorales subissent une prolifération soudaine, qui peut entraîner la mort par cancer. Il conclut donc que le cancer de la thyroïde chez les jeunes enfants ne doit pas être diagnostiqué.

Je ne savais pas grand-chose sur le cancer de la thyroïde, mais comme le Dr Takano parlait de sa nouvelle théorie avec tant d’assurance, je l’ai beaucoup étudiée. Ce que j’ai découvert, c’est que le Dr Takano est la seule personne qui défende réellement cette théorie de la cancérogenèse des cellules thyroïdiennes du fœtus. Pourtant, il n’a publié aucun article sur l’isolement et la caractérisation des cellules thyroïdiennes fœtales.

Kasai : Vous voulez dire qu’il est le seul au monde ?

Sakiyama : Oui, mais il est tellement sûr de lui dans sa théorie qu’il prétend que le problème est que tout le monde a pris du retard sur ses nouvelles découvertes scientifiques. Mais si vous proposez cette théorie, vous devez d’abord trouver une cellule fœtale, puis la caractériser. C’est la voie qu’un chercheur devrait suivre, mais il ne semble pas le faire. J’ai vérifié ses articles, et ils semblent tous hypothétiques. Si on imagine une première chose, on peut alors imaginer qu’il y autre chose, et donc que la cancérogenèse des cellules thyroïdiennes du fœtus existe. Il n’existe aucune preuve expérimentale.

Hirano : Voulez-vous dire qu’en l’absence de toute preuve expérimentale, il soutient que les examens de la thyroïde, qui jouent un rôle crucial dans la surveillance de la santé des enfants, devraient être réduits ?

Sakiyama : Exactement. Et une personne comme lui a été nommée membre du comité de suivi régional pour l’étude sanitaire à Fukushima.

Je suis sûre que vous avez entendu le Dr Yamashita dire aux habitants de Fukushima de sourire et de se détendre lors d’une réunion publique juste après l’accident nucléaire. Il a dit à son auditoire : “Les radiations n’affectent pas les gens qui sont heureux et souriants. Les effets des radiations vous parviennent si vous vous en inquiétez. Cette théorie a été prouvée par des expériences sur des animaux “

Hirano : Oui, je sais qu’il a été critiqué dans les médias pour sa désinvolture. Une telle remarque dédaigneuse était inacceptable, ont-ils dit.

Sakiyama : C’est exact. Malheureusement, cela ne s’est pas arrêté là. Tout récemment, M. Takano a donné une conférence à Osaka, et elle a été mise en ligne sur YouTube, alors je l’ai regardée. Vous ne croiriez pas ce que j’ai entendu dans la vidéo. Au début de la conférence, le Dr Takano a mentionné la remarque du Dr Yamashita et l’a félicité pour cela. “Le professeur Yamashita sait vraiment quoi dire.” Quand j’ai entendu cela, je n’avais plus de mots. […]

Hirano : Ce qui m’a toujours semblé étrange, c’est que le Dr Yamashita s’est rendu à Tchernobyl plus d’une centaine de fois et qu’il a été très impliqué dans les projets d’aide médicale là-bas, bien avant la catastrophe nucléaire de Fukushima. Comme vous l’avez mentionné, il est considéré comme l’autorité numéro un au Japon en matière de santé radiologique. Il est difficile de comprendre qu’une personne comme lui, qui a vu de ses propres yeux les effets de l’accident de Tchernobyl sur la santé, ait été aussi active pour tenter de dissimuler les risques sanitaires liés à l’exposition aux radiations.

Même à Tchernobyl, les effets sur la santé humaine ont été dissimulés dès le début, et certains ont utilisé l’idée d’un sur-diagnostic pour minimiser les risques. Il aurait été témoin de tout cela.

Sakiyama : Exactement.

Hirano : Il a dû constater qu’il y avait une forte augmentation des cas de cancer de la thyroïde après la catastrophe, et que les gouvernements de l’Ukraine et des pays voisins étaient obligés d’admettre que les différents problèmes de santé découlaient de l’accident. Cependant, en ce qui concerne Fukushima, le Dr Yamashita utilise les mêmes méthodes que celles utilisées par l’Union soviétique pour continuer à cacher ces problèmes. Que pensez-vous de cela du point de vue d’un scientifique ?

Sakiyama : Je ne pense pas qu’il adopte une position de scientifique. J’ai le sentiment qu’il a abandonné la science. Beaucoup de gens me demandent pourquoi le Dr Yamashita agit comme il le fait et quelles sont ses intentions, mais je leur dis que les gens qui prennent la science au sérieux et qui valorisent l’éthique n’ont pas de réponse à cette question.

Je me souviens cependant qu’il a dit un jour qu’il avait du mal à dire “non” à tout ce que le gouvernement central voulait.

Hirano : Oh, je me souviens aussi de ça. Il a dit quelque chose comme : “En tant que Japonais, je ne peux pas dire non (au gouvernement)”.

Sakiyama : C’est probablement une des raisons pour lesquelles il reste fidèle au gouvernement central. Il a dit à son public que la vérité absolue est du ressort du gouvernement. Il est actuellement vice-président de l’université de médecine de la province de Fukushima, il semble donc probable qu’il continuera à dissimuler une chose après l’autre et qu’il se contentera de suivre ce que dit le gouvernement.

Kasai : Je crois donc que vous dites qu’une sorte d’hypothèse, ou une pseudo-hypothèse, sur l’évolution du cancer de la thyroïde est apparue, qui s’écarte des méthodes fondamentales de la science et de la médecine, et qui est diffusée à la société d’une manière qui s’écarte des règles normales ? En outre, vous dites également que cette discussion semble avoir pris une dimension politique.

Sakiyama : C’est vrai. Elle a été exploitée à des fins politiques.

Kasai : Pourtant, lorsqu’ils donnent des explications au grand public, ils se servent de leurs statuts d’expert en sciences médicales.

Sakiyama : C’est vrai.

Kasai : Ainsi, les citoyens ordinaires comme nous, sont informés par les médias que les experts dans ce domaine disent ceci ou cela et en viennent à penser “oh, il a été scientifiquement prouvé que les radiations sont sans danger, ou ne sont pas dangereuses” et “20 mSv/an est sans crainte”. C’est ainsi que nous sommes parvenus à un consensus social sur les risques liés aux radiations.

Sakiyama : Absolument. Je ne comprends pas pourquoi ils le font et quelles sont leurs motivations. Le Dr Yamashita avait déjà un statut social très élevé en tant que vice-président de l’université de Nagasaki. Mais il était évident qu’il a menti au sujet d’un garçon de 4 ans qui avait développé un cancer de la thyroïde. Il a d’abord décidé de ne pas rendre l’affaire publique, mais lorsque nous l’avons annoncé, il a finalement avoué.

En fait, un journaliste l’a interviewé et lui a demandé pourquoi il voulait cacher l’affaire. Le Dr Yamashita a répondu : “Je ne peux rien dire à moins que cela ne soit annoncé officiellement”. Mais même en disant cela, il avait officiellement annoncé qu’il n’y avait pas de cas de cancer chez les enfants de 5 ans et moins.

Hirano : Il s’est manifestement contredit.

Sakiyama : C’est ridicule, n’est-ce pas ? Au moment de la rédaction du rapport intérimaire, il était devenu évident qu’un enfant de 5 ans avait été atteint d’un cancer de la thyroïde immédiatement après l’accident. Il a cependant ignoré ce cas et a décidé d’annoncer qu’il n’y avait aucun cas de cancer chez les enfants de 5 ans ou moins. Il a utilisé cette affirmation comme base pour rejeter le lien entre le cancer de la thyroïde et les radiations à d’autres experts […].

Hirano : Les gens de Fukushima ne connaissent pas [ces résultats du dépistage du cancer de la thyroïde] ?

Sakiyama : Non, ils ne les connaissent pas. J’ai visité un centre de repos l’année dernière, et j’y ai rencontré une dizaine de mères. Vous pouvez supposer que ces familles, qui ont envoyé leurs enfants dans un endroit comme celui-ci, sont susceptibles d’être particulièrement préoccupées par les radiations, mais étonnamment, aucune des mères ne connaissait la forte prévalence du cancer de la thyroïde chez les enfants. J’étais juste choquée.

J’ai essayé de comprendre pourquoi, et je me suis rendu compte que les habitants de Fukushima s’informent principalement auprès de sources d’information locales, comme les journaux Fukushima Minpō (福島民報) et Fukushima Minyū (福島民友), et Fukushima TV ou d’autres chaînes de télévision locales, qui ne prennent pas ces informations comme des sujets majeurs.

Hirano : Les médias locaux ne rapportent pas de tels faits ?

Sakiyama : C’est exact. Ces mères m’ont également dit qu’elles avaient caché à leurs voisins et même à leurs proches qu’elles envoyaient leurs enfants dans un centre de réhabilitation. Elles avaient peur d’être critiquées ou étiquetées comme étant trop sensibles à l’exposition aux radiations, alors elles ont simplement dit aux gens qu’elles partaient en vacances, sans mentionner la récupération du tout.

J’ai également été surpris lorsque nous sommes allés à la mairie de Kôriyama pour voir si notre organisation, le 3.11 Fund for Children with Thyroid Cancer, pouvait laisser des formulaires de demande à la réception. En fait, la ville de Kôriyama compte le plus grand nombre de cas de cancer de la thyroïde chez les enfants, avec d’autres comme Iwaki. Mais les responsables de la ville de Kôriyama n’en avaient aucune idée. Lorsque nous leur avons parlé du nombre croissant de cas de cancer, ils ont été choqués, voire paniqués.

[…]

Hirano : Il existe également des points chauds radioactifs en dehors de la province de Fukushima, notamment à Chiba, Ibaraki, Tochigi, Gunma, Iwaté et Miyagi. Pensez-vous que les gens, en particulier les parents de jeunes enfants, devraient s’inquiéter du risque d’exposition aux radiations ? Le gouvernement n’a pris aucune mesure pour les protéger, n’est-ce pas ?

Sakiyama : Non, il n’en a pas pris. Ils se sont concentrés exclusivement sur Fukushima et ont laissé toutes les autres provinces livrées à elles-mêmes.

Dans l’année qui a suivi l’accident, des préfectures comme Gunma, Ibaraki, Iwaté et Tochigi ont convoqué un conseil consultatif. Chaque province a convoqué des experts et les a laissés discuter de la question de savoir s’ils devaient également procéder à des dépistages du cancer de la thyroïde. Mais ces experts sont arrivés à la conclusion que le dépistage n’était pas nécessaire, et leur décision a été communiquée au ministère de l’environnement. La décision finale a été prise lors de la “conférence d’experts” organisée sous l’égide du ministère de l’environnement, présidée par le Dr Nagataki Shigenobu, professeur émérite de l’université de Nagasaki.

Toutefois, comme les mères des petites communautés de ces provinces étaient nombreuses à s’inquiéter, certaines municipalités ont apporté leur soutien à des opérations de dépistage. Il n’existe qu’un faible nombre d’exemple. La plupart des dépistages sont effectués par des bénévoles d’associations à but non lucratif et d’ONG avec l’aide de médecins inquiets, mais ce qu’ils font n’est qu’un programme d’examen de la thyroïde à petite échelle.

Ils ont trouvé une personne atteinte d’un cancer de la thyroïde dans la préfecture d’Ibaraki.

[…]

Hirano : Vous avez donc été témoin des dissimulations répétées et avez réalisé l’incompétence du gouvernement en matière d’aide aux victimes. Avez-vous lancé le “Fonds 3.11 pour les enfants atteints du cancer de la thyroïde”, en raison de l’urgence de la crise ?

Sakiyama : Oui.

Hirano : Une autre chose que vous avez mentionnée plus tôt et qui me revient à l’esprit est la façon dont l’exposition aux radiations est devenue une cible de stigmatisation dans l’esprit du public, ce qui oblige les habitants de Fukushima à garder le silence sur leurs problèmes de santé. Ce genre de pression sociale crée une situation où ils doivent continuer à se rendre en secret dans les centres de réhabilitation, et ils hésitent même à se faire dépister pour le cancer.

Je crois savoir que vous vouliez soulager un peu cette pression pour les personnes qui s’inquiètent pour leur santé et leur traitement du cancer, en apportant un soutien financier par le biais du “3.11 Fund for Children”, qui est une organisation indépendante à but non lucratif, pour que les gens aient réellement accès au dépistage. Est-ce bien le cas ?

Sakiyama : C’est exact. Nous avons organisé de nombreuses réunions et conférences, mais nous avons remarqué que nous avions tendance à toujours avoir le même public lors de ce genre d’événements. Puis nous avons commencé à chercher un moyen d’atteindre ceux qui ont besoin d’aide, et nous avons réalisé que les enfants atteints d’un cancer de la thyroïde et leurs familles ont souvent été isolés parce qu’ils ne savaient pas où aller et comment obtenir de l’aide. Ils sont également accablés par les frais médicaux liés aux examens répétés et aux visites à l’hôpital, et certains patients auront besoin de soins médicaux tout au long de leur vie. Nous avons tous convenu que ce sont les personnes que nous voulons vraiment aider et nous avons cherché un moyen de les atteindre.

Nous avions le sentiment que les réunions et les conférences ne nous menaient nulle part, alors nous avons parlé avec plusieurs personnes et avons eu l’idée de donner de l’argent. Au début, nous étions mal à l’aise à l’idée de donner de l’aide sous forme d’argent, mais c’est la seule option pour aider ceux qui ont tendance à être isolés.

Hirano : Vous avez dit qu’il y a en fait huit cas supplémentaires de cancer de la thyroïde chez les enfants, en dehors des 199 enfants et jeunes adultes chez qui on a officiellement diagnostiqué un cancer de la thyroïde ou une suspicion de malignité. Ces personnes ont-elles contacté l’organisation par elles-mêmes pour demander de l’aide après avoir entendu parler du “Fonds 3.11 pour les enfants” ?

Sakiyama : Je crois que oui. Nous avons publié une annonce d’une page entière sur le “3.11 Fund for Children with Thyroid Cancer” dans le journal Fukushima Minpō (福島民報), qui a coûté près d’un million de yens. Les gens nous ont alors contactés, et depuis lors, la NHK suit nos activités. Chaque fois que nous organisons une conférence de presse, elle est diffusée à l’échelle nationale, de sorte que nous avons reçu de nombreuses demandes de renseignements et de candidatures à la suite de la couverture médiatique. Par exemple, une grand-mère qui regardait les nouvelles de la NHK a demandé à bénéficier du fond pour son petit-fils qui avait développé un cancer de la thyroïde.

Au fait, les personnes qui en sont venues à se méfier de l’université de médecine de Fukushima ne veulent pas y subir leur dépistage, donc bien sûr, elles ne seront pas comptabilisées dans les statistiques officielles. Ainsi, même si l’université de médecine de Fukushima publie le nombre de cas de cancer qu’ils voient, nous n’avons toujours pas le vrai décompte.

[…]

Sakiyama : Dans l’ensemble, les personnes chez qui on a diagnostiqué un cancer de la thyroïde ne semblent pas être en colère contre le gouvernement central ou TEPCO, qui sont responsables de la catastrophe nucléaire. Au contraire, ils ont essayé de se cacher du public.

L’autre jour, des membres de Friends of the Earth sont venus d’Allemagne nous rendre visite, alors je leur ai demandé ce qu’ils en pensaient. Ils m’ont dit que si c’était en Allemagne, les patients atteints du cancer de la thyroïde seraient très en colère, c’est certain, et qu’ils engageraient des poursuites pour obtenir une indemnisation.

J’aimerais vraiment leur dire qu’ils sont les victimes et qu’ils ne devraient pas avoir honte d’avoir eu un cancer de la thyroïde. C’est le gouvernement central et TEPCO qui devraient avoir honte et être tenus responsables. Malheureusement, c’est le contraire, car la plupart des victimes vivent encore dans l’ombre de la catastrophe nucléaire.

Traduit avec l’aide de www.DeepL.com

Fukushima et la liberté d’expression

Selon l’Asahi, les guides qui accueillent les visiteurs au musée de la catastrophe, qui a ouvert le 20 septembre dernier à Futaba, n’ont le droit de critiquer ni TEPCo, ni le gouvernement. Les 29 guides sont des victimes de la catastrophe ou des personnes formées. Chaque visite guidée dure une heure et est payée 3 500 yens.

Lors des formations qui ont eu lieu cet été, le manuel distribué indiquait qu’il fallait éviter de “critiquer ou diffamer certaines organisations, personnes ou autres installations”. Et si un visiteur interroge le guide à propos de ses sentiments sur la responsabilité de TEPCo, la réponse doit être évasive et le visiteur renvoyé vers le personnel du musée. Chaque guide doit aussi mettre par écrit son propos et le soumettre à la direction du musée qui le corrige. Et si jamais ils critiquent une organisation, leur présentation sera immédiatement arrêtée et ils ne pourront plus jamais être guide dans ce musée.

Certains guides se sont offusqués : en tant que victimes, ils devraient pouvoir critiquer TEPCo et le gouvernement, qui sont responsables de la catastrophe nucléaire. Un autre guide a vu son script corrigé après avoir mentionné cette responsabilité. Pourtant, les rapports d’enquête officiels ont pointé la responsabilité de TEPCo et du gouvernement. Ne pas pouvoir le mentionner dans un musée dédié à la catastrophe nucléaire est scandaleux.

Par ironie du calendrier, le Canard Enchaîné a publié, ce même jour, un article sur le licenciement d’une chercheuse de l’IRSN qui travaillait sur les conséquences de la catastrophe de Fukushima et qui n’acceptait pas de voir ses travaux censurés par sa hiérarchie. En réaction, l’ACRO a quitté le Comité d’orientation des recherches (COR) de cet Institut. La lettre de démission est sur le site de l’association et reprise ci-dessous.

Selon le Canard Enchaîné, le supérieur hiérarchique direct de Christine Fassert, la chercheuse licenciée, « voulait imposer des changements, voire censurer des mots et des phrases [d’un] article, » afin d’« écarter les critiques envers la gestion post-accidentelle du gouvernement japonais, et du secteur nucléaire civil en général », et de « minimiser et relativiser le risque lié à l’exposition aux radiations ».

Cet évènement est très inquiétant car il montre que l’IRSN n’est pas disposé à accepter des résultats de recherches qui remettent en cause ses préjugés. Et quand on est en charge de la sûreté nucléaire, c’est particulièrement grave. Ce n’est pas la seule personne à avoir subi la rigidité de cet institut, mais c’est la première fois que cela conduit à un licenciement, ce qui est scandaleux.

Nous avons déjà souligné, par deux fois, en juillet 2018 et en mars 2019, l’originalité des travaux de Christine Fassert, socio-anthropologue, spécialiste des risques à l’IRSN, qui travaillait sur la confiance, dans le cadre du projet Shinrai en partenariat avec Sciences Po et l’université Tôkyô Tech. Au Japon, comme en France, elle est allée, avec ses collègues japonais, à la rencontre de tous les protagonistes et a interrogé aussi bien des fonctionnaires que des experts indépendants, comme on peut le voir dans cette présentation (copie).

A l’IRSN, on préfère s’intéresser aux personnes qui montrent qu’il est possible de vivre dans les territoires contaminés. Et le paradigme dominant est qu’il faut éviter d’évacuer et faire revenir au plus vite les personnes évacuées, passant outre les directives de l’ONU sur les personnes déplacées à l’intérieur de leur pays qui leur garantissent protection, le droit de choisir entre le retour et une réinstallation, ainsi que leur pleine participation aux décisions (voir notre rapport de 2016 : Fukushima, retour à l’anormale ?). C’est aussi flagrant dans les programmes de recherche européens auxquels l’IRSN participe, où la réduction des incertitudes dans la modélisation des retombées radioactives doit permettre d’éviter d’évacuer inutilement des populations (voir page 58 de cette présentation, par exemple), alors que les défauts dans la modélisation à Fukushima ont aussi conduit à ne pas évacuer des personnes qui auraient dû l’être ! C’est le cas pour les territoires contaminés qui vont jusqu’à une quarantaine de kilomètres vers le Nord-Ouest. L’ordre d’évacuer n’est arrivé que le 11 avril 2011 alors que la catastrophe a débuté le 11 mars 2011.

Dans la pratique, l’IRSN, n’a pas hésité à travailler et à mettre en avant un chercheur peu scrupuleux, comme nous l’avons rapporté en janvier 2019, mais qui disait ce que l’institut voulait entendre. C’est aussi l’objet des “dialogues” de Fukushima soutenus par l’IRSN montrés dans le webdocumentaire “Kotoba” (qui signifie “mot” et pas “dialogue”) : pas de déchets radioactifs, pas de malade, pas de résidents qui ne veulent pas rentrer… Juste quelques petits soucis, mais en douze “dialogues”, tout est réglé ! Le bilan de ces dialogues par l’IRSN est une affligeante liste de banalités. C’est inquiétant pour la gestion post-accidentelle en cas d’accident en France.

Christine Fassert, quant à elle, est aussi allée à la rencontre des personnes qui sont parties et qui ne veulent pas revenir, donnant une visibilité à une catégorie de populations que tout le monde veut ignorer, alors qu’elle est la plus nombreuse. Le projet a aussi examiné les écueils d’une communication sur le risque radiologique essentiellement « rassurante », la difficulté du rôle des experts en radioprotection en prise directe avec le public, la tension entre une politique gouvernementale d’évacuations et de retours pensée par les élites tokyoïtes et la mise en œuvre de ces directives par les maires dans la région de Fukushima… Que des sujets qui n’entraient pas dans le cadre étroit de ce qui était attendu. Alors, c’était le cadre ou elle !

Message de démission expédié le 18 septembre 2020 aux membres du COR :

Madame la Présidente,

Suite au licenciement d’une chercheuse de l’IRSN, je souhaite démissionner du COR. Si l’IRSN n’est pas capable d’accepter des voix singulières en interne, il ne peut pas s’ouvrir à la société.

Dans son avis sur le post-accident, le COR, avait souligné, pour le volet « populations et gouvernance » : « Le GT pense qu’il serait important de mener des recherches sur ce sujet en prenant en compte les avis de toutes les catégories de population. Les auto-évacués échappent au suivi officiel au Japon et à la plupart des études et recherches auxquelles l’IRSN participe. Le retour d’expérience ne peut pas se limiter à la seule population qui souhaite rester sur place ou rentrer, peu représentative de l’ensemble des populations affectées par un accident nucléaire grave. L’IRSN gagnerait à élargir le champ de ses études et recherches ou à se rapprocher d’autres programmes impliquant toutes les personnes affectées par la catastrophe, y compris celles qui ne souhaitent pas rester sur place ou rentrer. »

En cas d’accident nucléaire en France, l’IRSN ne pourra pas choisir parmi les populations affectées. La participation de toutes les parties prenantes sera nécessaire. La chercheuse licenciée est justement la seule personne de l’institut qui s’intéressait à toutes les catégories de population, le programme des « dialogues » n’ayant sélectionné que des personnes en accord avec le paradigme dominant à l’IRSN.

J’ai déjà eu l’occasion plusieurs fois, au sein du COR, d’interroger et d’alerter sur la liberté de publier et de communiquer des chercheurs de l’IRSN, en vain. Jamais le COR n’a accepté d’en débattre.

Depuis le début du COR, j’ai œuvré pour plus d’ouverture et la prise en compte des demandes de la société. J’ai participé à quasiment tous les GT et j’en ai présidé deux. Mais je crains que tout ce travail ait été vain et que l’IRSN ne soit pas prêt à s’ouvrir sincèrement. Dans ces conditions, je ne vois pas d’autre solution que de démissionner du COR.

Bien à vous,

David Boilley

Des ordres d’évacuation vont être levés sans décontamination à la condition qu’il n’y ait pas de retour

Article initialement daté du 27 août et mis à jour

Les autorités japonaises ont levé tous les ordres d’évacuer, sauf dans les territoires les plus contaminés, classées en zones dites de retour difficile. A Futaba et Ôkuma, les deux communes les plus touchées car la centrale de Fukushima daï-ichi est sur leur territoire, le centre, classé en zone de retour difficile, a été décontaminé pour leur permettre de pouvoir continuer à exister.

Pour lever ses ordres d’évacuer, le gouvernement a fixé plusieurs conditions : que les travaux de décontaminations soient terminés, que l’exposition externe ne dépasse pas 20 mSv/an, que les infrastructures et services aient été rétablis et qu’une consultation ait eu lieu. Mais, à la demande de la commune d’Iitaté, il a revu ces conditions.

L’accès au district de Nagadoro de cette commune reste interdit à cause des niveaux élevés de contamination, alors que l’ordre d’évacuer a été levé ailleurs. Il y avait très peu de résidents avant la catastrophe nucléaire. Comme nous l’avons déjà mentionné, les élus veulent y créer un “parc de réhabilitation” et ont donc demandé l’autorisation d’y accéder.

Selon le Maïnichi, avant de donner une réponse favorable, le gouvernement a consulté l’Autorité de régulation nucléaire. Les nouvelles conditions pour lever l’ordre d’évacuer sans effectuer de travaux de décontamination, outre le fait que les résidents ne se réinstallent pas chez eux, sont que les doses annuelles d’exposition aux rayonnements ne dépassent pas 20 millisieverts, que les doses individuelles soient contrôlées à l’aide de dosimètres et que des informations soient fournies pour limiter l’exposition. Pour l’Autorité de régulation les conditions sont essentiellement les mêmes qu’avant et elle a donné son accord.

C’est une façon d’entériner le non-retour des populations dans certaines zones, sans le reconnaître.

Les autorités veulent aussi y faire des essais de “recyclage” des terres contaminées à partir de mars 2021. Comme l’explique de Fukushima Minpo, repris par le Japan Times, le projet remonte à 2016, et après un an de négociations, la commune a cédé. De la terre issue de travaux de décontamination devrait donc être apportée sur 186 hectares afin de les transformer en terre arable.

Les 5 autres communes qui ont une partie de leur territoire classé en zone de retour difficile, ne veulent pas que ces nouvelles mesures soient appliquées sur leur territoire. Elles craignent que le gouvernement les poussent à suivre l’exemple d’Iitaté, ne sachant pas quels sont les plans gouvernementaux en dehors des centres réhabilités. Dans un éditorial, le Maïnichi demande à ce que la décision pour Nagadoro ne soit pas généralisée.

Le dernier bilan officiel du ministère de l’environnement sur les travaux de décontamination et la gestion des déchets engendrés est ici en anglais.

Le gouvernement envisage de lever les derniers ordres d’évacuer avant la fin des travaux de décontamination

Les ordres d’évacuer ont été levés partout, sauf dans les zones dites de retour difficile, où l’exposition externe pouvait dépasser 50 mSv/an au début de la crise. Cela concerne encore sept communes. La décontamination y est beaucoup plus complexe et ne suffit pas à abaisser suffisamment les niveaux d’exposition. Alors, selon l’Asahi, le gouvernement japonais veut y lever les ordres d’évacuer avant même d’avoir terminé les travaux de réhabilitation, à la condition que les habitants ne reviennent pas !

Actuellement, il y a trois conditions à satisfaire avant de lever un ordre d’évacuer : l’exposition externe doit être passée sous la valeur de 20 mSv/an (ce seuil est très élevé en comparaison du seuil de 1 mSv/an utilisé ailleurs, où il n’y a pas eu d’accident) ; les infrastructures et les services comme les routes, l’eau, l’électricité doivent avaoir été rétablis et les travaux de décontamination doivent être terminés ; enfin, des discussions doivent avoir eu lieu avec l’équipe municipale. Pour accélérer le processus dans les derniers territoires évacués, le gouvernement envisage de revoir certaines règles dans les zones où l’exposition externe est passée naturellement sous la barre de 20 mSv/an.

L’ordre d’évacuer pourrait y être levé avant même que les travaux de décontamination aient été effectués, à la condition que personne n’y réside et que la commune en fasse la demande ! Les ministères de l’industrie et de l’environnement se seraient déjà mis d’accord et l’Autorité de régulation nucléaire seraient chargée d’y établir les règles de protection.

C’est la commune d’Iitaté qui aurait fait une telle demande en février dernier. L’ordre d’évacuer est maintenu dans le district de Nagadoro, toujours classé en zone dite de retour difficile. La commune aimerait qu’il soit partiellement levé en 2023. Les 11 foyers concernés n’ont aucune intention de retourner vivre chez eux, même si cet ordre est levé.

La commune aimerait créer un parc dans la zone la plus contaminée. Iitaté n’est pas seule commune concernée par ces difficultés. C’est une façon d’entériner le non-retour des populations dans certaines zones, sans le reconnaître puisque l’ordre d’évacuation sera levé là où il n’y a plus personne à évacuer.

L’héritage de Tchernobyl et la voie navigable transeuropéenne E40

Les retombées radioactives de la catastrophe de Tchernobyl ont pollué de vastes territoires en Ukraine, Biélorussie et Russie. 34 ans plus tard, le réacteur accidenté est confiné sous une arche pour un siècle et la zone d’exclusion a été transformée en une vaste « réserve radio-écologique ». La principale stratégie mise en œuvre est d’attendre la lente décroissance de la radioactivité.

Les récents incendies de forêt sont venus rappeler que la radioactivité n’est pas confinée dans les territoires abandonnés. La rivière Pripiat, qui traverse la zone d’exclusion et passe au pied du réacteur accidenté avant de se jeter dans le Dniepr, charrie aussi continuellement des radioéléments. En aval, plus de 8 millions d’Ukrainiens boivent l’eau du Dniepr et jusqu’à 20 millions mangent des aliments irrigués avec l’eau de ce fleuve. Les années avec de fortes inondations dans la zone d’exclusion (une fois tous les 4 ans environ), les niveaux d’exposition des habitants augmentent de façon significative.

C’est dans ce contexte que l’ACRO a évalué l’impact radiologique de la voie navigable transeuropéenne E40, qui vise à relier la Mer Noire à la Mer Baltique via le Dniepr et le Pripiat, à la demande de la société zoologique de Francfort et du collectif « Save Polesia ». Le rapport est disponible en français et en anglais sur notre site Internet : http://acro.eu.org

Carte du projet de voie fluviale E40, extraite de savepolesia.org. © pg-webstudio.de

Aujourd’hui, la contamination est dominée par le césium-137, le strontium-90 et divers isotopes du plutonium hautement toxique. L’américium-241, le noyau fils du plutonium-241, est également très toxique et sa contribution croissante devrait dominer l’impact radiologique à l’avenir.

La voie navigable intérieure E40 projetée, qui devrait passer à proximité de la centrale nucléaire de Tchernobyl et traverser la zone d’exclusion, aura nécessairement un impact radiologique sur les travailleurs de la construction et de la maintenance, ainsi que sur la population en aval qui dépend de l’eau des rivières Pripiat et Dniepr. Bien que ce projet nécessite de grands travaux tels que la construction d’un barrage et l’alignement du cours de la rivière dans sa partie la plus contaminée, aucune étude d’impact radiologique n’est disponible. Les principes de la CIPR en matière de radioprotection et les conventions d’Aarhus et d’Espoo exigent pourtant des études environnementales et radiologiques, une justification du projet et la participation des parties prenantes et du grand public au processus de décision.

L’étude de l’ACRO montre que les travaux de construction pour la partie de la voie navigable E40 qui traverse la zone d’exclusion de Tchernobyl et passe à proximité de la centrale nucléaire ne sont pas réalisables. L’exposition estimée des travailleurs serait trop élevée pour être acceptée. En outre, le bassin de refroidissement de Tchernobyl, fortement contaminé, et les stockages temporaires de déchets radioactifs dans la plaine d’inondation de la rivière Pripiat n’ont pas encore été démantelés, ce qui empêche tout travail de construction. L’AIEA recommande également une liste d’autres mesures de protection qui restent à mettre en œuvre.

La partie de la voie navigable E40 qui se trouve en amont de la zone d’exclusion de Tchernobyl serait alors inutile, car sans connexion avec le Dniepr. Cela signifie également que les travaux d’aménagement qui consistent en la construction de plusieurs barrages et l’alignement des méandres de la rivière Pripiat pour accepter les navires de classe V ne sont pas justifiés.

Enfin, la portion de la voie E40 allant de la mer Noire au réservoir de Kiev nécessite principalement des travaux de dragage réguliers. L’étude de faisabilité mentionne 68 000 m3 de travaux de dragage par an dans le réservoir de Kiev, qui stocke du césium-137 dans ses sédiments de fond. Une telle activité est contraire aux recommandations de l’AIEA de laisser les sédiments en place car elle augmentera la dose des personnes qui dépendent de l’eau du réservoir de Kiev pour leur approvisionnement en eau et en nourriture.

En conclusion, l’ACRO partage l’avis du collectif « Save Polesia » : ce projet de voie navigable aura un impact environnemental et sanitaire inacceptable. Il n’est pas justifié et doit être abandonné. Elle appelle l’Union européenne à cesser tout soutien à ce projet.

Ce travail ne serait pas possible sans votre soutien :
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Radiation impacts of the E40 waterway from Frankfurt Zoological Society on Vimeo.

La parade de la flamme olympique annulée avec le report des JO

La flamme olympique devait partir de J-Village le 26 mars et parader durant 3 jours dans la province de Fukushima. TEPCo avait même préparé une belle présentation de ses travaux de décontamination du parking de J-Village. Des associations avaient alerté sur les niveaux résiduels le long du parcours de la flamme.

Mais la pandémie de COVID-19 a entraîné le report d’un an des JO de Tôkyô et de la parade. Cela ne sera peut-être pas suffisant car le coronavirus sera probablement toujours présent.

La flamme olypique sera exposée pendant un mois à J-Village, qui a servi de base arrière à TEPCo au début de la catastrophe. Puis, elle sera exposée à Tôkyô en mai.

Rétablissement de la ligne Jôban à travers à zone la plus contaminée

Comme prévu, la partie de la ligne de chemin de fer Jôban, qui traverse la zone la plus contaminée, dite de retour difficile, a été rétablie. Elle fait 20,8 km, dont 13,6 en zone de retour difficile. Le premier train a circulé devant les médias alors que les ordres d’évacuer devant les 3 gares de la zone viennent d’être levés. Initialement, une cérémonie était prévue, mais elle a été annulée à cause du COVID-19.

Carte de l’Asahi.

Il y avait 34 000 habitants dans les 3 communes concernées (Futaba, Ôkuma et Tomioka) avant la catastrophe nucléaire. Seulement 1 943 étaient de retour au 1er mars 2020.

Toute la ligne Jôban, qui relie Tôkyô à Sendaï, dans la province voisine de Miyagi, sur 344 km en longeant souvent la côte, a rouvert.